Ludwig ou le crépuscule des dieux

1973

(Ludwig). Avec : Helmut Berger (Ludwig), Trevor Howard (Richard Wagner), Silvana Mangano (Cosima Von Buelow), Gert Fröbe (Père Hoffmann), Helmut Griem (Comte Duerckheim), Isabella Telezynska (la Reine Mère), Umberto Orsini (Comte Von Holstein). 4h05.

Munich, 1864 : Ludwig, 18 ans, va monter sur le trône. Son confesseur, le père Hoffman, le met en garde sur la difficulté de sa charge et lui recommande la modestie, l'humilité et de savoir écouter les conseils. Ludwig, idéaliste, se montre confiant. Oui il va écouter et il sait comment utiliser son pouvoir en demandant conseil aux plus grands intellectuels et artistes qui construiront les grandes œuvres de son royaume.

1886. Le ministre interpelle ceux qui le regardent. Ludwig est-il encore en état de diriger le royaume à la lumière des faits récents ? Il est bien loin le temps de mars 1864 où il était aux côtés du jeune prince pour accueillir les invités du couronnement de Ludwig.

1864 : Le ministre indique au jeune prince Otto qui sont les invités venus assister au couronnement de Ludwig. Celui-ci se prépare dans une pièce adjacente où sont réunis les objets du sacre. Il demande à ce que sa mère le rejoigne mais se crispe quand elle a pour son jeune frère un geste tendre qu'elle n'a pas eu pour lui. C'est en demandant une seconde coupe de champagne qu'il se dirige en costume royal vers le sacre qui l'attend.

1886 : Le ministre des finances s'offusque : il se rappelle que la seule demande exigée par Ludwig lors de son premier conseil des ministres fut la venue de Wagner.

1864 : Ludwig convoque le ministre des finances car Wagner n'a toujours pas répondu à son invitation. Le ministre déclare que Wagner est insaisissable, fuyant à chaque fois qu'un agent du gouvernement a voulu le contacter. Ludwig enrage qu'on ait envoyé la police aux trousses de son invité et refuse d'admettre que ce que Wagner fuit ce ne sont pas les agents de son gouvernement mais ses créanciers. Il voudrait se rendre lui-même à Stuttgart avec un gros cadeau pour le convaincre de venir. Le ministre insiste pour qu'il se rende à Bad Ischl où sont réunies toutes les têtes couronnées d'Europe.

Dans un cirque équestre désert, Ludwig vient à la rencontre de l'impératrice Elisabeth d'Autriche. Il ne l'a pas oubliée depuis leur dernière entrevue, il y a plus de cinq ans. Ludwig a appris qu'Elisabeth s'était dérobée à un dîner officiel et a décidé de faire de même pour la retrouver. Elisabeth, qui était venue dans ce cirque pour un cours équestre, est séduite par la beauté de son cousin et sa cour discrète. Elle se confie à lui. Elle a été une reine modèle pendant dix ans. Mais elle a compris que son mari n'avait rien à faire de son amour, que sa belle-mère était une idiote qui l'empêchait d'élever ses enfants, devenus ainsi des étrangers. Elle avait alors fui la cour autrichienne pour de longs et beaux voyages à l'étranger. Ludwig refuse d'admettre qu'elle a des amants et avoue que, catholique, il est vierge. Elisabeth se moque de son surnom, "l'amant du clair de lune" mais lui interdit d'épouser la fille du tsar qu'elle trouve trop laide et lui propose de la retrouver alors qu'elle sera seule, dans trois jours, pour, la nuit, monter à cheval avec lui. Ludwig, bien qu'amoureux, hésite. Il devait retourner à Munich.

1886 : Le ministre des finances explique que Ludwig est parti plus tôt que prévu de Bad Ischl, laissant espérer à la fille du tsar que c'était pour rompre avec Wagner et ses dépenses extravagantes.

1864. Pourtant à Munich, Wagner se plaint de n'être pas suffisamment bien traité dans la somptueuse demeure que Ludwig a mise à sa disposition depuis trois semaines. Il se comporte comme une diva excentrique auprès de ses invités : Cosima von Bülow et son mari, Hans von Bülow qui dépend de Wagner pour donner la première de Tristan, retardée depuis six ans faute d'argent. Hans von Bülow sait que Munich possède de nombreux chefs d'orchestre mais Wagner a insisté pour que le couple habite avec lui. Il est en effet l'amant de Cosima qui attend un enfant de lui.

Ludwig a secrètement accepté la proposition d'Elisabeth et lui parle de poésie la nuit dans les bois et affirme son idée politique : "le plus grand cadeau que l'on puisse faire au peuple, c'est d'enrichir son esprit". Elisabeth et Ludwig se rapprochent mais ne partagent qu'un baiser. Elisabeth est plus intéressée à proposer un mariage entre sa belle-sœur, la cultivée Sophie duchesse d'Autriche et Ludwig.

Ludwig essaie de trouver un ami en Wagner, dont il aime la musique, mais ses espoirs se brisent. Il apprend par ses conseillers la liaison de Wagner avec Cosima von Bülow. Afin d'éviter un scandale, Wagner doit quitter Munich. Ludwig continue de soutenir Wagner et ses projets, mais il ressent maintenant de la méfiance à son égard.

Déçu par Wagner et Elisabeth, Ludwig commence à se retirer du public pour le monde de ses rêves. Ludwig veut que la Bavière reste neutre dans la guerre austro-prussienne de 1866, mais son cabinet lui impose de soutenir l'Autriche... qui perd la guerre. Ludwig ignore les combats et reste dans son château, au grand dam de son frère cadet, Otto, et de son proche confident, le comte Dürckheim. Celui-ci lui conseille de se marier afin d'éviter la solitude.

Ludwig prend conscience de son homosexualité, et annonce soudainement ses fiançailles avec Sophie en janvier 1867. Sa mère et le cabinet envoient une actrice dans ses appartements, afin qu'il ait une première expérience sexuelle. Ludwig s'emporte contre l'actrice et la jette dans sa baignoire. Ludwig doute qu'il puisse être un bon mari pour Sophie qui l'aime, et annule finalement le mariage. Bien que le catholique dévot et se sentant ainsi coupable de son homosexualité, il entame des relations sexuelles avec ses serviteurs.

La Bavière soutient l'armée prussienne dans la guerre franco-prussienne de 1871, mais lors de l'unification de l'Allemagne qui suit, la Bavière perd une grande partie de sa souveraineté au profit de l'empereur prussien Guillaume Ier et du chancelier Otto von Bismarck. Peu après la fin de la guerre franco-prussienne, la santé mentale du jeune frère de Ludwig, Otto, diminue et les médecins doivent prendre soin de lui. Ludwig est choqué par la maladie de son frère.

Ludwig ne se soucie plus de la politique. Il dépense sans compter pour construire le château de Neuschwanstein, le palais de Linderhof et Herrenchiemsee. Le cabinet réprouve les dettes du roi excentriques et sans concertation.

En 1881, Ludwig entretient une passion courte mais intense avec l'acteur Josef Kainz, dont il adore la performance de Roméo, mais Kainz s'intéresse surtout à l'argent du roi. Ludwig organise également des orgies avec ses serviteurs. Quand sa cousine Elisabeth vient enfin lui rendre visite après longtemps, il refuse de la voir.

En 1886, le psychiatre Bernhard von Gudden déclare que Ludwig est fou, comme le lui avait fortement suggéré le conseil des ministres. Avec l'aide de ses fidèles, Ludwig pourrait le mettre en état d'arrestation mais il ne se sent fatigué et déprimé par le monde. Finalement, son oncle Luitpold est déclaré prince régent de Bavière. Ludwig est amené au château de Berg, près du lac Starnberg, où il doit rester en état d'arrestation et recevoir un traitement psychologique. Deux jours plus tard, Ludwig et Bernhard von Gudden quittent le château pour une promenade. Quelques heures plus tard, leurs cadavres sont retrouvés dans le lac Starnberg.

Visconti propose un montage de quatre heures que les distributeurs jugent trop long. Ludwig est ainsi réduit à trois heures lors de la première à Munich le 18 janvier 1973. Les coupes ne sont pas autorisées par Visconti, mais le réalisateur n'a pas pu les arrêter, notamment parce qu'il est en mauvaise santé après un accident vasculaire cérébral pendant le tournage. La représentation de l'homosexualité de Ludwig provoque une controverse, en particulier en Bavière, où Ludwig est admiré par de nombreux conservateurs. Parmi les critiques figure le Premier ministre bavarois Franz Josef Strauss, qui assiste à la première du film à Munich. Les distributeurs ont ainsi censuré une partie notable des scènes homosexuelles. Enfin certains dialogues, jugés philosophiques, ont été coupés dans le but de de rendre le film plus populaire.

Il a ainsi existé au moins quatre versions différentes du film. Le film a été restauré dans sa durée de quatre heures par le monteur Ludwig Ruggero Mastroianni et le scénariste de Ludwig Suso Cecchi d'Amico en 1980, quatre ans après la mort de Visconti. Cette version, présentée en 1980 au Festival de Venise, est aujourd'hui la seule distribuée.

Après la rupture des fiançailles avec Sophie, Visconti filme la lente déchéance de Ludwig, roi désabusé et trahi par ceux qu’il a porté aux nues et notamment Wagner. Il y a une beauté ambiguë dans cette déchéance, dans la façon dont Visconti met à nu l’enlaidissement d’un prince qui avait autrefois tout pour lui : ses dents pourries, son empâtement, ses cheveux emmêlés… Le sous-titre du film, «le crépuscule des dieux», semble bien signifier que Visconti, comme dans Le Guépard, filme la mort d’un monde insouciant, un monde romanticisé à l’excès pour la bonne cause : un monde de poésie, de musique et de rêve qui disparaît au contact de la brutalité du monde et de l’égoïsme des hommes. C’est bien ce que Ludwig cherche désespérément à dire, à faire comprendre aux autres, mais personne ne l’entend, raison pour laquelle il décide finalement de se taire.

Romy Schneider qui avait été marquée par le rôle d’Elisabeth d’Autriche (1837-1898), alias Sissi, qu'elle incarna dans une trilogie sirupeuse des années 1950, accepte de reprendre à trente ans passés, ce personnage dont elle avait eu tant de mal à se défaire, dans le contexte totalement différent du cinéma de Visconti. Sortie avec peine de cet enfer de carte-postale autrichien, l'actrice autrichienne s'était réfugiée en France, où des cinéastes comme Jacques Deray et Claude Sautet lui offrirent des rôles plus consistants. Avec Ludwig, la comédienne revient donc à ses origines pour être la cousine de Louis II de Bavière avec qui elle amorce une amitié amoureuse non consommée. Le décalage de la maturité et la distance lasse de Romy confèrent au personnage une grâce qu'il n’avait pas dans ses premières incarnation. Un choix d'actrice éclatant ; le meilleur complément possible du maladif Helmut Berger.

Révélé par Visconti dans Les Damnés, égérie homosexuelle par excellence, et amant du cinéaste, Helmut Berger fut un des premiers emblèmes de la redéfinition du masculin/féminin à l’aube des années 1970, simultanément avec Fassbinder et Bowie. C’est la folie de Ludwig qu’aime Visconti et le cinéaste ne cherche ni à l’adoucir ni à l’excuser.

Tournage du 31 janvier au 15 juin 1972, à Bad Ischl, à la Kaiservilla, aux châteaux de Linderhof, Herrenchiemsee, Neuschwanstein, Hohenschwangau, Possenhoffen, Nyphenburg, au Théâtre Cuvilliès et à Cinecittà.