Violence et passion

1974

(Gruppo di famiglia in un interno). Avec : Burt Lancaster (le professeur), Silvana Mangano (Bianca Brumonti), Helmut Berger (Konrad Huebel), Claudi Marsani (Lietta Brumonti), Stefano Patrizi (Stefano), Claudia Cardinale (La femme du professeur), Dominique Sanda (Sa mère). 2h02

Le rouleau d'un électrocardiogramme se déverse sur le sol et la caméra remonte lentement.

Le professeur a soixante-cinq ans. Il reçoit les propriétaires de la galerie Blanchard de Paris qui tentent sans succès de lui vendre un petit tableau du XVIIIe. S'est aussi introduite dans son appartement, Bianca Brumonti, épouse d'un industriel fasciste, séduisante et sans gêne qui veut lui louer le second étage de son appartement, qu'il laisse à l'abandon, pour y installer, dit-elle, sa fille Lietta, qu'accompagne partout son fiancé, Stefano. Le professeur refuse mais revient sur sa décision, décidé à acheter le tableau de la galerie Blanchard. qui vient d'être vendu. Survient alors, Micheli, son homme de loi qui, contacté par la marquise Brumonti tente de convaincre le professeur de l'importante somme d'argent qu'il pourrait gagner à louer l'appartement pour un bail d'un an. Micheli est accompagné de Lietta et Stefano qui ont acheté le tableau de la galerie Blanchard et qu'ils proposent au professeur comme paiement pour les trois premiers mois de loyer.

Le professeur cède mais s'en mord les doigts quand, rentrant le soir, il apprend par Ermione que des coups sourds provenant de l'appartement du dessus ont provocant des tombés de plâtre et ruissèlement d'eau sur les murs. Il monte protester et trouve Konrad, armé d'un revolver, qui proteste de sa bonne foi : l'appartement lui apparient et il a le droit de faire tomber un mur. Il est toutefois effaré des dégâts causés et très en colère que Bianca lui ait caché qu'il ne s'agissait que d'un bail d'un an. Il met les choses au point avec sa maitresse qu'il appelle au téléphone dans son appartement parisien et discute avec le professeur appréciant l'aria de Mozart qu'il écoute et décelant dans l'un de ses tableaux un Arthur Devis (1712–1787).

Bianca arrive le lendemain matin de Paris, très en colère. Elle apprend au professeur qu'elle entretient son amant et que, s'il n'avait rien dit, elle se serait fait fort, à terme, d'acheter le second étage. Le professeur se fâche : "Les gens qui ne sont pas capables de contrôler leurs actes ne m'intéressent pas" mais reconnait avoir perdu le contact avec la jeunesse. Konrad lui amène la photographie du tableau de Devis qu'il a repéré chez des amis et sur lequel on retrouve exactement le même temple et la façon caractéristique de peindre les arbres. Konrad dit qu'il a du fuir en 68 alors qu'il étudiait l'histoire de l'art. La réconciliation va bon train mais le professeur refuse quand même d'aller à Fiumicino faire du bateau et préfère être seul même sil est triste de diner seul le soir.

Les Brumonti s'absentent finalement plus d'un mois, laissant au professeur le choix des peintures et dallage de l'appartement. Ils reviennent avec comme cadeau un merle parleur. Le soir, le professeur entend des coups. Ce sont des jeunes gens venus tabasser Konrad et qui ont laissé la marque infamante SS sur les carreaux. Le professeur cache Konrad dans la chambre secrète que sa mère avait aménagée durant la guerre pour cacher des juifs. Celui-ci affirme avoir été frappé pour être le chevalier servant de la femme du célèbre fasciste.

Le matin, Bianca arrive et Erminia réveille le professeur endormi dans le salon. Alors qu'elle téléphone bruyamment, il se souvient de sa mère revenue avec lui d'Amérique pour occuper l'appartement alors qu'il était enfant. Konrad dort plus de douze heures et tente de se confier au professeur qui élude rapidement. Alors qu'il se retrouve seul dans sa chambre, le professeur se souvient de son épouse, rayonnante ôtant sa robe de mariée puis de ses larmes alors qu'elle lui demandait de l'aider. Il répond par un geste d'impuissance qu'il répète aujourd'hui comme hier.

Le son trop fort d'une chanson italienne le fait monter à l'étage où il découvre Lietta, Kurt et Stefano nus, s'enlaçant et fumant. Lietta lui récite un beau poème d'Auden et affirme être venue porter leur voiture à Konrad qui doit partir pour Munich. Le lendemain la police vient interroger le professeur. Elle veut la confirmation de l'alibi que Konrad a donné comme quoi il était chez lui les 2 et 3 février. Le professeur monte dans l'appartement meublé de façon moderne (avec un Rothko acheté 150 000 francs) des Brumeti. Il leur apprend que Konrad a été retenu à la frontière et que la police recherche de la drogue. Bianca croit davantage à la suite du problème avec un groupuscule gauchiste de Berlin mené par la fille d'un milliardaire ; Konrad étant déjà interdit de séjour en France. Le professeur les quitte fâché.

Alors qu'un autre soir la musique reprend se souvient à nouveau de sa mère et dialogue imaginairement avec elle sur sa vieillesse. Lietta vient alors lui demander de participer à la fête de retour de Konrad, finalement innocenté par la police. Il refuse mais les invite pour le lendemain soir. La réconciliation est bien engagée quand Bianca vient faire part du départ de son mari pour l'Espagne en mission secrète sous les ordres probables d'Umberto Gisberti. Elle a demandé le divorce mais refuse d'épouser Konrad qui dénonce alors la haute société italienne. Elle l'a d'abord fascinée avant qu'il ne s'aperçoive de sa folie meurtrière. Le mari de Bianca appartient à un groupe sur le point d'assassiner une douzaine de députés communistes et des membres du gouvernement dans le but de prendre le pouvoir. Il en a averti la police lors de son arrestation. Il prévient le professeur : Konrad et Stefano, qui pressent que son père, directeur d'usine, pourrait bien faire partie du groupe, en viennent aux mains. Le professeur les sépare mais Konrad le prévient : "N'entrez pas dans ce merdier. Restez-en à vos chers disparus qui ne sont pas touchés par la violence de ces fantoches fascistes". Il s'en va, regretté surtout par Lietta qui reproche au professeur sa froideur envers Konrad.

Un matin, une lettre de Konrad glissée sous la porte du professeur lui annonce sa fin imminente. Une explosion retentit au-dessus. Le professeur retrouve Konrad la tête dans le four et, lorsqu'il l'en extrait pour le porter sur le canapé du salon, il constate sa mort.

Le défilement du rouleau de l'électrocardiogramme est stoppé par le médecin qui ausculte le professeur chez lui. Le professeur reçoit la visite de Bianca et Lietta Brumonti, venues lui dire adieu. Bianca affirme que Konrad s'est suicidé pour avoir le dernier mot. Mais c'est inutile, déplore-telle : "Il était trop jeune pour savoir que l'on oublie et qu'on l'oubliera. Les larmes sont aussi précaires que tout le reste". Lietta est en revanche persuadée qu'on a assassiné Konrad et demande au professeur de conserver sa foi en lui. Le professeur voudrait la retenir.  Des pas résonnent en haut. Le professeur le sait : c'est la mort qui approche.

 Méditation sur le vieillissement et la solitude, Visconti a mis beaucoup de lui-même dans ce personnage vieillissant incarné magnifiquement par le Lancaster du Guépard. Dans ce huis clos d'une famille dans un intérieur (titre original), flashes-back et panoramique viennent confirmer l'approche inéluctable de la mort.

La solitude

Le professeur a choisi la solitude : "Au milieu des gens, il convient de s'occuper d'eux plutôt que de leurs œuvres, de souffrir pour eux, de se sentir concerné par eux. Par ailleurs comme on l'a écrit : les corbeaux volent en bande, l'aigle s'élève seul dans le ciel". Ce à quoi Konrad réplique : "Mais la bible dit : malheur à l'homme seul car s'il vient à tomber, il n'a personne qui l'aide à se relever".

Plus tard, Lietta lui récite le dernier poème  de W. H. Auden (1907-1973) : "Quand tu vois une forme charmante, poursuit la et, si tu le peux, étreins la. Qu'elle soit fille ou garçon, ne soit pas pudique, mais insolent, mais impudent. Courte est la vie. Jouit de toutes les rencontres dont la chair a faim en ce monde. Il n'est point de plaisir charnel dans la tombe".  Liettae l'interroge ensuite : "vous étiez riche, vous étiez beau qu'avez vous fait ? Ce à quoi il répond : "J'ai étudié, voyagé, fait la guerre. Je me suis marié: ça a été un échec. Et puis quand j'ai regardé autour de moi, j'ai trouvé que j'étais parmi des gens avec qui je n'avais rien en commun. Le seul amour qui convient à mon âge c'est celui du roi Lear, l'amour d'un père pour ses enfants (mais il n'a pas d'enfant remarque Stefano).

Lors de la dernière soirée, alors que la famille s'est disputée et que Konrad est parti, le professeur avoue avoir eu la chance d'avoir trouvé en eux une nouvelle famille qui, comme celle-ci, aurait pu bien ou mal tourner. Il évoque un livre cher avec un locataire qui, subrepticement, emménage dans un appartement au-dessus du sien. Le romancier l'entend aller et venir s'agiter puis il s'évanouit. Pendant longtemps, il n'a pas de nouvelles de lui puis il réapparait. Par degré, ses absences se font de plus en plus rares; sa présence plus constante, c'est la mort. Cette conscience d'avoir atteint le terme de sa vie qui lui a été annoncée par l'un des nombreux déguisements trompeurs de la mort, votre présence au-dessus de moi a signifié le contraire, déclare-t-il, et je ne crois pas avoir été abusé. Vous m'avez tiré d'un sommeil aussi profond aussi insensible et aussi sourd que la mort elle-même.

Sans doute le professeur aurait bien pu adopter Konrad avec qui il partage le gout de l'observation, si utile en peinture pour repérer la paternité des tableaux, ainsi du Arthur Devis (1712–1787).

Flashes-back et panoramique funèbres

Autour du professeur, il n'y a que la bonne, Ermione qui le sert depuis vingt-cinq ans, son homme de loi et son médecin qui le soigne chez lui et qui interrompt sa méditation en mettant fin à l'électrocardiogramme. Le film presque entier est un long flash-back. Avoir choisi cette forme indique que la vie s'est enfuie que le sommeil qui le saisit sera désormais comme, il l'a dit précédemment la mort elle-même.

Si quelques zooms-avant viennent saisir le professeur lorsqu'il est ému, ces effets d'appareils sont moins présents que précédemment. En revanche, les trois flashes-back du film, même très courts, sont particulièrement marquants. Les flashes-back avec la mère ont la particularité d'être en vision subjective. Le professeur voit et entend depuis sa place actuelle sa mère entrer dans le salon en revenant d'Amérique. Il s'en souvient lorsqu'il loge Konrad dans la chambre secrète qu'elle fit faire. Le second dialogue avec la mère est un dialogue imaginairement prolongé avec elle sur sa vieillesse.

Magnifique enfin, le regret du mariage raté avec Claudia Cardinale enlevant son voile de mariée au ralenti puis pleurant en vain implorant l'aide de son mari. Probablement s'est-il montré inflexible lorsqu'elle l'a trompée.

Notable aussi le panoramique à 360 degrés sur les tableaux du salon lorsque le professeur rend grâce aux Brumonti de l'avoir sorti d'un sommeil profond comme la mort en étant comme une famille pour lui. Mais ce panoramique entamé le soir, s'achève au matin, fenêtre ouverte avec le professeur seul. Suivra l'annonce de sa mort par Konrad.

Jean-Luc Lacuve le 29/05/2016