Le split-screen, anglicisme traduit en français par écran divisé ou écran séparé, est un effet consistant à diviser l'écran en plusieurs parties, chacune de ces parties présentant des images différentes : plusieurs scènes différentes, ou bien plusieurs perspectives différentes d'une même scène. C'est une manière de saturer le cadre pour accentuer la difficulté de percevoir et ainsi augmenter le suspens ou le décalage entre deux scènes.
Le procédé est inventé dès le début du cinéma avec le jeu du cache et du contre-cache. Il s'agit néanmoins d'un trucage qui ne doit pas être perçu par le spectateur, à l'inverse du split-screen proprement dit qui s'exhibe en tant que tel. Le split-screen est ainsi utilisé avec parcimonie dans le cinéma muet et avant l'apparition de l'écran large (partie 1). Le split-screen ne naît véritablement qu'après l'exposition universelle de Montréal en 1967 : Richard Fleischer et Norman Jewison en feront la plus brillante utilisation (partie 2). Mais c'est Brian De Palma qui va en faire une forme intimement liée aux mystères de son cinéma (partie 3). Le split-screen est plutôt rare dans le cinéma contemporain (partie 4)... qui fait souvent du split-screen sans split-screen (partie 5).
1- Peu de split-screen avec les "formats carrés", 1.20 ou 1.37
Le split screen apparaît très tôt dans le cinéma sous la forme du trucage cache/contre-cache, inventé et mis au point par Méliès avant 1900. Le procédé est également utilisé par Edwin Stanton Porter en 1903 dans L'attaque du Grand-express. Des bandits font irruption dans le bureau du chef de gare, alors que l'on voit à travers les vitres le train qui entre en gare. Le plan a été tourné en studio avec une toile peinte en noir sur les vitres du bureau afin que cette surface n'impressionne pas la pellicule et constitue une réserve vierge sur laquelle il est possible d'impressionner par la suite une autre image. Dans un deuxième temps, la même pellicule non développée est remontée à son point de départ dans la caméra. Le cinéaste filme un vrai train dans une gare, en prenant soin cette fois-ci de placer devant l'objectif un carton noir échancré à hauteur des fenêtres telles qu'elles ont été cadrées dans la première prise de vue. Il ne filme donc du train que la partie vue en théorie à travers les vitres du bureau du chef de gare. Ce carton, qui est le contre-cache, protège la partie du cadre impressionnée en studio, c'est-à-dire l'irruption des bandits. A la projection, les spectateurs fascinés ont pu voir l'intrusion des bandits à l'arrivée du train comme si elles avaient été filmées en même temps.
Le split screen est utilisé avec parcimonie dans le cinéma muet. Friedrich W. Murnau en fait un usage expressionniste au début de L'aurore (1927).
Il n'y a aucun trucage réalisé en post-production dans le film. Tous sont réalisés sur le tournage. C'est un filmage double avec cache : la moitié gauche de la pellicule filme d'abord un bateau qui avance alors que la moitié droite est obstruée par un cache. Puis la pellicule est rembobinée pour filmer, cette fois sur la partie droite, une femme sur la plage. L'homme à la caméra (Vertov, 1929) l'utilise comme une des possibilités du ciné-oeil.
L'appel téléphonique est filmé dans un split screen simplifié et fonctionnel par Alfred Hitchcock dans Chantage (1927), son dernier film muet, lorsqu'un personnage secondaire, la logeuse, prévient la police du crime qu'elle a découvert.
Lewis Milestone fait une utilisation pleine d'humour du split screen dans Double chance (1940). David Grant (Ronald Colman) badine au téléphone avec Jean Newton (Ginger Rogers) en lui indiquant la voir allumer puis éteindre la lampe qu'elle a à côté d'elle. Jean s'en amuse... tout en allumant et éteignant sa lampe en contradiction avec les indications de David.
Quand l'écran s'élargit, la conversation téléphonique est très souvent filmée en split-screen... avec plus ou moins d'invention. Dans Le cri de la victoire (1955) Raoul Walsh profite du cinémaScope pour introduire entre les interlocuteurs un espace pour les poteaux télégraphiques, rendant d'autant plus froide et distante la conversation entre Dany et son père et sa fiancée. A l'inverse, Stanley Donen dans Indiscret (1958) termine la séquence par une nouvelle position des amoureux qui semblent se donner la main
2 - Le court âge d'or du split-screen
Lors de l'exposition universelle de Montréal en 1967 a lieu la première présentation publique du système IMAX où sont notamment assemblées des images d'un format différent dans un même cadre.
Ce sera une révélation pour Richard Fleischer qui sera l'un des premiers à utiliser les possibilités de l'écran fractionné dans L'étrangleur de Boston (1968).
Les caches sur la caméra sont exécutés à partir des croquis dessinés par Fred Harpman. Deux ou trois caméras filmaient à la fois pour deux ou trois écrans. Richard H. Kline, le directeur de la photographie s'attache à faire suivre l'image la plus importante par la lumière ou la couleur. L'écran va jusqu'à être fractionné en huit parties. Mais Les studios auraient empêché Fleischer d'aller trop loin : "De l'audace mais en toute discrétion".
Pourtant dans L'affaire Thomas Crown (Norman Jewison, 1968), comédie policière assez vaine au service de Steve McQueen jouant au polo, faisant du planeur (jaune) ou conduisant son buggy (rouge) à toute allure sur la plage, Norman Jewison fera une utilisation virtuose du split-screen. Il l'utilise dans une optique presque musicale, pour rythmer l'action. Quatre grandes séquences utilisent cet effet : le générique, la préparation du premier hold-up, la rencontre entre Thomas et Vickie sur le terrain de polo, le second hold-up.
C'est la préparation du premier hold-up qui est la plus fameuse. Thomas Crown dirige depuis son bureau l'action des quatre gangsters entre 15h00 et 15h45 où tout est terminé. Le début à 15h00, le moment de flottement quand une cabine est en dérangement, puis la convergence vers la banque sont les moments cruciaux où le split-screen entre en action alors que des moments de plein écran, de repos, sont institués entre eux.
Non seulement le split-screen est virtuose avec ses cadres variant de un
tout petit dans un coin à huit dont plusieurs au même endroit
mais encore les mouvements d'appareils au sein des cadres sont très
travaillés. Ainsi de la première séquence: zoom avant
sur la glace d'un salon de coiffure pour cadrer le reflet d'un homme téléphonant
dans une des cabines d'une rangée de celle-ci. Trois heures passant
sur la pendule et Thomas raye le premier acte à accomplir de sa liste,
la caméra panoramique vers le haut pour saisir le visage de Thomas,
fractionnement du cadre du haut pour qu'il dialogue avec sa secrétaire.
Il raye de nouveau un item de la liste pendant que le personnage du bas fait
l'objet d'un insert sur ses mains tenant un plan. La caméra remonte
et saisit le personnage de la cabine de face et non plus dans un reflet. Thomas
téléphone. Il est 15h10 et il demande à être appelé
à 15h40.
Pour le moment de flottement à 15h20 où le téléphone est en dérangement, le flou dans certains cadres n'empêche pas de préciser les cinq endroits. Sur le fondu au noir du fauteuil de Thomas commence la convergence vers la banque en split-screen avec la succession des "Allez !" qui se termine sur sa tête fractionnée dans différents cadres de Thomas se saisissant de ses jumelles.
Ensuite, un petit cadre amorce un faux suspens avant qu'une quatrième séquence de split-screen termine la convergence jusqu'à l'entrée de la banque.
Le hold-up lui-même est filmé en plein écran. Ce ne sera
que le second hold-up, répétition du premier qui fera l'objet
de la quatrième grande séquence de split-screen après
la rencontre de Vickie et Thomas sur le terrain de polo.
En 1969 à Taïwan, King Hu utilise le split screen dans A touch of zen pour montrer la diffusion de la rumeur de présence de fantômes dans la forteresse de Jing Lu.
En 1972, Richard Fleischer reprend une seconde fois le procédé du split-screen après L'étrangleur de Boston (1968) pour décrire, cette fois, un processus accumulatif (voitures, foule, effet de zoom sur la Chine) conduisant à la surconsommation et à la société post-industrielle : c'est le générique de Soleil vert.
Pour We can't go home again (Nicholas Ray, 1973) le choix de l'écran multiple s'impose dès le départ car il est impossible de traduire l'époque par une simple histoire mais nécessité de choisir une forme adaptée à l'enseignement et au travail collectif.
Le split-screen est aussi utilisé dans des films de série B, ainsi des quatre écrans dans L'ultimatum des trois mercenaires (Robert Aldrich, 1977)
3 - Le split-screen chez Brian De Palma
En 1970, Brian De Palma utilise pour la première fois le split-screen dans Dionysus in '69. Parfois les deux côtés de l'écran enregistrent le même moment vu sous deux angles avec deux caméras différentes. Parfois, il montre la scène et le public dans des espaces plus ou moins partagés. Parfois, il montre des points de vue différents des acteurs sur une même seule action. Parfois, il montre d'une part une vision large et d'autre part met l'accent sur un événement aléatoire, une perspective formelle ou un détail important.
La même année, De Palma réalise un plan en split screen dans Hi Mom ! sous la forme d'un cercle où le personnage principal, Jon, cinéaste amateur, observe des passants dans la rue.
C'est le même effet de voyeurisme (l'émission de télévision
Peeping Toms) que l'on trouve à l'ouverture de Sœurs
de sang (1973) où Brian De Palma met pour la première fois
véritablement en oeuvre de façon consciente et virtuose deux
grandes séquences de suspense séparées par une respiration,
à peine moins haletante, en plans alternés.
Dans Le fantôme du paradis (1974), la séquence de split-screen est l'occasion d'un hommage à La soif du mal , son fameux plan-séquence d'ouverture, depuis le minuteur de la bombe mis dans le coffre d'une voiture jusqu'à l'explosion finale.
Dans Carrie (1976), la grande séquence du déchainement de violence dans la salle de bal intercale huit moments en split-screen séparés par de brefs moments de plein écran. Le split screen montre la panique de la foule en différents endroits et la liaison entre le regard de Carrie et les objets qu'elle déplace de façon meurtrière alors que les moments de plein écran saisissent l'agonie des victimes.
Après la séquence de vidéo-surveillance de Snake eyes (1998), la grande séquence de split-screen de Passion (2012) est l'une des plus esthétiques jamais réalisée avec toute la partie gauche de l'écran occupée par la représentation du Sacre du printemps alors que le coté droit met en scène un crime.
4 - Le split-screen dans le cinéma contemporain
Quentin Tarantino utilise une première fois split-screen dans Jackie Brown (1997) puis dans Kill Bill (2003).
Belle utilisation du split-screen dans La Soledad (Jaime Rosales, 2007) et dans OSS 117: Rio ne répond plus (Michel Hazanavicius, 2009). Les cinq scènes de split-screen de ce film concurrencent allègrement celles de L'affaire Thomas Crown (Norman Jewison, 1968) auquel il rend ainsi hommage. On remarque ainsi après le générique, l'arrivée à Rio, la séquence de la piscine, la présentation fragmentée de Dolores et la virtuose séquence des téléphones avec l'écran fragmenté en douze zones.
En 2013, James Franco réussit avec As I lay dying une convaincante adaptation du roman de Faulkner. Les flux de conscience, dialogues intérieurs dont l'auteur n'est pas précisé dans le roman, sont remplacés par une belle utilisation du split-screen. Celui-ci intervient dans les longues séquences de cheminement et sait se faire oublier lorsque les dialogues deviennent dramatiques et intenses. Lars von Trier l'utilise dans Nymph()maniac pour illustrer l'harmonie de l'amour polyphonique.
5 - Le split-screen sans split-screen
Le cinéma muet, plus que la manipulation de l'image pour séparer l'écran en plusieurs parties, favorisait la séparation en deux espaces distincts des personnages. Ainsi dans La voisine de Malec (Buster Keaton, 1921), la première scène est un plan large sur la rue qui sépare deux hauts immeubles d'habitation. Une palissade entre les deux bâtiments coupe précisément l'écran en deux.
Dans Le fils unique (Yasujiro Ozu, 1936) l'expression de l'émotion semblable mais s'exprimant de manière différente entre la femme et le mari devant les reproches de la mère (hors champ) de ce dernier est favorisée par la porte coulissante qui isole dans la partie droite de l'écran, la femme qui pleure.
Le cinéma contemporain joue souvent de la sensibilité plus forte des pellicules pour réunir dans un même plan deux espaces éloignés, ainsi Steven Spielberg dans Sugarland express (1974).
Ewa dans The immigrant (James Gray, 2013) s'en va dans dans son petit bateau, alors que l'autre partie de l'écran, où s'est formé un subtil slip screen, montre Bruno, s'éloignant, assumant son enfermement dans New York.
Principaux films :
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Vortex | Gaspard Noé | France | 2021 |
Lux Aeterna | Gaspard Noé | France | 2019 |
Saint Laurent | Bertrand Bonello | France | 2014 |
The immigrant | James Gray | U.S.A. | 2013 |
Nymph()maniac | Lars von Trier | Danemark | 2013 |
As I lay dying | James Franco | U.S.A. | 2013 |
Passion | Brian De Palma | U.S.A. | 2012 |
OSS 117: Rio ne répond plus | Michel Hazanavicius | France | 2009 |
La Soledad | Jaime Rosales | Espagne | 2007 |
Kill Bill : volume 1 | Quentin Tarantino | U.S.A. | 2003 |
Hulk | Ang Lee | U.S.A. | 2003 |
Femme fatale | Brian De Palma | U.S.A. | 2002 |
Hotel | Mike Figgis | G.-B. | 2001 |
Time code | Mike Figgis | G.-B. | 2000 |
Snake Eyes | Brian De Palma | U.S.A. | 1998 |
Jackie Brown | Quentin Tarantino | U.S.A. | 1997 |
Wall street | Oliver Stone | U.S.A. | 1987 |
Pulsions | Brian De Palma | U.S.A. | 1980 |
L'ultimatum des trois mercenaires | Robert Aldrich | U.S.A. | 1977 |
Carrie | Brian De Palma | U.S.A. | 1976 |
Le fantôme du paradis | Brian De Palma | U.S.A. | 1974 |
Sœurs de sang | Brian De Palma | U.S.A. | 1973 |
We can't go home again | Nicholas Ray | U.S.A. | 1973 |
Soleil vert | Richard Fleischer | U.S.A. | 1973 |
Hi Mom | Brian De Palma | U.S.A. | 1970 |
Dionysus in '69 | Brian De Palma | U. S. A. | 1970 |
A touch of zen | King Hu | Taïwan | 1969 |
L'affaire Thomas Crown | Norman Jewison | U.S.A. | 1968 |
L'étrangleur de Boston | Richard Fleischer | U.S.A. | 1968 |
Indiscret | Stanley Donen | U.S.A. | 1958 |
Le cri de la victoire | Raoul Walsh | U.S.A. | 1955 |
Double chance | Lewis Milestone | U.S.A. | 1940 |
L'homme à la caméra | Dziga Vertov | Russie | 1929 |
Chantage | Alfred Hitchock | G. B. | 1927 |
L'aurore | Friedrich W. Murnau | Allemagne | 1927 |