Récits croisés de deux destins urbains : Adela a décidé de commencer une nouvelle vie. Elle quitte sa petite ville dans la province du Leon pour s'installer à Madrid avec son bébé. Malgré les difficultés qu'implique un tel changement, elle trouve un travail et noue de nouvelles amitiés. C'est alors qu'un attentat terroriste brise sa vie.
Antonia est propriétaire d'un petit supermarché à Madrid. Elle mène une vie tranquille, entourée de son compagnon et de ses trois filles. La paix familiale se brise lorsque Nieves, sa fille ainée, lui demande de l'argent pour s'acheter un appartement créant ainsi une tension allant s'exacerbant avec sa soeur.
Il y avait tout à craindre du dispositif formel adopté par Jaime Rosales pour raconter son histoire. L'écran à intervalle régulier et pour une bonne moitié des séquences se scinde en deux (split screen). Il fait apparaître soit deux pièces d'une même maison où ses habitants vaquent successivement à leurs occupations soit deux personnes discutant dans la même pièce en gros plan, soit enfin deux personnes séparées dans l'espace mais se reposant.
L'économie qui préside au choix de ce dispositif évite les effets de focalisation sur des détails et assure une grande cohérence formelle et, partant, splendeur formelle à la réunion de deux espaces ni tout à fait identiques ni tout à fait différents joints par une collure nette et pourtant presque invisible.
Ce dispositif a aussi pour but d'éviter tout effet de dramatisation, chacun des plans du film étant un plan fixe sans recours au champ contrechamp qui crée artificiellement du lien entre deux personnages. Le refus de toute musique, hors celle du générique de fin, renforce la superbe simplicité du dispositif.
Si le dispositif est une réussite c'est aussi qu'il est parfaitement en accord avec son propos. Loin d'être un constat sur l'état de solitude qui serait notre lot commun, il montre au contraire deux femmes qui vont essayer de l'affronter. Il importe finalement assez peu que le film nous laisse sur la réussite de l'une, retrouvant le contact avec les autres malgré la mort de son enfant, alors que la plus âgée meurt de la tension suscitée par la haine entre ses filles. L'une et l'autre n'auront de cesse de trouver la voie juste dans leurs rapports aux autres, comme si la difficulté d'être réunis était notre lot à tous.
Et c'est sans cesse et sans dramatisation aucune que Rosales dresse devant ces femmes courageuses les barrières à leur désir d'être avec les autres. Ce sera d'abord la discussion sur le côté accessoire de la beauté. Rosales-Antonia ne disent évidemment pas que la beauté n'existe pas mais qu'elle n'est pas immédiate comme le croit Nieves, qu'elle se recherche au travers d'une relation qui demande du temps et nécessite la gentillesse et l'écoute de l'autre.
Peut-être même va-t-il plus loin avec Antonia au sort particulièrement cruel et injuste qui ira un temps jusqu'à lui donner mauvaise conscience et le remords d'être partie à Madrid alors qu'elle n'est évidement aucunement responsable de la mort de son enfant. Dans cette fierté de croire en soi, le film atteint probablement là une dimension cosmique que relaie le retour à l'écran large. Ce sont ces instants de bonheur simple du ramassage de mûres, du jeu au parc. C'est aussi le courage d'affronter après la douche son corps nu et blessé des éclats de verre et de métal reçus dans l'attentat avec hauteur et sans larme. Cette hauteur d'émotion installe bien davantage le film dans le genre du mélodrame que dans celui du drame social.
Réunir ses personnages au monde malgré les séparations dont il n'a cesser de nous montrer l'existence tel pourrait bien être finalement le but de Rosales, alternant les clins d'il sur la futilité de certaines séparations et les instants de tragédie silencieuse. On rangera dans la première catégorie tous ces plans où, sans avoir recourt au split screen, Rosales sépare son écran en deux. Ainsi du premier plan où un poteau électrique sépare le troupeau des vaches en deux ou des plans où une barre verticale sépare les passagers d'un bus, où l'embrasure d'une fenêtre coupe un personnage en deux. On rangera dans la seconde, l'après de l'explosion du bus ainsi que le plan où Antonia, dans la voiture sur l'autoroute qui conduit à la vulgaire maison de vacances et sous la lumière rasante du soi,r comprend que ses deux filles ne se réconcilieront jamais.
Le dernier plan sur la ville fourmillant de maisons et sans séparation comme au premier plan nous laisse probablement le soin de conclure que la ville est le lieu privilégié du combat contre la solitude. Pas besoin là d'installer un poteau électrique comme au premier plan. Deux plans qui se répondent, du début à la fin, de la campagne à la ville sans être systématiquement opposés. Décidément l'élégance de Rosales est immense.
Jean-Luc Lacuve le 17/06/2008.
Editeur : Bodega-Films, décembre 2008. Edition
collector. Film 2h03.
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