Les gestes d'un peintre de dos, en accéléré, qui dessine à l'aquarelle des figures ancestrales où un cannibale semble faire rôtir une femme. De vigoureux coups d'un pinceau large unifient en les effaçant un peu les motifs;
Oriol et Yolanda vivent à Paris avec leurs deux filles. Il est architecte, elle est professeure d'espagnol en lycée. Il est très investi dans son travail de conception d'appartements et de suivi des travaux. Son patron avec lequel il s'exprime en anglais doit juste parfois le réfréner sur ses ambitions mais il accepte d'en rabattre si le manque d'ampleur de la réalisation est dû au trop faible budget. Yolanda est bien intégrée dans son lycée et ses collègues. Celia, la fille ainée, et Alba, la plus jeune, s'entendent bien
La famille est unie. Oriol emmène sa fille Célia pour quelques jours de vacances dans le delta de l'Ebre, au sud de la Catalogne chez son père et sa mère. Au retour, sur l'autoroute un accident a lieu.
Yolanda et la jeune Alba prennent l'avion. Les familles se réunissent à l'hôpital. Celia, décédée est murée dans le caveau familial.
Oriol, sort de son coma mais ne se souvient plus de l'accident qui coûta la vie à sa fille et semble avoir oublié l'existence même de celle-ci. Yolanda vit d'autant plus douloureusement son deuil.
Et puis un jour, Célia réapparait à Yolanda qui croit la voir de nouveau et lui raconte ses souvenirs d'enfance. Elle rentre en bus, bouleversée et fait part de cette aventure fantomatique et étrange à Oriol. Celui-ci se rend à son tour dans le parc à la recherche de sa fille... vainement.
La vie continue entre confidences de Yolanda à ses collègues du lycée, sortie avortée au cinéma -on en reste aux plats surgelés devant la TV-, anniversaire d'enfants vécus sans pleurs. Et c'est le retour des vacances en Catalogne. Yolanda demande à Jaume de la conduire là où une dernière fois Célia joua avec lui.
Aux Buttes Chaumont, les fantômes ne se promènent pas parmi les vivants. Pourtant Yolanda, quand les beaux jours reviennent, ne peut s'empêcher de revoir la Célia des jours heureux où ses enfants jouaient ensemble.
Le peintre du début noie d'eau ses motifs colorés d'animaux aquatiques jusqu'à les rendre presque invisibles. Il trace sur la surface marron cinq croix noires où des silhouettes humaines se tordent de douleur.
Le thème de la mort d'un enfant est ici abordé de front, sans échappatoire dans un contexte social, mais avec la volonté de renouveler les codes du mélodrame. Rosales installe un dispositif de plans longs pour saisir l'avant -les deux plans de Celia dans la voiture avec le départ- ou l'après -accident, réveil du mari- des moments forts du mélodrame. Ces moments dramatiques ont disparu dans les ellipses pour mieux nous laisser saisir l'âpre silence et le réconfort ambigu du rêve qui constituent les moments intenses et bouleversants du deuil.
Dans un quotidien abstrait, évidé, en noir et blanc peut surgir le fantôme de Célia revenue de la mort. Yolanda la recherche alors follement dans le parc des buttes-Chaumont. C'est inutile, le souvenir lui tombe dessus, à la fois comme réconfort mais aussi comme douleur : le songe de la vie d'avant à jamais perdu. Peut-être faut-il voir là le sens des tableaux peints par Miquel Barcelo. Victime des cannibales aux temps préhistoriques et condamné à souffrir sur sa croix depuis les temps modernes, l'homme ne peut échapper au surgissement de la mort.
Curieusement le cinéaste déclare questionner le fait "d'assembler un processus extensif - celui de la peinture - avec un processus intensif - celui du cinéma ". Il bien qu'il y ait intensification dans les deux cas. Les dessins s'unifient dans une symbolique douloureuse, cannibalisme ou crucifixion. Le cinéma montre comment la douleur s'étend au monde, incontrôlable. Le surgissement de la couleur à la fin nous dit peut-être qu'il appartient à l'art de nous faire vivre plus sereinement, quand ils sont aussi justes qu'ici, ces moments auxquels nous voudrions échapper dans la vie réelle.
Jean-Luc Lacuve le 09/10/2012.