Nymphomaniac - Volumes 1 et 2

2013

Thème : Erotisme

Avec : Charlotte Gainsbourg (Joe), Stellan Skarsgard (Seligman) Stacy Martin (Joe jeune), Shia LaBeouf (Jerôme), Christian Slater (le père de Joe), Jamie Bell (K), Uma Thurman (Mrs. H), Willem Dafoe (L), Mia Goth (P). 2h10 et 2h04.

Par une froide soirée d'hiver, le vieux et charmant célibataire Seligman découvre Joe dans une ruelle, rouée de coups. Après l'avoir ramenée chez lui, il soigne ses blessures et l'interroge sur sa vie. Joe le met en garde, "ce sera un récit long, et très certainement moral". Qui plus est, elle ne sait pas par quoi commencer et s'irrite d'une mouche sur la tapisserie. Seligman lui explique qu'il s'agit d'une nymphe, larve de mouche et, en l'occurrence, leurre utilisé pour la pêche à la mouche. Lui-même pratique souvent la pêche qui est pour lui une activité romantique tout imprégné qu'il est depuis l'enfance par Le parfait pêcheur à la ligne, d'Izaac Walton (1593-1683) classique de la littérature anglaise. Cette liaison du vieil homme avec les animaux et la nature est pour Joe la piste qui lui permet de commencer sa narration.

Chapitre 1 : Le parfait pêcheur à la ligne

Joe découvrit tout enfant qu'elle avait un sexe et, vers six ans, s'amusait à la grenouille avec sa copine, B. : elles se masturbaient sur le sol de la salle de bain qu'elles avaient rendu glissant en l'aspergeant d'un peu d'eau.

Pour la soutenir dans les jours difficiles, Joe comptait sur les promenades dans la forêt avec son père, médecin, grand admirateur des arbres, en hiver surtout lorsqu'ils sont plus difficiles à reconnaitre, notamment le grand et majestueux frêne aux feuilles en forme de cœur qui fait des bourgeons noirs en hiver.

A seize ans, Joe tenait par dessus-tout à perdre sa virginité et choisit pour cela, Jérôme, dont les grandes et belles mains l'attiraient. Il la prit sans façon de trois coups de queue côté face et de cinq côté pile. Joe meurtrie, jura de ne jamais recommencer. Mais bientôt, entrainée par B., elle joua un paquet de chocolat à celle qui se ferait baiser par le maximum d'hommes dans un train. Joe gagna par les cinq points qu'elle obtint en forçant un homme bien sous tous rapports à éjaculer dans sa bouche.

Joe s'est auto-diagnostiquée nymphomane et se juge mal alors que Seligman ne cesse de faire la parallèle entre la drague et la pêche et trouve ainsi tout naturel le comportement de Joe. Il lui apporte un gâteau avec une fourchette. C'est l'occasion de parler de celui auquel elle apporta elle-même un gâteau et une fourchette.

Chapitre 2 : Jérôme

B. et Joe ont formé "le petit groupe", quelques filles croqueuses d'hommes qui se sont juré de ne jamais faire l'amour deux fois avec le même partenaire. Mais B. elle-même ne tient pas ce pacte, révélant à Joe que l'ingrédient secret du sexe c'est l'amour. Joe n'y croit pas mais a d'autres préoccupations. Elle a échoué en médecine et cherche du travail. Elle postule pour une place dans une imprimerie. La secrétaire va l'éconduire lorsqu'elle est engagée par le patron en personne. C'est Jérôme qui remplace, sans rien connaitre de la fonction, son oncle malade. Jérôme essaie de lui faire l'amour dans l'ascenseur mais Joe se refuse à lui. Elle l'aime néanmoins, l'accompagne à chaque fois qu'elle le peut et se décide enfin à lui écrire une déclaration d'amour. Quand elle va lui remettre la lettre dans son bureau, elle apprend par l'once de Jérôme revenu à la direction de son entreprise que Jérôme s'est marié avec sa secrétaire et qu'ils sont partis pour un voyage autour du monde.

Chapitre 3 : Mrs H.

La nymphomanie de Joe se déchaina alors. Aux multiples appels de ses amants sur son répondeur, elle répondait par une phrase tirée au sort à partir d'un jeu de dé. Elle connut des sexes de tous ordres et de toutes tailles. Elle devait régler ses rendez-vous au millimètre. Pour faire fuir H. avant 19 heures, elle inventa qu'elle l'aimait trop pour le partager avec sa femme. Il la prit au mot et revint avec ses valises. Mais sa femme et leurs trois jeunes garçons l'avaient suivi. Mrs H théâtralisa sa rupture, utilisant toutes les armes du rapproches et de la mauvaises conscience.

Cela laissa Joe angoissé. Seligman lui parle d'Allan Edgar Poe, maitre de l'angoisse, mort d'une crise de delirium tremens.

Chapitre 4 : delirium

Joe connu cela aussi. Son père était à l'hôpital. Il crut apprivoiser l'approche de la mort, connaissant les drogues que les médecins allait lui administrer. Il crut pouvoir se passer de l'absence de sa femme. Joe lui demandait de lui raconter encore l'histoire du frêne. Les drogues le conduisirent dans un état proche du delirium. Il ne contrôlait plus ses intestins et criait dans ses cauchemars. Joe, pour souffler dans cette douleur, faisait l'amour avec les hommes de service. Quand il mourut, Key vint tout de même.

Seligman écoute de la musique sur un lecteur de K7. C'est un morceau d'orgue polyphonique de Bach

Chapitre 5 : La petite école d'orgue

Pour Joe, la vie s'organise aussi selon trois hommes. F., le gros gentil qui lui apporte des fleurs et qu'elle laisse la laver dans une douce baignoire et qui se révèle un maitre du cunnilingus ; G. le félin et Jérôme, revenu miraculeusement. Devant ce coup de théâtre, Seligman laisse poindre un soupçon d'incrédulité. "Comment pensez-vous tirer le plus profit de cette histoire ; en y croyant, ou en n'y croyant pas?", réplique Joe qui reprend son récit. C'était donc le bonheur polyphonique. Jérôme après des préliminaires dignes de F. et une gestuelle à la G. lui fait enfin l'amour avec amour. Mais c'est là que le drame survint : Joe ne sentait plus rien.

Volume 2


Joe ne sentait plus rien avec Jérôme. Elle était bien loin de ce premier orgasme connu à 12 ans par une journée ensoleillé où allongé dans un champ d'herbes elle lévita de plaisir entre deux figures mystiques et mystérieuses. L'une d'elle ressemblait à la vierge à l'enfant dit-elle à Seligman. Celui-ci la détrompe non c'était Messaline, la femme de l'empereur Claude et La putain de Babylone. Il est ahuri de ce parrainage lui qui ne croit pas en dieu mais aime les concepts religieux. Joe remarque d'ailleurs son icone russe, seul ornement de son appartement et lui demande d'en expliquer la signification. Seligman revenant brièvement sur le schisme entre l'église d'occident et l'église d'orient, lui explique que la première est dominée par le principe de souffrance comme le prouvent les multiples représentations des crucifixions et la seconde par le principe de pâlir avec ses madones à l'enfant. Joe se propose donc de raconter le chapitre suivant de sa vie sous le titre : L'église d'orient et l'église d'occident mais le prévient que ce sera le contraire d'un chemin vers le plaisir. Elle propose quand même de rendre plus léger avec un sous-titre.

Chapitre 6 : L'église d'orient et l'église d'occident (le canard silencieux)

La vie avec Jérôme est un supplice pour Joe qui se fouette le sexe à coups de serpillère, désespérée de ne pas jouir. Toutefois subsistent quelques moments de douce complicité comme cet après-midi dans un salon de thé. Jérôme lui promet un billet de cinq livres si elle parvient à cacher une cuillère à glace au long manche dans son vagin. Joe ne se contenta pas d'une cuillère mais d'une dizaine qui tombèrent une à une en quittant le salon et ses clients choqués. Jérôme a conscience d'avoir un tigre sur les bras qu'il lui faut nourrir ainsi permet-il à Joe de jouer au professeur de piano en panne de voiture. Elle a ainsi tout le temps de choisir un amant parmi les hommes empressés à trouver la combinaison adéquate bouchon-bougie de son moteur V8.

Ainsi vécurent-ils jusqu'aux trois ans de Marcel, leur enfant, dont elle accoucha par césarienne et qui semblait rire de façon démoniaque à sa naissance. Jérôme étant souvent en voyage, Joe (interprétée maintenant par Charlotte Gainsbourg) inspecte son entourage et remarque des nègres en bas. Seligman sursaute : il préfèrerait un mot plus politiquement correct, marquant l'acceptation des autres, des plus faibles, dans une démocratie. Joe n'aime pas les euphémismes fait pour masquer la violence du monde. Elle utilise les services d'un interprète pour dire au nègre d'en bas qu'elle voulait coucher avec lui. Il la convoqua dans un hôtel minable et vint accompagné de son frère. Ils la déshabillèrent mais les deux hommes ne s'entendirent pas sur la façon de la pénétrer.

C'est alors qu'elle fit la connaissance de K., adepte des protocoles sadiques. Il la convia toutes les nuits entre deux et six heures, lui donnant le nom de Fido, l'obligeant à se procurer une cravache avec laquelle il la fouetta. Joe ne put bientôt plus se passer de ces séances laissant son fils sans surveillance. Le soir de Noël, Jérôme rentra et empêcha in extremis, Marcel, attiré par la lumière et la neige, de sauter du balcon. Il interdit à Joe de sortir sous peine de partir avec Marcel. Mais rien n'y fit. Joe se fit fouetter avec son cadeau de Noël et obtient la jouissance en se soumettant à la douleur physique de 40 coups de fouets, châtiment maximum chez les romains.

Seligman conteste le nombre de coups de fouets, le code romain en faisait bien le châtiment maximum mais ils devaient être donnés par groupe de trois. Ainsi, comme le Christ sur le chemin de croix, elle n'aurait dû en recevoir que 39. Joe ne goute guère cette précision chiffrée et la juge la plus mauvaise digression Seligman. Quant au canard silencieux, il s'agissait pour K de positionner ses doigts de telle manière à ce sue l'ombre portée de ceux-ci donne l'image d'un canard bec fermé puis de les enfoncer dans le sexe de Joe. Cette facétie sexuelle est jugée charmante par Seligman qui n'ose envisager le plaisir qu'aurait donné un canard bec ouvert... et même, des milliers de canard becs ouverts.

Chapitre 7 : Le miroir

Joe tenta pourtant de s'arrêter dans sa spirale nymphomaniaque. Sa patronne ne lui avait pas laissé d'autre choix que de rencontrer un groupe de nymphomanes anonymes. Sa responsable lui indique de se défaire de tout ce qui peut la faire penser au sexe. Joe peignit les miroirs, mit du coton sur tout objet pouvant servir à la masturbation et se mit des moufles. Excédée de cette négation de soi, elle s'en vint crier sa rage au groupe : nymphomane elle était, nymphomane elle resterait.

Chapitre 8 : Le pistolet

Pour gagner sa vie, Joe contacta L. qui lui confia le soin de faire payer des débiteurs récalcitrants pour le compte de riches clients. Elle devint experte réussissant même à trouver la faille d'un homme bien sous tout rapport qui ignorait jusqu'alors sa pédophilie.

L. lui demanda de trouver une aide et lui désigna la jeune P. dont elle gagna facilement l'affection. Le jour où Joe découvrit que Jérôme était sa prochaine victime, elle laissa P. agir seule. Elle découvrit la liaison de P. et Jérôme et décida de s'enfuir vers le sud. Sur un monticule rocheux, elle découvrit l'arbre courbé qui lui correspondait. Elle décida de revenir tuer Jérôme. Son pistolet s'enraya. Jérôme et P. la tabassèrent alors. C'est là que Seligman la découvrit au début de la nuit.

Le soleil se lève chez Seligman qui conseille à Joe de dormir. Seligman, dont Joe a compris qu'il était toujours puceau, tente de coucher avec elle. Joe refuse, arme son pistolet et le tue puis s'enfuit.

Impossible sans doute d'aimer Nymph()maniac si on le lit "Nymphomaniac", si on n'y voit que le récit d'une nymphomane et non la rencontre entre une nymphe et un maniaque autour d'un sigle mystérieux, une vulve ou une pince pour saisir l'univers ou deux arcs qui ne se rencontrent pas et laissent, entre eux, s'effondrer le monde.

Il y a dans la démesure de Nymph()maniac, une tentative d'accorder la vie humaine à sa dimension cosmique. Dans le volume un, tendu vers un plaisir toujours insatisfait mais toujours espéré, cette tentative est joyeusement dynamitée par l'humour, la métaphore et le jeu. Si les variations continuent de proliférer autour de ce parcourt dans la seconde partie, le trajet qui tente d'atteindre à l'absolu s'est retourné vers le néant.

Moins aimable, cette seconde partie va bien au-delà d'un discours féministe qui permettrait à une femme d'être une anti-héroïne. Le temps d'une œuvre d'art, le temps d'une rencontre, Lars Von Trier nous fait entrapercevoir notre condition humaine dépouillée de ses atours sociaux et culturels qui masquent les gouffres de la douleur et de la plénitude qui devraient être notre quête si nous étions des héros suffisamment tragiques.

Accorder la vie humaine à sa dimension cosmique

D'un côté la femme qui se voit comme un être malfaisant, sans morale et autodestructrice, de l'autre l'homme cultivé qui lit Izaac Walton et Edgar Allen Poe, qui écoute Palestrina et Bach, qui connait la suite de Fibonacci et son analogie avec le nombre d'or et sait faire la différence entre antisioniste et antisémite. D'un côté la mère détestée de l'autre le père médecin amoureux de la nature et idolâtré. D'un côté la nymphe encore en devenir même si elle a cinquante ans, de l'autre, le monsieur je sais tout qui tente de prouver à la première qu'elle n'est pas si mauvaise. Difficile de ne pas voir une forme de misogynie dans cette dichotomie. Pourtant on peut aussi voir des personnes capables d'aller au bout d'eux-mêmes quitte à connaitre une vraie passion et de l'autre des hommes rabougris sur des désirs monomaniaques.

Et, au milieu, il y a ce sigle "()", trou noir aspirateur du vide et en même temps pince qui rapproche tout symbole trop facilement glorieux d'un autre aspect plus noir qu'il porte aussi en lui : les bourgeons noirs du grand frêne, le métal du groupe allemand Rammstein qui complète la musique de Bach sur la bande son.

Il y a, dans toute la première partie, à la fois une grande délicatesse et une grande violence dans ces rapprochements. La délicatesse des split-screen associant la polyphonie de Bach à la polyphonie amoureuse, les images en noir et blanc et en couleur, les superpositions de lettres et de chiffres, le 3+5 traumatisant qui sera développé en explication de la suite de Fibonacci, les questions en "WH" auxquelles on ne peut répondre par un simple oui ou non, l'explication géométrique d'un créneau réussi, les pièces d'un puzzle qui complètent une silhouette.

A chaque chapitre est associé une amorce, la mouche, le gâteau, l'angoisse de Poe, une K7 sur un lecteur et une photographie sur laquelle vient inscrire le titre du chapitre: sur un livre, sur une lettre, sur un napperon brodé, ou des lettres rouges sur des images en noir et blanc. L'icône russe, le miroir et la tache de café en forme du pistolet préféré de James Bond servent d'amorces à la seconde partie où le dialogue entre Joe et Seligman devient prépondérant.

Voir le monde autrement

Le fameux sigle au milieu du titre du film, Seligman nous convie à le voir sous un autre angle. Les deux arcs verticaux en forme de vulve s'orientent à l'horizontal : c'est un œil. Joe veut bien voir le monde différemment. Du-t-il n'y avoir qu'une chance sur un million, elle s'abstiendra maintenant de toute relation sexuelle. Mais à la souffrance de Joe, Seligman va continuer de proposer des explications positives. La boulimie sexuelle de la jeune femme aurait été acceptée si elle avait été un homme. Puisqu'elle a couché avec tant d'hommes, pourquoi pas avec lui. L'homme qui s'était jusque-là contenté de variations va lui aussi plonger dans une sexualité qu'il n'a pas les moyens de mener bien loin.

La sexualité est donnée dans une première partie comme un espoir permis au-delà de la souffrance et qui s'incarne dans le couple improbable de Joe et Jérôme. Lars Von Trier fiat ensuite opérer un retournement à la courbe de son récit. Elle devient pure force destructrice des faux semblants sociaux. Il faut alors se contenter du reflet du rayon du soleil sur le mur qui est parfois aussi beau qu'un coucher de soleil comme les bourgeons noir du frêne sont aussi révélateur du monde que l'arbre en pleine maturité, comme l'arbre de Joe aussi beau que le chêne de son père. Savoir détecter les signes de la beauté souffrante et fragile jusqu'à celle du pédophile qui réussit à vaincre ses pulsions, c'est voir le monde autrement.

Lars von Trier maitre de cérémonie d'une vision cosmique du monde n'aura jamais cherché à nous proposer la réconciliation charmante du porno soft. Tendu vers un plaisir hors de portée ou retournée en force destructrice, le parcours sexuel de son héroïne est une force qui disperse autour d'elle une multiplicité de signes de toute nature qu'il nous appartient de saisir comme une braise ou des flocons de neige avant qu'ils ne disparaissent dans le néant.

Jean-Luc Lacuve le 01/02/2014