A la naissance du cinéma, les effets spéciaux sont des trucages consistant en des arrêts de caméra pour substituer objet ou personnage, d’inversion du défilement de pellicule, d’accéléré ou de ralenti. La surimpression, qui consiste à impressionner deux ou plusieurs images sur le même fragment de pellicule, est un autre effet visuel (partie 1). Sont également utilisés des effets physiques optiques et chimiques réalisés en direct sur le plateau concernent la reconstitution artificielle du décor (partie 2). La transparence peut y être rattachée.
A Hollywood, dès le début des années 20, chaque grand studio fonde son département d'effets spéciaux. Comme en Europe mais dans un cadre plus industriel, beaucoup de trucages optiques sont réalisés en post-production grâce aux tireuses optiques. Elles vont généraliser la technique de l'incrustation qui consiste à intégrer dans une même image des objets filmés séparément. (partie 3)
Dès le milieu des années 70, de premières utilisations de l'ordinateur vont transformer l'industrie des effets spéciaux transformant notamment la technique du morphing. (partie 4)
1- Les premiers trucages par manipulation de la pellicule
Dans sa vue kinétoscope L'exécution de Mary, reine des Ecossais, Alfred Clark fait, en 1895, usage d’un truc par arrêt de la caméra pour représenter la mise à mort de Mary Stuart : la hache du bourreau s’élève puis s’abat lourdement sur la nuque de la reine. La tête se détache du corps et tombe sur le sol. Pour réaliser ce truc le moteur de la caméra a été arrêté au moment où le bourreau brandit la hache à la verticale ; le comédien incarnant Mary Stuart se retire de la scène pour être remplacé par un mannequin avec une tête postiche ; l’appareil de prises de vues est remis en marche et le bourreau produit son mouvement de décapitation. Afin de rendre le truc invisible, une manipulation sur la pellicule est alors nécessaire : les quelques photogrammes surexposés au moment de l’arrêt et du redémarrage du kinétographe sont coupés puis les deux morceaux de pellicules collés.
Le truc est ici mis au service d’une narration plus réaliste et ici plus saisissante pour le spectateur, la représentation d’une action. Cependant, c’est d’abord utilisé comme une fin en soi, comme attraction, que le trucage par arrêt sur caméra s’est répandu dans la cinématographie des premiers temps grâce à Georges Méliès :
"Veut-on savoir comment me vint la première idée d’appliquer le truc au cinématographe ? Bien simplement, ma foi. Un blocage de l’appareil dont je me servais au début (appareil rudimentaire dans lequel la pellicule se déchirait ou s’accrochait souvent et refusait d’avancer) produisit un effet inattendu, un jour que je photographiais prosaïquement la place de l’Opéra ; une minute fut nécessaire pour débloquer la pellicule et remettre l’appareil en marche. Pendant cette minute, les passants, omnibus, voitures, avaient changé de place, bien entendu. En projetant la bande, ressoudée au point où s’était produite la rupture, je vis subitement un omnibus Madeleine-Bastille changé en corbillard et des hommes changés en femmes. Le truc par substitution, dit truc à arrêt, était trouvé, et deux jours après j’exécutais les premières métamorphoses d’hommes en femmes et les premières disparitions subites qui eurent, au début, un si grand succès » (Georges Méliès, Revue du cinéma, 15 octobre 1929).
Dans Escamotage d'une dame au Théâtre Robert Houdin (1896), Georges Méliès transpose l’illusion la plus célèbre et la plus imitée dans les années 1880, la « femme évanescente » du magicien Buatier de Kolta qui faisait disparaitre et réapparaitre sa partenaire sur scène. L’artiste recouvrait la dame d’une nappe, exécutait des passes magiques, enlevait la nappe : la dame avait disparu ; à sa place un squelette ; il repositionnait la nappe, la dame avait réapparu. Pour réaliser ce tour, Buatier de Kolta recourait à une trappe camouflée par une fausse feuille de journal en caoutchouc fendue en son milieu sur laquelle il posait une chaise dotée d’une invisible structure de fil de fer arrondie permettant à la nappe avec laquelle il recouvrait sa partenaire de conserver sa forme au moment de l’escamotage. La dame s’asseyait puis, une fois cachée sous la nappe, passait sous la chaise truquée en en faisant basculer le siège et glissait ainsi par la trappe dissimulée sous un faux journal qui quand le prestidigitateur retirait la nappe retrouvait son apparence normale grâce à l’élasticité du caoutchouc.
Dans la transposition cinématographique, bien que Méliès expose au début de son film les accessoires dont avait besoin Buatier de Kolta, la trappe dissimulée en journal et la chaise truquée sont devenus inutiles pour escamoter la dame. Seul un arrêt caméra est nécessaire pour obtenir chaque disparition. Ou plutôt semble nécessaire car le trucage par arrêt de la caméra suppose une coupure des photogrammes surexposées à l’arrêt et à la reprise de la caméra.
Voir pages spéciales : Ralenti ; Surimpression
2 - Les effets optiques, physiques et chimiques réalisé directement sur le tournage
Pour son Voyage sur la lune (1902), Méliès combine tous les trucages imaginables. Il frappe l'astre nocturne d'une fusée miniature, simule un "lever de terre" par des toiles peintes, crée les rêves des astronautes par double exposition, filme des vues sous-marines à travers un aquarium. Les effets optiques peuvent être créés à partir de techniques de maquillage (La planète des singes, Franklin Schaffner, 1968)
Le pictographe est un procédé mis au point en 1937 par Pierre Angénieux, Abel Gance et Roger Hubert permettant d’obtenir à la fois l’image nette d’un décor situé à distance et celle d’un élément de taille réduite situé très près. C’est un système à lentille fractionnée, les lentilles pouvant être faites sur mesure selon le partage désiré (dérivés ultérieurs : pictoscope, magigraphe, électronigraphe, …) Cela permet par exemple d’utiliser une petite maquette et de l’inclure dans un décor naturel.
Janvier 1937 : en visitant un musée à Amsterdam, Abel Gance a l’idée d’un procédé qui permettrait
d’obtenir simultanément la netteté dans les différents champs de profondeur de l’image. Première application du Pictographe sur le tournage de J’accuse ! qui a lieu du 14 mai au 31 août 1937. Le 20 novembre : dépôt du brevet du Pictoscope, version améliorée du Pictographe, permettant
le remplacement des décors par des photographies ou des maquettes miniatures.
5 août 1937 : fondation de la Société d’exploitation de brevets Abel Gance et Pierre Angénieux
(S.E.B.A.G.A) par Abel Gance, Pierre Angénieux, ingénieur-opticien, et l'opérateur Roger Hubert en
partenariat avec la société Forrester-Parant Productions.Contractuellement, cette société a pour objet l’exploitation, la cession, la concession de licence en France et à l’étranger du Pictographe et de ses dérivés.
11 novembre 1937 : demande de brevet aux Etats-Unis.
1939 : les essais du pictographe sont montrés à Gregg Toland (futur directeur photo de Citizen Kane), juste avant le deuxième conflit mondial.
Entre juin et octobre 1940, Orson
Welles tourne Citizen Kane et
utilise peut-être le Pictographe à l’insu
d’Abel Gance. Tout recours étant
alors impossible tant que
le brevet n’est pas accordé
aux Etats-Unis. Le
30 septembre 1941 : le brevet pour les Etats-Unis est
enfin délivré mais mis sous séquestre à des fins
militaires ; il fait l’objet d’une nouvelle demande le 28
novembre de la même année.
Entre 1937-1958 : tractations très avancées pour la
commercialisation du Pictographe et de ses
dérivés auprès de : Technicolor, MGM, Arthur
Rank, Rockefeller Kennedy Group (RKG),
Paramount, David O'Selznick, Darryl Zanuck
(20th Century Fox). En
1952, le brevet pour les Etats-Unis est définitivement accordé.
1958 : liquidation de la S.E.B.A.G.A, abandon des
tentatives de commercialisation du Pictographe
et de ses dérivés aux Etats-Unis. 1966 : Abel Gance réalise Marie Tudor pour l’O.R.T.F., utilisant une version améliorée du Pictographe, puis Valmy en 1967
Un cache simple (mask ou matte en anglais) est un décor peint en trompe-l’œil. Le procédé de vitre peinte (matte painting) insère entre la caméra et la scène filmée des éléments fixes peints sur verre inversé qui n’existent pas dans la réalité et sont cependant nécessaires au récit, par exemple les hautes tours d'un château fort, dont ne subsiste que le bas. Ce procédé oblige à garder un plan fixe. Le moindre changement, même un ajustement de la mise au point, peut rendre évident le raccord entre la partie peinte et le reste.
Pour un effet d'écran divisé qui montre dans deux ou plusieurs zones de l’écran des actions censées se dérouler simultanément, on a utilisé des caches fixes qui divisaient l'image en fenêtres particulières. On filmait la scène qui devait se dérouler dans la première zone avec un cache qui obstruait le reste de l'image, puis on rembobinait le film jusqu'au début, repéré au préalable par un trou, un fil ou une encoche, et on filmait l'autre scène, avec un cache complémentaire.
Ainsi des maquettes (Métropolis, Fritz Lang, 1927) ou de décors peints sur toile ou sur verre (la peinture sur verre, glass painting, utilisée dès 1907, a notamment été employée pour certains décors d’Autant en emporte le vent de Victor Fleming en 1937),
Voir page spéciale : Transparence
3 - L'incrustation
Le cache mobile (en anglais, travelling matte), qui comprend implicitement son contre-cache mobile, est une amélioration du cache/contre-cache fixe. Ce travail est effectué après coup, en post-production grâce aux tieuses optiques, dont la Truca construite en France par André Debrie dès 1929, ou celle de Vernon L. Walker pour la RKO, achevée en 1932
Le but est d'obtenir l'incrustation d'un objet mobile, personnage ou autre, dans une scène, on filme d'abord normalement la partie du composite qui donne les meilleurs repères de position (bande A). Cette scène permet d'établir avec précision les mouvements de l'élément mobile à incruster. On filme ensuite ses mouvements (bande B). À partir d'un tirage positif de cette bande, on fabrique un cache où la silhouette de l'élément mobile est noire sur fond transparent et un contre-cache, où elle est transparente sur fond noir. On pose sur les quatre bandes (positif A, positif B, cache, contre-cache) et sur le négatif du futur composite des repères de synchronisation, avant le début de la scène. On expose le négatif avec la bande A et son cache, puis on revient au repère de début, et on expose à nouveau le négatif avec la bande B et son contre-cache. Le composite est terminé.
Lorsqu'on fabrique des plans d'images composites en pellicule argentique, on doit imaginer le résultat, qu'on ne verra qu'une fois le travail terminé. Les différences de distance focale d'objectif et de plongée ou de contre-plongée provoquent des modifications de la perspective entre l'élément mobile et le décor, qui peuvent servir ou contrarier les intentions dramatiques de la scène.
Fabrication des caches
La fabrication des caches peut se faire manuellement par rotoscopie. Un appareil projette image par image la bande B. Un spécialiste détoure la Chose, sur un cellulo avec beaucoup de marge. On place ensuite la silhouette noire dans le cadre en projetant la bande A. On repère les limites du cadre par les procédés normaux du dessin animé. Le procédé laisse une grande liberté pour placer l'incrustation dans le fond ; la marge permet les ajustements et les changements de taille. On photographie ensuite la silhouette sur une pellicule cinématographique « au trait ». La pellicule au trait donne une image négative noire et transparente, sans intermédiaires. On obtient donc d'abord le cache. Une copie de celui-ci sur pellicule au trait donne le contre-cache.
Pour qu'on puisse utiliser uniquement des procédés photographiques, il faut que les actions soient bien repérées l'une par rapport à l'autre dès la prise de vues. On filme la bande B sur un fond qui doit permettre un détourage photographique. Si la Chose ne comporte aucune zone claire, le fond peut être blanc ; si elle ne comporte aucune zone sombre, il peut être noir. En prise de vues en couleurs, on utilisait souvent un fond bleu uniformément éclairé ; il est rare qu'un objet comporte des zones très riches en bleu (et notamment les visages humains). Les difficultés se font sentir dans les parties fixes, où on perçoit plus les anomalies, et là où la Chose touche son fond, où la lumière de l'un affecte l'autre, si cette partie est dans le champ. On tire un positif de la bande B, puis, à partir de ce positif, une copie sur pellicule « au trait », qui est le contre-cache, si on a filmé sur fond noir, ou le cache, si on a filmé sur fond blanc ou sur fond bleu. La pellicule « au trait » est sensible uniquement au bleu. Si on a filmé en couleurs sur fond bleu, seul le fond est actinique et noircit la surface sensible. En couleurs, on peut si nécessaire renforcer la sélection de couleurs en tirant un positif spécial avec des filtres pour détacher au mieux l'image de la Chose de son fond.
Une fois obtenu un premier élément au trait, on en tire sur pellicule au trait une copie. On obtient deux bandes complémentaires, cache et contre-cache.
Normalement, les tirages s'effectuent par contact : la surface sensible de la copie touche l'image développée, les supports (acétate de cellulose) sont à l'extérieur. Dans l'original, en principe un négatif, la surface sensible se trouve du côté de l'optique, c'est le « sens négatif ». Dans la copie positive, la surface sensible se trouve du côté opposé, c'est le « sens positif ». Pour une copie avec cache, on place celui-ci au dos de la bande. L'épaisseur du support crée un très léger flou, qui n'est pas forcément nuisible. Encore faut-il qu'il n'y ait pas deux épaisseurs de support. Il faudrait donc que les deux caches soient dans le sens négatif, mais si le cache complémentaire a été obtenu par copie, il est en sens inverse de l'autre. Une tireuse optique produit des copies de sens négatif. Il faut l'utiliser au moins pour les deux caches afin que les deux aient exactement la même taille ; la moindre différence entre cache et contre-cache se voit sur l'image composite. Tous les défauts, à la prise de vues comme dans les étapes du tirage, produisent un léger décalage entre les images A et B sur le composite, qui se traduit par une sorte de cerne qui peut être visible, particulièrement si le plan dure assez longtemps.
La popularité du cinéma fantastique dans les années 30 est source de nombreuses inventions, chaque film étant souvent un défi posé à l'imagination des techniciens. L'homme invisible de James Whale (1933) demeure, aujourd'hui encore, l'un des accomplissements les plus impressionnants de cette "époque héroïque". Pour simuler les "apparitions" du personnage principal, le grand technicien John P. Fulton (1902-1965) eut en effet recours à un système complexe de cache et contre-cache.
En un premier temps, un cascadeur entièrement recouvert de velours noir était filmé dans une pièce elle-même tapissée de noir. Ainsi, seuls les habits qu'il portait imprimaient la pellicule. A partir de cet élément de film, Fulton tirait un négatif très contrasté (les vêtements clairs devenant noirs) qu'il incrustait dans l'image du décor, précédemment filmée. Sur la pellicule apparaissait donc un "cache mobile" (en anglais: "travelling matte") correspondant exactement aux positions successives des habits du personnage. Il suffisait ensuite de surimposer ces derniers pour obtenir l'effet désiré. Il en allait de même pour les scènes où l'homme invisible ôtait ses bandages. L'opération était rendue délicate par le fait qu'à aucun moment, la main gantée de noir du cascadeur ne devait passer devant ses vêtements, sous peine d'y faire apparaître une tache noire.
Ce système de cache mobile fut ensuite adapté aux films tournés en couleurs, le fond noir étant remplacé par un fond bleu pouvant être "effacé" lors de la superposition des plans. C'est grâce à cette technique que nous avons pu voir un cheval magique s'envoler dans Le voleur de Bagdad, (Ludwig Berger, 1940). En réalité, l'animal galopait sur un tapis roulant incliné puis était incrusté dans le décor du film, des êtres humains danser avec des personnages de dessins animés dans Mary Poppins (Robert Stevenson, 1964)
L'animatronique
Les effets mécaniques qui ont pour but d’actionner mécaniquement des marionnettes (le géant d’A la conquête du pôle, Georges Méliès, 1912), l'immense dragon mécanique de Nibelungen de Fritz Lang; des robots (King Kong, Ernest B. Schoedsack-Cooper, 1933) ou tous types de créatures qu’on désigne sous le terme « animatroniques » : les corbeaux des Oiseaux (Hitchcock, 1963), le requin des Dents de la mer (Steven Spielberg, 1975) et E.T., l’extraterrestre (Steven Spielberg, 1982).
King Kong est l’emblème de cet âge d’or des effets spéciaux qui s’ouvre à Hollywood a l’orée du parlant. Produit par la RKO avec comme responsable aux effets spéciaux Linwood G. Dunne, co-inventeur avec Vernon L. Walker, d’une tireuse optique révolutionnaire achevée en 1932 et abondamment utilisée pour sa réalisation, le film impliquait d’incruster des acteurs au premier plan, non seulement devant un décor de jungle, mais aussi devant des scènes tournées image par image avec des marionnettes. Pour ce faire, en plus des effets traditionnels de cache contre cache, Dunn combine toute une série de trucages optiques (la transparence, le travelling mate, mais aussi l’animation image par image de modèles réduits, les peintures sur verre, les miniatures, les marionnettes articulées)
Dans la grande majorité des plans, le singe titanesque n'est en effet qu'une figurine mesurant environ trente centimètres, et entièrement articulée. Pionnier dans ce domaine car il avait déjà animé les animaux préhistoriques du Monde perdu (Harry O. Hoyt, 1925), Willis O'Brien donna vie à Kong en le photographiant image par image, et en déplaçant légèrement le modèle après chaque prise de vue. De la sorte, une fois projetées dans leur continuité, ces images donnent l'illusion d'un mouvement, qui n'est en fait qu'une succession de poses fixes.
Pour accentuer le réalisme, O'Brien plaça la figurine de King Kong au milieu d'un décor miniature complété par quelques peintures sur verre. Des éléments filmés séparément (les acteurs en particulier) étaient projetés sur un petit écran situé en arrière-plan. Par ailleurs, pour quelques scènes, des morceaux du corps de l'animal furent construits à taille réelle, le plus célèbre d'entre eux étant la main mécanique qui saisit Fay Wray.
Après King Kong, de nombreux films fantastiques tirèrent
parti des possibilités de l'animation tridimensionnelle. Ray
Harryhausen, notamment, est l'auteur d'une étonnante galerie de monstres
en tout genre : cyclope et femme-serpent dans Le septième voyage de Sinbad (Nathan Juran, 1958), harpies et squelettes vivants dans Jason et les Argonautes (Don Chaffey, 1963), dinosaures
dans La Vallée de Gwangi (Jim O'Connolly, 1969), Méduse dans Le choc des Titans (Desmond Davis, 1981),
tous animés avec la précision et la patience extrême que
nécessite ce procédé. Dans Le dragon du lac de feu (Matthew Robbins, 1981) la créature
mythique du film semble bouger naturellement, sans présenter les défauts
(saccades, etc.) qui caractérisent généralement cette
technique. Ce splendide résultat a été obtenu grâce
à un outil qui est devenu la clé des effets spéciaux
modernes : l'ordinateur.
3/ le temps de l'ordinateur
Pour 2001: L'odyssée de l'espace (1968), Stanley Kubrick refuse d'utiliser le système du "fond bleu" généralement employé pour greffer des vues de maquettes d'engins spatiaux sur un fond étoilé. Les caches mobiles du film furent donc créés à la main, le contour de chaque vaisseau étant soigneusement reporté image par image sur la pellicule. Cette technique extrêmement artisanale (proche de celle du dessin animé) avait déjà cours au temps du muet, mais Kubrick la porta à la perfection... Au prix d'un travail, d'un budget et d'un temps phénoménaux, puisque le tournage dura près de trois ans.
En 1975, cependant, quand George Lucas met en chantier La guerre des étoiles, il doit trouver un moyen plus économique de simuler des combats spatiaux en surpassant tous ceux qui les avaient précédés à l'écran. C'est le technicien John Dykstra qui lui apporte la solution. Il filme chaque astronef séparément, devant un écran bleu, avec une caméra mobile (la maquette restant immobile) dont les mouvements sont contrôlés électroniquement à distance. Déterminés et enregistrés par un ordinateur, ces déplacements pouvaient être indéfiniment répétés au millimètre près. Grâce à cette précision, il est possible de superposer un grand nombre de plans séparés - plusieurs vaisseaux spatiaux, des rayons laser, des acteurs, des vues de planètes, etc. - en une seule image.
Aussi, l'électronique et l'informatique faisaient-elles officiellement leur entrée dans le monde du cinéma. Par la suite, leur rôle n'a cessé de croître. Les studios Disney y eurent largement recours pour Le trou noir (Gary Nelson, 1979) avec notamment le "matte scan", une caméra dirigée par ordinateur pouvant effectuer des travellings ou des zooms sur des peintures sur verre (avec surimpression d'acteurs, de maquettes, etc.). Plus qu'un simple outil, l'ordinateur est aussi devenu un véritable instrument de création.
En 1982, TRON a montré que les images de synthèse,
générées grâce à des programmes informatiques,
ouvraient un champ technique et esthétique entièrement neuf.
Ces images sont le résultat d'un processus complexe. Toutes les dimensions
des objets à représenter doivent être fournies à
la machine. Celle-ci est alors capable d'en réaliser un dessin en perspective,
puis, selon les instructions qui lui sont données, d'attribuer une
couleur et une luminosité à chacun des millions de points ("pixels")
qui composent l'image. Enfin, le résultat qui apparaît sur un
écran est transféré sur pellicule.
Starfighter (Nick Castle, 1984) est l'un des tout premiers films à présenter un vaisseau spatial réaliste en images de synthèse conçu sur un supercalculateur, le film contenant plus d'une vingtaine de minutes de scènes spatiales entièrement virtuelles.
En 2002 : Panic Room franchit un nouveau pas vers une virtualisation de la caméra. La caméra virtuelle, devient une des figures principales du film, un personnage immatériel, intrusif, omnipotent qui investit et hante par ses mouvements continus et multidirectionnels et par son regard autonome et sans corps "l'esprit" de la maison où, retranchées dans une pièce refuge pour échapper à des cambrioleurs, s'enferment Mag Altman (Jodie Foster) et sa fille Sarah (Kristen Stewart). Le plan de deux minutes et quarante secondes qui intervient à la quinzième minute du film, au moment où les trois cambrioleurs explorent toutes les voies possibles (porte, fenêtre, baie vitrée, puits de lumière...) pour s’introduire par effraction dans la demeure est assurément la manifestation la plus spectaculaire des pouvoirs de la caméra virtuelle.
La caméra part du lit où est allongée Jodie Foster, descend le long d'une cage d'escalier jusqu'au rez-de-chaussée, glisse vers une fenêtre d'où l'on voit au travers des barreaux arriver dans l'obscurité des cambrioleurs; elle s'avance vers une porte dont elle semble vouloir traverser la serrure qu'un cambrioleur essaie en vain de forcer; accompagnant de l'extérieur les déplacements des cambrioleurs qui, à l'extérieur de l'appartement, cherchent un moyen de pénétrer les lieux, elle longe la fenêtre à barreaux puis traverse rapidement la cuisine, survole le plan de travail, se faufile à travers l'anse d'une cafetière pour rejoindre une porte-fenêtre qu'un des voleurs essaie d'ouvrir; alors que l'on voit le voleur s'engager dans les escaliers de l'immeuble, la caméra, dans un mouvement continu et fluide, le suit à l'intérieur, monte les étages en traversant le plancher, passe devant la chambre où dort Jodie Foster et s'élève jusque sous le puits de lumière au dessus de l'appartement où un cambrioleur, introduisant une barre dans une trappe en fer qui finit par céder (fin du plan), déclenche un signal que Jodie Foster endormie n'entend pas.
Dans ce plan qui, tout en suivant l'intrusion des cambrioleurs dans la maison, construit l'espace scénique, à la fois visuel et mental, dans lequel va se dérouler le huis clos, aucune coupe visible, aucun obstacle matériel ne semble pouvoir stopper le déplacement continu et fluide de la caméra. Celle-ci voit son rôle et son statut redéfinis. Libérée des contraintes physiques, elle exhibe son immatérialité et affiche son mouvement comme pur effet spécial ne cherchant plus à mimer un regard humain ou à simuler, comme souvent dans les films en images de synthèses, les travellings, panoramiques et effets de mise au point d'une caméra réelle"
Source : Vincent Amiel et José Moure : Histoire vagabonde du cinéma (Éditions : Vendémiaire, 2020).
Principaux films :
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Panic Room | David Fincher | U.S.A. | 2002 |
Europa | Lars von Trier | Danemark | 1991 |
Coup de coeur | Francis Ford Coppola | U.S.A. | 1982 |
E.T., l’extraterrestre | Steven Spielberg | U.S.A. | 1982 |
Les dents de la mer | Steven Spielberg | U.S.A. | 1975 |
La planète des singes | Franklin Schaffner | U.S.A. | 1968 |
Persona | Ingmar Bergman | Suède | 1966 |
Les oiseaux | Alfred Hitchcock | U.S.A. | 1963 |
Vertigo | Alfred Hitchcock | U.S.A. | 1958 |
La maison du docteur Edwardes | Alfred Hitchcock | U.S.A. | 1945 |
Autant en emporte le vent | Victor Flemming | U.S.A. | 1937 |
King Kong | Ernest B. Schoedsack | U.S.A. | 1933 |
Métropolis | Fritz Lang | Allemagne | 1927 |
A la conquête du pôle | Georges Méliès | France | 1912 |
Escamotage d'une dame au Théâtre Robert Houdin | Georges Méliès | France | 1912 |
L'exécution de Mary, reine des Ecossais | Alfred Clark |