Bushman

1971

Genre : Drame social

Avec : Paul Eyam Nzie Okpokam (Gabriel), Mike Slye (Le motocycliste), Elaine Featherstone (Alma), Lothario Lotho (Le frère d'Alma), James Earl Garrison (Un ami), Ann Scofield (La fille blanche) Shermane Powell (La serveuse noire), Jack Nance (Felix), David Schickele (Mark), Donna Michelson (Diane), Timothy Near (Susie), Patrick Gleeson (Marty), David Major (L'ami noir), Curtis Branch (Lui-même). 1h13.

En 1968, Martin Luther King est assassiné et la guerre du Biafra entraîne une terrible famine. Gabriel a fui le Nigéria et vit à San Francisco depuis trois mois. Il rentre en ville pieds nus, ses baskets en équilibre sur sa tête. Le motocycliste qui le prend en stop a du mal à croire qu’un africain venant d’un pays où les femmes dansent seins à l’air puisse être enseignant ici et leur apprendre quelque chose. Pour se distraire,  il demande à Gabriel de lui raconter quelque chose dans sa langue. Gabriel raconte que tout exilé est un fantôme en terre étrangère.

Quand Gabriel monte les escaliers qui le mènent chez lui, il se souvient de la difficulté d'accès à son village, Okanga Mkpansi au bord de la rivière; il fallait prendre le bac et marcher beaucoup. Le soi,r il écoutait des contes avec sorcières et profitait des fêtes qui durent des semaines. Il souhaite que son amie, Omotop Omonyema ne parte pas et reste avec lui. Sur le balcon, il lui raconte sa rencontre avec un flic qui a respecté son statu d’étranger africain. Elle aperçoit une lettre en provenance du Nigeria; il n’en recevait plus depuis le début de la guerre civile. Ils décident de sortir pour aller au  bar de Jimmy

Alma tente de lui apprendre l'accent de Watts où elle a l'intention d'aller bientôt. Elle l'entraîne dans le bar encore désert où elle danse sur "Respect" d'Areta Franklin.; il raconte les jours heureux de son enfance, les repas qui duraient une semaine, les mystères terrifiant que l'on racontait, les rites d’initiation. A Watts, elle a vécu son adolescence et regrette que les plus droits et les plus intelligents soient en prison. Gabriel avoue avoir laissé chez lui Patience et leur enfant.

Alma part à Los Angeles, elle est conduite à l'aéroport par son frère dans une vieille voiture. Gabriel va sur la plage et ramène une buche. Il a fréquenté les prêtres pour qui tout était péché. Au prêtre il dit qu'il a forniqué 1000 fois dans l'année. Il rit quand le prêtre lui dit qu'il a vécu un enfer. Gabriel rencontre une fille blonde dans un bar. Il discute avec elle la nuit dans ce bar où la serveuse noire est indignée qu'il se comporte avec l'arrogance d'un étranger. La femme blonde étudie la sociologie; elle le trouve l'archétype de l'homme bien dans sa peau. Ils passent la nuit ensemble. La fille le jette au matin ; il ne s’en offusque pas : Les 27 ans passés en Afrique ont été les plus heureux

Il a toujours eu envie de voyager, de prendre un bateau et de partir. Il ne trouve pas d'emploi ; il voudrait ne pas porter de costume mais son habit traditionnel est pris pour cela par Felix, le jeune homme gay qui, sous prétexte de l'engager, cherche une relation sexuelle. Gabriel accepte qu’il le prenne dans ses bras et s'en va. Il avait déjà connu un prêtre qui lui avait fait des avances. Son père le place chez un tailleur

Gabriel passe des vacances au Canada avec Mark, Diane et Susie dont il partage la tente. Susie dit en rentrant à Marty,son compagnon, qu’il ne s'est rien passé : elle a seulement discuté avec Gabriel. En fait ils ont été beaucoup plus proches. Il raconte être allé à la fac même si c'était mal vu des anciens. Il s'est engagé politiquement : les anglais sont partis même si hymne national est composé par une Anglaise. Il a adhéré à un syndicat pour parler d'élections et sortir des pratiques d'achats des votes. Des militaires sont arrivés pour les disperser.

Susie a rompu avec Marty. Un mois après retour : les leaders avaient été expulsés. Il a une licence mais c'est lui qui prend trop fort la parole.

Un ami noir vient dire qu'au milieu du film que Paul Okpokam a été expulsé. Shiekele dit que la réalité fut plus rapide et plus étrange que la fiction. Nous sommes maintenant en juin 1971, les immeubles ont changé, seul le parcmètre est resté identique

Paul Opokum travaillait à l'université d'état de San Francisco dispensant des cours de littérature africaine a des étudiants venus spécialement suivre comme lui sa maitrise en art dramatique. Alors que Paul quittait le campus pris d'assaut par la police, il fut arrêté par un flic en civil. Emmené au toilette, tabassé arrêté pour tentative d'attentat, une trentaine de flic l'enferme dans une voiture et font exploser la bombe miniature sur le toit. Il est terrorisé libéré sous caution, il est devenu parano. Vingt jour plus tard, il est arrêté de nouveau. Il avait fuit avec un revolver et fut un moment accusé de braquage. L'inculpation ne fut pas retenue mais l'immigration tente toujours de le faire partir. Il passe quatre mois en prison avant jugement. Deux à cinq ans de prison, voit un ami qui lui demande des cigarettes, menacé de saint Quentin, finalement expulsé en décembre 1969 après presque un an de prison.

Relatant les tribulations de Gabriel, jeune Nigérian réfugié à San Francisco, le film reflète les frictions intimes et raciales des tumultueuses années soixante. La mise en scène de David Schickele grâce à une image d’une somptueuse beauté, un sens du cadrage et du montage très aiguisé, une utilisation virtuose de la musique réussit à mixer un certain cinema vérité français de la décennie précédente Chronique d'un été (Jean Rouch, 1961), Petit à petit (Jean Rouch,1971) ou américian On the Bowery (Lionel Rogosin, 1957), Primary (Robert Drew,1960), Titicut folies (Frederick Wiseman, 1967), Monterey Pop (D. A. Pennebaker, 1968) avec des fictions sociales néoréalistes : Le petit fugitif (Moris Engel, 1953), The savage eye (Joseph Strick, 1960), Shadows (John Cassavetes, 1961), Wenda (Barbara Loden, 1970)

Un inédit US qui change l'histoire du cinéma américain

Bushman est un film inédit en France, mais fait plus étonnant encore, dans son pays d’origine, aux USA. Cela tient à ses conditions de production, à l’incident qui interrompit son tournage et retardèrent son achèvement, mais surtout parce que ce film était trop déstabilisant pour l’industrie américaine de l’époque. Le racisme ambiant, les turbulences dues au mouvement contestataire et à l’émergence des Black Panthers, la vision qu’il montre à la fois de la bourgeoisie blanche et de la communauté afro-américaine étaient trop à rebours des idées reçues pour être montrable dans les cinémas américains. Ce film étonnant naquit simplement de la rencontre et de l’amitié entre un jeune réalisateur américain blanc et un jeune intellectuel nigérian refugié aux USA, dans ce San Francisco au cœur des mouvements politiques, sociaux et culturels qui vont générer la modernité de l’Amérique des années 70 avec les grands genres revisités par la contre-culture ainsi des westerns The shooting (Monte Hellman, 1966), L'ouragan de la vengeance (Monte Hellman, 1966) ou des road-movie : Easy rider (Dennis Hopper, 1969), Zabriskie point (Michelangelo Antonioni, 1970), Macadam à deux voies (Monte Hellman, 1971), Point limite zero (Richard Sarafian, 1971).

Il anticipe surtout ce qui va devenir la contestation noir américiane avec les cinéastes de L. A. Rebellion ou ceux de la blackexploitation : Sweet Sweetback's Baadasssss Song (Melvin Van Peebles, 1971), Killer of sheep (Charles Burnett, 1978), Bush mama (Haile Gerima, 1979), Daughters of the dust (Julie Dash, 1991).

Une réalité plus étrange et plus violente que la fiction

La réalité ne fut pas plsu étrange que la fiction, juste plsu rapide. La vérité des faits devient ici plus étrange que la fiction, dans ce portrait cinématographique rare, à la fois documentaire et fictionnel, dans son approche des événements réels. Elle juxtapose la vie quotidienne africaine et de la vie urbaine californienne, en particulier dans les flashbacks soudains sur le village nigérian de Gabriel, dont la poésie contraste avec les problèmes matériels de la vie à San Francisco. Pour la première fois dans le cinéma américain, un Africain éduqué élucide sans détour l’incapacité déconcertante de la société américaine à vivre de manière humaniste, chaque occasion de le faire étant soit ignorée, soit contrecarrée. Parce que l’on commence à voir la vie des Afro-Américains à travers les yeux d’un Africain expatrié, certaines révélations se produisent - dans une salle de bar déserte, Gabriel et sa petite amie noire conversent. Elle tente de lui enseigner les inflexions du dialecte afro-américain, avec un manque de succès humoristique, puis se lance dans un monologue plein de tristesse décrivant son enfance dans le quartier de Watts. C’est une description improvisée et touchante qui nous en dit plus sur les femmes noires et leur capacité à interpréter l’enfermement de leurs hommes dans le racket ou le proxénétisme, mieux que n’importe quel texte sociologique.

Issu d’une des grandes familles, Paul s’engage dans les mouvements de contestation politique au Nigeria. Avec le déclenchement de la guerre, il s’exile aux USA. Après son retour au pays, Paul Okpokam écrit des pièces de théâtre. Au moins trois d’entre elles ont été publiées : Ngun: an African Play in Three Acts, The Inheritor et The Ancestral Spear. Il dirigera également un centre culturel régional. Il est décédé le 9 septembre 2018 à l’âge de 78 ans.

Jean-Luc Lacuve, le 30 avril 2024