Sur le tarmac de l'aéroport de Los Angelès, Billy et Wyatt, surnommé "Captain America", viennent de négocier une importante quantité de drogue avec le mystérieux Connection. Ils sont maintenant assez riches pour s'offrir deux sompteuses motos et réaliser leur rêve : partir pour la Nouvelle-Orléans afin d'y être à temps pour Mardi Gras. Wyatt cache les billets dans le réservoir de sa moto, jette sa montre et voilà les deux amis partis. Leurs longs cheveux et leurs motos aux peintures psychédéliques inquiètent les populations locales qui leur refusent régulièrement le gîte.
Il rencontrent toutefois un fermier qui les invite à manger et une communauté hippie qui tente de survivre en semant des graines sur un sol aride.
Billy et Wyatt se retrouvent finalement en prison pour avoir participé à une parade illicite et ils y font la connaissance d'un avocat alcoolique, George Hanson, qui décide de les suivre dans leur randonnée.
Mais les trois hommes, qui sont devenus trois amis, sont attaqués en pleine nuit par un groupe d'hommes décidés à les lyncher. Hanson meurt après avoir été sauvagement frappé. Billy et Wyatt continuent leur route et atteignent la Nouvelle-Orléans. Ils assistent au carnaval avec deux prostituées puis prennent du LSD.
Ils repartent ensuite. Un conducteur de camion qui voulait faire peur à Billy tire et le blesse mortellement. Wyatt trouve la mort de la même manière, abattu par le conducteur du camion.
Le road-movie se fait d'ouest en est : Billy et Wyatt sont partis de l'aéroport de Los Angeles. Ils franchissent la rivière Colorado et entrent en Arizona. Ils traversent le Nouveau-Mexique et le Texas avant de rejoindre la Louisiane et La Nouvelle Orléans. Ce voyage à contre-courant de celui des pionniers est un voyage intérieur pour tenter de se retrouver : "Faut que je me retrouve (Well, I'am just getting my thing together)" dit Wyatt tout en affirmant n'avoir jamais voulu être quelqu'un d'autre que lui-même. Il incarne le présent insouciant mais déjà évanoui de la révolution des fleurs, tandis que Billy finit par avouer l'étroitesse de ses rêves petit-bourgeois. Hanson, l'avocat des minorités, charrie avec lui les combats pour les droits civiques et tente d'établir un dialogue entre eux et un milieu d'origine conservateur
Volonté de retrouver un accord avec la nature. Wyatt jette sa montre comme premier geste de renoncement à la civilisation. Il répare ensuite le pneu de sa moto comme le maréchal ferrant ajuste le fer à son cheval. Première rencontre idyllique avec le paysan marié à une mexicaine chrétienne avec leur nombreuse progéniture : "C'est bien votre ferme. Tout le monde ne peut pas arriver à vivre de la terre. Vous faites ce que vous voulez quand vous voulez. C'est ça être libre".
La première liaison entre deux lieux, entre la casse mexicaine et l'aéroport de Los Angeles, se fait par l'intermédiaire du son, celui assourdissant des avions. Ensuite ce seront les flashs mentaux qui seront privilégiés (du premier refus d'hébergement au feu de camps, du feu de camp le soir au départ du matin, du repos avant de rejoindre la communauté hippie au départ pour celle-ci). Autre élément formel notable : le panoramique circulaire pour saisir chacun des membres de la communauté hippie.
A huit jours du carnaval de La Nouvelle Orléans, ils se posent dans la communauté hippie de Jésus. Celui-ci avait refusé de dire à Billy d'où il venait : "Je suis d'une ville, n'importe quelle ville. C'est pour ça que je suis ici car elles sont toutes pareilles entre elles". Ce rêve d'une société hors du temps, George Hanson la reprendra lors de sa dernière discussion avec Wyatt et Billy exprimant que la société ancienne dans laquelle ils vivent est déjà infiltrée par une société idéale d'extra-terrestres. Le mythe du libéralisme américain est ramené à sa réalité mesquine : "Ils parlent de liberté individuelle mais s'ils voient un individu libre, ils prennent peur".
Le meurtre de George Hanson marque le point de bascule du film. Il intervient pour Billy et Wyatt comme un réveil brutal, le moment du désenchantement. Après la disparition de Hanson, la route est toujours là mais son désir n'y est plus. Le film s'enfonce dans une Amérique post-industrielle grisâtre qui tranche avec les paysages majestueux du début et Hopper opte pour un montage plus abrupt qui encadre les deux motards dans des plans serrés. Surgit une Amérique violente, bien décidée à faire le deuil des promesses libertaires portées par les années 60 (le meurtre de Sharon Tate en aout 69 à los Angeles par la famille Manson, le drame du concert des Rolling Stone en décembre 1969, l'Amérique s'embourbe au Viet Nam et les espoirs révolutionnaires portés par la contre-culture tournent court.
Dans The house of blue lights, où ils rencontrent Mary et Karen, Wyatt a l'intuition de sa mort dans un flash mental où il voit la moto qui brûle comme si déjà leur rêve s'était perdu : "'C'est à la mort que la réputation est jugée bonne ou mauvaise" avait lu Wyatt juste avant sur l'affichette". Seule l'échappée dans la drogue permet une dernière approche douloureuse, sexuelle, mystique, sentimentale et désespérée (le retour obsédant au baiser sur la joue de la statue grecque ou l'énoncé: "notre créateur" sur un écran devenu blanc).
Cet échec, Wyatt l'exprime une dernière fois lors du feu de camp alors que Billy se réjoui ; "On y est arrivé. On a de l'argent et on est libre. On est riche Wyatt. On peut passer notre retraite en Floride", il répond : "On a déconné (we blew it). On a déconné". Et Hopper de rejouer plusieurs fois le même plan des deux motards de dos repassant devant la pancarte "Early times". Il pourra ensuite les abandonner à leur triste sort des victimes de la bêtise américaine, tués par accident puis achevés par peur par les deux paysans : "Ils parlent de liberté individuelle mais s'ils voient un individu libre, ils prennent peur" avait dit Hanson.
Jean-Luc Lacuve le 23/02/2008