Kita-Kamakura station. Noriko vient à l'invitation de sa tante pour la cérémonie du thé au temple Engaku. Dans le pavillon Kôkô, elles y retrouvent d'autres femmes. Puis, Noriko rentre chez elle où son père et son élève, Shuichi Hattori, font des recherches pour un manuscrit universitaire.
Le lendemain, Noriko accompagne son père à Tokyo qui présente son manuscrit à l'université. Elle fait des courses et rencontre Jo Onodera un collègue et ami de son père avec qui elle se rend dans une exposition au musée municipal avant de faire des courses à Ueno. Ils déjeunent dans un bar. Noriko dit avoir de la peine pour la fille de Jo, Misako, qui subit le remariage de son père. Elle lui assène, avec un sourire et une douceur infinie, qu'elle trouve "odieux" et "dégoûtant" qu'il se remarie.
Le soir alors que le père est déjà rentré, Noriko revient avec Jo. Elle est rassurée sur sa santé : sa tension est redescendue après les difficultés de la guerre. Jo rapporte en plaisantant les propos de Noriko sur son remariage, "odieux" et "dégoûtant". D'ailleurs dit-il sa fille Misako doit partager cet avis puisqu'elle refuse de se marier avant 24 ans et affirme que "le mariage est la fosse de la vie". Le père pense qu'il est temps que Noriko se marie.
Le lendemain midi, Noriko et Hattori vont faire une longue promenade en vélo le long de la mer jusqu'à Chigasaki. Ils parlent de jalousie. Alors qu'elle reçoit le père chez elle, la tante s'offusque que, au mariage où elle est allée la veille, la mariée ne semblait pas émue de quitter ses parents. Le père pense qu'il s'agit d'une évolution normale. En rentrant, le père apprenant la balade en vélo de Noriko, est persuadé que sa fille aime Hattori. Il lui demande si elle l'épouserait. Noriko rie : Hattori est fiancé et va bientôt se marier. Ils devront prochainement lui faire un cadeau.
A Tokyo, Noriko interroge Hattori sur ce cadeau. Mais il souhaite surtout l'inviter au concert. Noriko décline : "Pas de couteau assez tranchant, les tranches de cornichons restent collés"; elle n'est pas jalouse et ne veut pas prendre la place de la fiancée. Hattori assiste ainsi seul au concert de violon.
Aya, sténodactylo attend le retour de Noriko et discute un peu avec le père. Elle est divorcée et doit donc avoir un travail. Lorsque Noriko rentre, elle lui fait remarquer que sur la quinzaine de leurs camarades d'école seule Noriko et une autre jeune fille ne sont pas mariées.
La tante a invité Noriko chez elle. Elle lui présente Akiko Miwa, sur le départ. Elle lui propose un bon parti bonne famille, 34 ans, travaille à la Netto chemicals, il ressemble à Gary Cooper (vainqueur du destin de Sam Wood, 1942). Noriko décline car elle ne veut pas laisser son père seul. La tante lui apprend alors qu'elle a parlé mariage à son père et lui a même présenté Akiko Miwa. Noriko en est bouleversée et ne parvient pas à parler à son père en rentrant.
Un matin, Hattori vient leur rendre visite pour leur remettre les photos de son mariage. Mais Noriko et son père sont partis assister à une pièce de théâtre Nô à Tokyo. Le spectacle, Kakitsubata (Iris des prés), montre la protagoniste principale, le shite, qui s'est métamorphosée en l'esprit de la fleur, donner libre cours à sa nostalgie pour un homme qu'elle avait aimé jadis. Le père et Noriko sont subjugués jusqu'à ce que Noriko soit meurtrie lorsqu'elle voit son père saluer Akiko Miwa, elle aussi spectatrice. Désemparée, Noriko refuse ensuite de déjeuner avec son père et rejoint Aya, avec qui elle se fâche quand, constatant qu'elle ne va pas bien, elle lui conseille de se marier plutôt que d'apprendre la sténodactylo. En rentrant, son père lui conseille de voir M. Kumataro Satake, le prétendant proposé par la tante. Il acquiesce de la tête quand elle lui demande s'il a l'intention d'épouser Akiko Miwa. Noriko pleure dans sa chambre.
Une semaine après, la tante et le père sont au Engaku-ji. La tante est inquiète du silence de Noriko et demande au père de la presser de donner une réponse pour le soir. Elle est persuadée que les deux jeunes gens ont du se plaire. Elle trouve un porte-monnaie et pense qu'il s'agit d'un bon présage (elle le garde donc pour elle).
A Tokyo, Noriko confie à Aya que le prétendant lui a plu : il jouait au basket et ressemblait à Gary Cooper. Le soir, alors que la tante est plus insistante que jamais, elle accepte de se marier.
La pagode de Yasaka au temple Hokan. Noriko et son père sont à Kyoto. Ils font un dernier voyage ensemble avant le mariage. Ils visitent la ville et déjeunent au restaurant Hyotei. Lors de la visite du temple Kiyomizu, Noriko regrette sa grossièreté envers Jo Onodera mais n'a pas le temps de dire a son père qu'elle trouve aussi déplaisant son remariage : il dort.
Devant le Jardin de pierres de Ryōan-ji, le père et son ami Jo Onodera philosophent sur la condition de père d'une fille : "Si elle ne se marie pas, tu as des soucis, si elle se marie, tu as de la peine". Comme ils vont partir, Noriko supplie son père : "Mon plus grand bonheur est d'être avec toi. S'il te plait, on peut rester comme on est. Je ne crois pas que le mariage me rendra plus heureuse". Le père, la sermonne. Il a 56 ans et veut qu'elle se marie : "La vie humaine et l'histoire sont ainsi. N'attends pas le bonheur. Construit-le toi-même. Le mariage ce n'est pas le bonheur automatique. C'est créer une vie nouvelle qui amène au bonheur. Le bonheur vient avec l'effort."
Jour du mariage. Le père reçoit Hattori. Il a passé sa lune de miel à Yugawara, là où ira bientôt Noriko. Il reçoit les remerciements de Noriko habillée en mariée avec la valise que porte la tante. Le soir du mariage, il boit du saké avec Aya dans son bar préféré de Tokyo. Il lui avoue avoir menti au sujet de son mariage avec Akiko Miwa. Il n'a jamais voulu se remarier. Ce n'était qu'un pieux mensonge pour que Noriko accepte de se marier. Aya se réjouit de cette nouvelle et promet qu'il ne restera pas seul. Elle viendra lui rendre visite.
Le soir, le père rentre chez lui. Personne n'est là pour l'accueillir. Il enlève seul ses vêtements de cérémonie et pèle lentement une pomme. Dehors la mer et les vagues.
Premier des films d'Ozu qui exalte le sentiment zen de l'impermanence (Mu jô) au travers du traitement exclusif du thème la désagrégation de la famille. Cette plénitude menacée par le changement, Ozu la magnifie en figurant le temps lui-même. Tel un peintre asiatique alternant les pleins (des natures mortes) et des vides (des espaces sans présence humaine). C'est sa manière d'accueillir le temps qui passe en sage zen.
Une plénitude menacée par le changement
Le sentiment de la plénitude des choses est donné dès la scène initiale avec la longue scène introductive de la cérémonie du thé à laquelle n'assistent que des femmes. On y parle de choses simples, un pantalon à transformer en short, et la musique douce ponctue les regards gracieux de ces femmes tout aussi bien que les plans de coupe sur la nature; toujours là indifférente aux complications que les hommes mettent inutilement à agiter l'eau qui dort. Même sentiment de plénitude dans la séquence suivante de l'étude des textes : lorsque le père et son élève, Shuichi Hattori, font des recherches pour un essai en retrouvant l'orthographe de Friedrich List (sans Z) 1811-1886, autodidacte et économiste réputé.
Ce sentiment de plénitude, on le retrouve enfin avec le Jardin de pierres de Ryōan-ji où le père et son ami, Jo Onodera, qui l'accueille, lui et sa fille, parlent de leur difficulté de père de fille à marier. Moment fugace qui précède le retour à Tokyo pour le mariage.
Car la plénitude n'est atteignable pour les hommes qu'avec le sentiment aigre-doux que les choses sont amenées à changer, à suivre leur cours. Socialement cela se traduit par l'implantation au Japon des modes de consommation américains (publicité pour Coca-Cola) et les conséquences souterraines de la défaite. Noriko a été marquée par les privations, ce n'est que quelques années après la fin de la guerre qu'elle retrouve une tension normale. Sa mauvaise santé avait aussi contribué à éloigner la possibilité d'un mariage.
La tante de Noriko, parfaite représentante de la tradition, se désole : au mariage où elle est allée la veille, la mariée mangeait et buvait. "Les jeunes ont bien changé de nos jours. La mariée d'hier soir était de bonne famille mais elle mangeait de tout et elle buvait. De sa bouche bien rouge, elle dévorait le poisson. J'étais ahurie. Elle ne semblait pas émue de quitter ses parents". Ce à quoi le père répond : "Pourquoi la blâmer ? Elle avait faim". La tante réplique qu'elle n'avait rien mangé le jour de son mariage. Mais le père pense que, maintenant, la tante mangerait aussi. Il sous-entend ainsi que l'attachement aux parents s'est bien amoindri.
Le temps dessiné par des espaces vides et des natures mortes
Le changement, l'oeuvre du temps, Ozu le magnifie. Les espaces vides et les natures mortes rendent en effet sensible le temps lui-même. Dans la banalité quotidienne, l'action n'a presque plus de place (la rencontre entre Noriko et son prétendant n'est pas montrée; on ne voit jamais le futur mari à l'écran). L'action tend ainsi à disparaitre au profit de situations optiques pures qui mettent les sens dans un rapport direct avec le temps, avec la pensée. La nature n'intervient pas dans un moment décisif ou dans une rupture manifeste avec l'homme quotidien. La splendeur de la nature, d'une colline, d'un arbre majestueux ou de la mer ne nous dit qu'une chose : tout est ordinaire et régulier, tout est quotidien. La nature se contente de renouer ce que l'homme a rompu, elle redresse ce que l'homme voit brisé. La vision de la nature redresse l'ordre des séries, troublé par l'agitation des hommes, et restitue une nature immuable et régulière
Les espaces vides qui en magnifient la présence, ce sont les intérieurs ou extérieurs de maisons sans personnages et sans mouvement, les extérieurs déserts ou les paysages de la nature (Le plan du linge, le dernier plan, sur les vagues alors que le père est seul le soir). Ils constituent des situations purement optiques. Ils prennent chez Ozu une autonomie, même dans le néo-réalisme qui leur maintient une valeur apparente relative (par rapport à un récit) ou résultante (une fois l'action éteinte). Vidés de contenu dramatique, ils atteignent à l'absolu, comme contemplations pures.
Les natures mortes en sont l'envers, le corrélat. Elle se définit par la présence et la composition d'objets qui s'enveloppent en eux-mêmes ou deviennent leur propre contenant : ainsi le long plan du vase presque à la fin du film. Il intercale entre le demi-sourire de Noriko et ses larmes naissantes. Il y a devenir, changement, passage. Mais la forme de ce qui change, elle, ne change pas, ne passe pas. C'est le temps en personne, "un peu de temps à l'état pur " : une image-temps directe, qui donne à ce qui change la forme immuable dans laquelle se produit le changement. La nature morte est le temps, car tout ce qui change est dans le temps, mais le temps ne change pas lui-même. Les natures mortes d'Ozu durent, ont une durée, les quatre et huit secondes des deux plans du vase : cette durée du vase est précisément la représentation de ce qui demeure, à travers la succession des états changeants. Au début du film la bicyclette aussi durait, c'est à dire représentait la forme immuable de ce qui se meut, à condition de demeurer, de rester immobile, abandonnée pour un temps au milieu des dunes. La bicyclette, le vase, ces natures mortes sont les images pures et directes du temps. Chacune est le temps, chaque fois, sous telles ou telles conditions de ce qui change dans le temps.
Accueillir les temps qui changent
La magnificence de la mise en scène du temps n'exonère pas Ozu de porter un regard sur ses personnages. La caméra d'Ozu se place à peu de hauteur du sol ou du plancher, là où la clarté légèrement dorée de la paille du tatami est source de lumière- et où elle n'est l'expression de personne. Pour Ozu, le regard n'instaure pas mais accueille, en étant lui même situé dans l'ouvert du monde, et non devant lui dans la séparation d'avec son objet. Ainsi le monde se révèle dans l'ici et maintenant, dans la singularité de chaque moment. Et les personnages ne deviennent pas des types, des idées et des universels singuliers, comme il conviendrait à des intrigues ayant un sens allégorique ou symbolique implicite.
La morale du film est difficile à admettre aujourd'hui tant elle est celle de l'acceptation, du devoir et de l'effort. L'amour partagé y semble avoir peu de place et le père ne peut donner à sa fille qu'une morale qui est celle qui l'a soutenu. Le père qui lit Ainsi parlait Zarathoustra (le livre qu'il met dans sa valise à Kyoto) donne sa leçon de vie à sa fille : "La vie humaine et l'histoire sont ainsi. N'attends pas le bonheur. Construis-le toi-même. Le mariage ce n'est pas le bonheur automatique. C'est créer une vie nouvelle qui amène au bonheur. Le bonheur vient avec l'effort."
Ozu modulera bientôt cette position dans les films suivants qui travailleront le même thème : Eté Précoce (1950), Le gout du riz au thé vert (1952), Voyage à Tokyo (1953), Printemps précoce (1956), Fleurs d'équinoxe (1958), Herbes flottantes (1959), Fin d'automne (1960), Dernier Caprice (1961) et Le goût du saké (1962).
La tonalité douce-amère est d'ailleurs tempérée par un humour constant. C'est l'enfant de la tante, un sale gosse qui a rependu du vernis dans sa chambre en paginant son gant de base-ball en rouge. Ce sont les enfants qui secouent la voiture le jour du mariage. Ozu construit même une scène burlesque avec la tante qui ramasse le porte-monnaie et, voulant le garder pour elle, s'enfuit en courant... On comprend pourquoi en voyant ensuite le policier entrer dans le champ.
Jean-Luc Lacuve, le 22 juillet 2018 (critique provisoire avant le ciné-club du 2 août).
Notes (merci à Meredith Lacuve) :
Bibliographie :