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Fleurs d'équinoxe

1958

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(Higanbana). D'après le roman de Ton Satomi. Avec : Shin Saburi (Wataru Hirayama), Kinuyo Tanaka (Kiyoko Hirayama), Ineko Arima (Setsuko Hirayama), Miyuki Kuwano (Hisako Hirayama), Fujiko Yamamoto (Yukiko Sasaki), Chieko Naniwa (Hatsu Sasaki), Chishû Ryû (Shukichi Mikami), Yoshiko Kuga (Fumiko Mikami), Keiji Sada (Masahiko Taniguchi), Teiji Takahashi (Shotaru Kondo), Nobuo Nakamura (Toshihiko Kawai), Ryûji Kita (Heinosuke Horie). 2h00.

Il est 15h21 sur le quai de gare de Tokyo et, alors que l'on annonce des vents violents à venir, deux balayeurs discutent du nombre important de mariages qu'ils ont vu défiler depuis le matin. Ils n'ont pas pu trouver plus d'une jolie mariée.

Dans son discours de félicitation lors du mariage de la fille de son ami Toshihiko Kawai, Wataru Hirayama prend note des changements dans la société intervenus depuis son propre mariage prosaïque et peu romantique : les jeunes gens se marient dorénavant par amour et non selon les arrangements prévus par leurs parents. Sa femme, Kiyoko Hirayama, s'inquiète de l'absence de Shukichi Mikami, d'habitude toujours dans le groupe d'amis qu'il forme avec son mari, Toshihiko Kawai et Heinosuke Horie.

Au restaurant Wakamatsu, Wataru, Toshihiko et Heinosuke évoquent des souvenirs de guerre et parlent de leurs filles, presque toutes en âge d'être mariées. Wataru a une théorie qui dit que si l'époux est fort, il aura des filles... et des garçons si c'est l'épouse qui est forte. Le premier est en général une fille, l'homme étant puissant durant la lune de miel. Il se moque ainsi gentiment d'Heinosuke  qui a d'abord eu deux fils. Puis les trois hommes plaisantent sur le dos de la patronne du restaurant en devinant que ses enfants sont des garçons. En rentrant chez lui, Wataru s'inquiète que sa fille aînée, Setsuko, ne soit pas encore rentrée. Il interroge Kiyoko sur le projet qu'il a pour leur fille d'un mariage arrangé avec un ingénieur de bonne famille. Leur fille cadette, Hisako, leur dit de ne pas s'inquiéter. Elle ajoute qu'aujourd'hui on se marie comme on l'entend sans l'aide des parents. Setsuko finit par rentrer.

Wataru  est cadre supérieur dans une entreprise de Tokyo. Il reçoit la visite de son ami, Shukichi, qu'il interroge sur son absence au mariage de la fille de leur ami. Shukichi avoue qu'il ne voulait pas voir un mariage aussi heureux alors que sa fille, Fumiko, s'est enfuie de leur domicile depuis deux mois pour vivre avec un homme. Il avoue que c'est un peu de sa faute. Elle travaille dans un bar de Ginza, Le Luna. C'est d'ailleurs pour cela qu'il est venu ; pour demander à Wataru d'aller prendre des nouvelles de sa fille. Wataru accepte mais, alors que Shukichi va s'expliquer plus longuement, sa secrétaire l'informe que Hatsu Sasaki, une amie, est venue le voir de Kyoto. Hatsu, bavarde et hypocondriaque, dit être venue avec sa fille, Yukiko, qu'elle compte marier à l'assistant d'un docteur. Elle fatigue vite Wataru qui regagne son bureau.

Yukiko vient rendre visite aux Hirayama. Elle ne trouve que Wataru. C'est dimanche et sa femme et ses filles font les courses. Yukiko se dit indisposée par l'entêtement de sa mère à la marier. Wataru la conforte dans l'idée que c'est elle-même qui doit se choisir un mari selon son désir. A l'hôpital, on n'a guère pris au sérieux la maladie qu'Hatsu prétend avoir. Le jeune médecin lui a donné en guise de médicament une horrible potion à boire. Elle souhaite sortir au plus tôt. Setsuko rend visite à Yukiko et les deux jeunes femmes font un pacte d'entraide mutuel pour échapper aux désirs de leurs parents respectifs d'arranger leur mariage.

Quelques temps plus tard, Hatsu est de nouveau à Tokyo chez les Hirayama. C'est Kiyoko qui l'écoute poliment lui faire part de son intention de faire épouser un pharmacien à Yukiko.

Kiyoko et Wataru sont assis sur un banc à Hakone sur le lac Ashi. Kiyoko se lève pour faire signe à ses filles qui font un tour en barque sur le lac. Elle a conscience que se sera leur dernière sortie en famille si Setsuko se marie. Elle regrette que son mari soit si occupé par son travail. Wataru est d'accord et renonce à partir au golf. Kiyoko se souvient du temps de guerre où Hisako faisait ses premiers pas. Elle aima cette période car, même si elle haïssait la guerre et craignait de mourir, ils étaient tout le temps ensemble. Wataru se souvient surtout des gens agressifs. Kiyoko voudrait qu'ils dînent encore ensemble tous les quatre.

Au bureau, Wataru est pris totalement au dépourvu lorsque le jeune Masahiko Taniguchi, qui travaille chez Nitto comme Setsuko, vient lui demander la main de celle-ci. Il n'a pas pris le temps de faire sa demande par un intermédiaire car il va être muté à Hiroshima et voudrait obtenir son consentement avant de partir. Rentré chez lui, Wataru est très en colère et fait part à sa femme et à sa fille qu'il tient à son mariage arrangé. De colère, Setsuko s'en va chez Masahiko qui la rassure sur le bien fondé de sa démarche et la raccompagne chez elle, ce dont le remercie Kiyoko. Mais rien ne semble faire devoir changer d'avis Wataru.

Le lendemain cependant, il interroge Shotaru Kondo, l'un de ses employés qui connaît Masahiko pour avoir été à la même école que lui. Mais Kondo, employé peu zélé, ne se souvient que des performances au basket de son ancien camarade. Sur ces entrefaites survient Shukichi auquel il promet de se rendre le soir même au Luna, prendre des nouvelles de sa fille. Wataru s'y rend accompagné de Kondo, très gêné car il est fort connu dans ce bar pour son goût pour l'alcool pas cher et les filles. Fumiko Mikami est heureuse de voir que son père prend de ses nouvelles mais elle ne renoncera jamais à vivre avec le jeune musicien pauvre qu'elle présente à Wataru. Leur amour saute aux yeux. Néanmoins, de retour chez lui, Wataru s'entête à refuser son consentement à Setsuko. Kondo revient au Luna le lendemain soir. Il est dépité de voir de nouveau surgir Wataru qui vient porter à Fumiko une lettre de son père demandant une réconciliation.

Au bureau, Wataru reçoit un appel de Yukiko. Il vient lui rendre visite. Elle lui demande si une jeune fille comme elle décidait de se marier selon son désir et non celui de ses parents, il lui donnerait raison. Comme Wataru répond oui, Yukiko lui déclare que cette jeune fille, c'est Setsuko. Et, devant lui, elle téléphone à son domicile pour dire qu'il vient de donner son accord au mariage de sa fille. Lorsque Wataru rentre chez lui, il est irrité contre sa femme et plus encore quand il apprend que Setsuko, accompagnée de sa sœur, est, toute contente de la nouvelle, partie dire au revoir à son futur mari, Masahiko, qui s'en va le lendemain.

Un samedi, sur le terrain de sport de leur club, Wataru apprend que son ami Toshihiko  se propose d'être le parrain de sa fille et de le remplacer s'il ne vient pas au mariage. Toshihiko lui fait sentir qu'on se passera de lui, même si c'est à regret. Il l'invite aussi à se joindre à une prochaine réunion de l'amicale des anciens du lycée et de l'armée qui aura bientôt lieu à Gamagori.

C'est la veille du mariage et Wataru n'est pas là le soir pour le repas de fête pris en famille. La mère regrette que la sorti à Hakone sur le lac Ashi fut la dernière en famille. Quand le père rentre enfin, il a acheté des habits de mariage et sa femme en déduit qu'il viendra le lendemain. C'est elle qui s'en va l'annoncer à sa fille car Wataru explique bougon qu'il ne viendra que parce que tous leur amis y seront. Il n'en revient pas que sa fille l'ai mis au défi. Il reconnaît qu'il doit s'incliner mais s'inquiète de cette indépendance de la jeunesse.

À Gamagori, les anciens se sont réunis. Pendant que la plupart vont jouer au Mah Jong, Toshihiko explique qu'il a tenu son rôle de parrain au mariage de Setsuko, auquel Wataru a assisté tout en montrant qu'il restait hostile au choix de sa fille. Shukichi chante "Masatsura", poème d'adieu du patriote Masatsura Kusonoki, comme il le faisait lorsque tous étaient militaires à la base de Kure. Shukichi apprend à son ami qu'il ne s'est réconcilié que partiellement avec sa fille qui vient seule voir ses parents à la maison.

Wataru, en voyage d'affaires à Osaka, est venu rendre visite aux Sasaki à Kyoto pour les remercier d'avoir assisté au mariage. Celles-ci lui apprennent que Setsuko et son mari se sont arrêtés dans leur auberge lors de leur voyage de noce. Elles lui disent le plus grand bien de Masahiko. Mais, de son côté, Yukiko n'a hélas pas trouvé un homme à épouser, trop accaparée par sa mère qui s'amuse à lui trouver un mari mais qui ne veut en réalité pas la voir partir, éliminant systématiquement les candidats qu'elle trouve. "Les parents doivent céder devant l'enfant. Il suffit que l'enfant soit heureux. Soyez heureuse et votre mère le sera aussi" dit toujours aussi libéralement Wataru. Il s'inquiète que Setsuko ait dit à Yukiko qu'il était mécontent de son mariage. Elle l'enjoint à faire un détour jusqu'à Hiroshima pour visiter les jeunes mariés. Comme Wataru hésite, elle se précipite sur le téléphone pour l'annoncer à Kiyoko. Piégé une seconde fois par la jeune femme, Wataru est obligé de confirmer sa visite à sa fille. Kiyoko en est bouleversée. Wataru prend le train. Lui aussi est bouleversé. Il envoie un sobre télégramme à sa fille : "Arrive à Hiroshima à 14h18, père".

Le thème central de Fleurs d'équinoxe est celui du conflit des générations qui sera aussi traité dans son film suivant Bonjour (1959) et dans Dernier caprice (1961). Il ne s'agit pourtant pas d'une confrontation directe entre le père et la fille. Leur rencontre n'a même jamais lieu dans le film ! Il s'agit bien plutôt d'un film choral où ce sont les rencontres du père, sa compréhension de l'expérience des autres qui va l'amener à changer de position. La tonalité est ainsi clairement celle d'une comédie. En entrant dans la vieillesse, le père va devoir lâcher prise et laisser sa fille décider elle-même du choix de son mari. Les fleurs d'équinoxe sont ainsi celles que l'on peut cueillir, non sans mal, au plus haut point de la conscience, lorsque l'on peut basculer d'une position à l'autre. Absolument bouleversant, c'est le premier film en couleurs d'Ozu

Des pièges et des rencontres pour enfin lâcher prise

Wataru Hirayama, est un homme vieillissant, conscient des changements intervenus dans la société depuis sa jeunesse mais qui reste bien plus profondément attaché à une organisation traditionnelle de la famille et de la société qu'il ne le croit. Il lui faudra toute une suite de discussions avec ses amis, Toshihiko, Heinosuke et Shukichi, avec la fille de ce dernier, Fumiko puis surtout avec Yukiko la fille de son amie Hatsu  et enfin avec sa propre famille, Kiyoko sa femme  et Hisako sa fille cadette pour accepter le choix  personnelle de son mari par Setsuko sa fille aînée.

Cadre supérieur dans une entreprise, Wataru se veut "moderne" et tient volontiers un discours libéral. D'abord au mariage de la fille de son ami Toshihiko puis lors de ses conseils à Yukiko, la fille de son amie. C'est en le mettant devant ses contradictions que celle-ci, fidèle au pacte fait avec Setsuko, lui arrache le consentement attendu. Il ne s'agit toutefois que d'une demi-victoire. Wataru accepte sa défaite mais reste persuadé que sa fille fait un mauvais choix et ce en dépit de l'enquête qu'il a mené sur son futur gendre.

Wataru avait vu par l'exemple de Fumiko que l'amour est plus fort que les recommandations des parents mais c'est lors de la réunion de Gamagori avec l'exemple de son ami Shukichi qu'il comprend qu'une demi victoire n'en est pas une. Shukichi ne s'est en effet que partiellement réconcilié avec sa fille qui vient seule les voir de temps en temps. Il reconnaît son échec : "Elever ses enfants est difficile. Les parents ne s'en sortent pas toujours bien". Il regrette d'avoir à parler des enfants à la réunion de l'amicale et dans une phrase ambiguë déclare que "les rêves de la jeunesse restent vivaces". Sans doute fait-il allusion à ceux du temps de guerre où l'unité de la famille était intiment liée à l'unité du pays. Ancien officier, Shukichi est celui qui sait si bien chanter comme il le faisait à base navale militaire de Kure "Masatsura", poème d'adieu du patriote Masatsura Kusonoki :

"Les préceptes de mon père sont gravés dans mon cœur. Je suivrai fidèlement l'édit de l'empereur. Dix années de patience et l'heure a enfin sonné. Frappe d'un coup puissant ; fais fuir l'ennemi apeuré. Pour la cause de l'empereur, nous luttons maintenant. Nous battre et mourir en hommes, nous en faisons le serment. Nous, 143 compagnons de guerre, unis comme un seul homme déterminés à lutter jusqu'à la victoire, oui nous le sommes. En mourant, les héros se gagnent une gloire immortelle. Les lâches souffrent une honte éternelle. Avec la pointe de nos flèches, nous gravons notre histoire. Les lames de nos épées étincellent dans le soir. Contre l'ennemi qui s'approche, marchons d'un pas égal. Sus à leur général, donnons lui un coup fatal"

Cette rigidité morale de celui qui est pourtant, comme lui, un bon père de famille aimant ses enfants, déconcerte Wataru. Il a heureusement la chance d'être piégé une seconde fois par Yukiko auprès de qui il a pu, par ailleurs, mesurer la chance de sa fille d'avoir trouvé un bon mari.

Hommes aveugles et femmes conscientes

La prise de conscience de Wataru, parce qu'elle repose sur deux pièges amusants conçus par Yukiko, donne une tonalité comique au film. Cette tonalité est renforcée par plusieurs scènes de comédie : les plaisanteries sur le sexe des enfants au détriment de la patronne du Wakamatsu ; le personnage de Kondo, piégé deux fois par son patron dans le bar de la Luna ; ou bien encore Hatsu, obligée d'ingurgiter une horrible potion médicamenteuse dans l'hôpital où elle n'a rien à faire.

Pourtant une tonalité de sourde mélancolie et de nostalgie accompagne ce parcourt d'homme inquiet ("Alors pas le peine de s'inquiéter avait-il dit à Hisako qui avait répliqué "Tu t'inquiéteras de toutes façons") accédant finalement à la sagesse. Le temps fait son œuvre comme le scandent les plans successifs de l'intérieur des Hirayama symbolisés par la théière rouge ou le célèbre plan de linge qui sèche à l'amorce de la dernière séquence.

Des images-temps : les occurrences de la théière rouge et le linge qui sèche

Ces images-temps sont en adéquation avec cette période de la vie des Hirayama. "Un jour un mariage, un jour un enterrement" dit Kiyoko à son mari, consciente qu'une période moins glorieuse de leur vie s'ouvre devant eux. Elle avait déjà fait l'expérience de ce basculement dans la bouleversante scène du lac Ashi. Elle regrettait que le temps de la famille réunie se termine avec le mariage de Setsuko. Mais ce flux du temps reste néanmoins pour elle bienheureux. C'est émue qu'elle, toujours affairée aux taches domestiques, s'assoit dans son fauteuil, heureuse que son mari se rende à Hiroshima voir sa fille et son gendre.

Le bonheur teinté de nostalgie de Kiyoko Hirayama : sur le lac Ashi et chez elle.

Seul, le destin de Yukiko, la plus fine des jeunes filles, reste bien incertain. Elle n'a pas trouvé un homme à épouser, trop accaparée par sa mère qui s'amuse à lui trouver un mari mais qui ne veut en fait pas la voir partir, éliminant systématiquement les candidats qu'elle trouve. A la périphérie du drame, Yukiko risque de se retrouver dans la même situation que la fille du vieux et misérable Hyotan Sakuma, ancien professeur des protagonistes du Goût du saké. Son sacrifice, en acceptant de rester avec son vieux parent, n'empêchera pas la décrépitude de celui-ci et la condamne à une vie solitaire.

Jean-Luc Lacuve le 26/01/2014

critique du DVD Editeur : Arte vidéo. Avril 2004. Coffret 5 films en couleur : 50 €.

Coffret 5 films en couleur : Fleurs d'équinoxe, Bonjour, Fin d'automne, Dernier caprice, Le goût du saké et Gosses de Tokyo en supplément au DVD1.

 

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