La Tokyo Tower. Le temple Tozen, au sud de l'agglomération. Quatre hommes y sont réunis pour les sept ans de la mort de Shuzo Miwa. Il y a là deux de ses anciens employés et deux de ses amis, le corrosif Taguchi et le gentil Hirayama, veuf depuis cinq ans. Ils ont été invités par la veuve et sa fille : Akiko et Ayako Miwa. Ils prennent le thé en attendant l'arrivée du frère du défunt, Shukichi, qui habite près du lac Haruna. A son arrivée, Hirayama le remercie d'avoir hébergé son fils l'été dernier. Les bonzes ont à peine commencé la cérémonie qu'arrive Mamiya, content d'être en retard.
Le soir au restaurant, Akiko et Ayako dînent avec les trois meilleurs amis du défunt : Taguchi, Hirayama et Mamiya. Chacun s'accorde pour trouver que la cérémonie fut trop longue. Ils observent qu'Ayako a 24 ans, quatre ans de plus que lorsque sa mère épousa son père. Il est donc temps qu'elle se marie. Taguchi connaît même un jeune ingénieur qui serait très bien pour elle. Les deux femmes parties, les trois hommes se remémorent qu'ils furent tous amoureux de la mère qui, a quarante ans, passés les émeut encore fort.
En rentrant, Taguchi retrouve sa femme... et les mauvaises nouvelles : sa fille, Yoko, a ramené sa valise à la maison car elle s'est de nouveau disputée avec son mari ; le fils réclame à manger ; le fiancé prévu pour Ayako est déjà promis à une autre.
The Tokyo building (siège de Mitsubishi). Akiko vient remercier Mamiya et lui apprend que le fiancé proposé par Taguchi n'est plus disponible pour sa fille. Mamiya l'invite au restaurant et lui propose un autre fiancé, l'un de ses jeunes collaborateurs, Goto. En remerciement, Akiko lui propose de lui offrir une pipe que collectionnait son mari. En rentrant chez lui, Mamiya retrouve sa femme, son jeune fils et sa fille, qui trouve la photo de Goto ravissante. Sa femme n'oublie pas qu'il fut très amoureux d'Akiko. Il prétend que seul Taguchi préfère la mère à la fille.
Akiko rentre chez elle où l'attend Ayako qui n'est vraiment pas déçue que le prétendant proposé par Taguchi soit déjà fiancé. Lorsqu'Akiko l'informe du prétendant proposé par Mamiya, Ayako prétend préférer rester telle qu'elle est. Elle ne veut pas se marier et attendre le grand amour.
Au cours de couture Kuwata, les patrons d'Akiko lui proposent aussi un possible prétendant pour sa fille. Elle les informe de la volonté de celle-ci de ne pas se marier. Ayako l'informe au téléphone qu'elle va passer chez Mamiya avant de rentrer lui remettre la pipe promise. Mais Mamiya avait prévu de la piéger en faisant venir Goto. Il la lui présente comme celle qui l'a éconduit. Ayako s'enfuit furieuse. Elle retrouve Goto dans le couloir qui l'informe qu'un de ses amis, Sugiyama, travaille aussi à la Toko.
Akiko et Ayako dinent au restaurant puis rentrent chez elles où Ayako prépare son voyage avec ses collègues de la Toko pour les fiançailles de deux d'entre eux. Mère et fille se promettent de voyager à la station de Shuzenji, là où ils firent le dernier voyage avec le père, près d'Ikaho, là où habite son frère.
Les jeunes employés de la Toko vont à Unahana où Sugiyama vante son ami Goto auprès d'Ayako. Revenues à Tokyo, Yukiko Sasaki et Ayako guettent le train des jeunes mariés qu'ils ont accompagné en vacances. Mais Shigeko oublie de faire signe avec son bouquet ce qui rend tristes les jeunes filles.
Par hasard, Mamiya croise Ayako et Goto dans un café. Ils disent s'être revus pour la première fois; ce qu'il n'a pas l'air de croire. Ayako affirme ne pas vouloir se marier pour ne pas laisser sa mère seule dans l'appartement.
Les trois hommes décident alors de marier d'abord Akiko. Ils trouvent qu'Hirayama serait un excellent prétendant. Celui-ci se montre réticent mais son fils, qui connaît Akiko, l'encourage. Tant est si bien qu'il s'empresse de voir Mamiya pour qu'il parle de lui à Akiko craignant que Taguchi ne se montre trop direct. Mais celui-ci est déjà parti auprès d'Akiko. Les trois hommes se sont donné rendez-vous au Luna. Mamiya accueille Taguchi qui revient sans espoir de sa visite à Akiko : elle ne veut pas se marier. Lui aussi a ramené une pipe de son voyage. Ils font part de cette triste nouvelle à Hirayama qui encaisse difficilement le coup.
Les femmes de Mamiya et Taguchi discutent du triste refus subit par Hirayama. Elles regrettent que leurs filles abandonnent les activités traditionnelles des jeunes filles, fleurs et couture pour écouter Elvis Presley. Elles se moquent de Mamiya et de son amour secret pour Akiko. Mamiya déclare vouloir en revenir à sa première stratégie : d'abord marier Ayako.
Mamiya a ainsi convoqué Ayako au café Bow pour lui parler de Goto. Elle ne veut pas se décider. Mamiya lui déclare qu'ils s'occupent d'Akiko et qu'il est sérieusement question qu'elle épouse Hirayama même si rien n'est encore définitif. C'est très en colère qu'Ayako rentre chez elle et accuse sa mère, qui n'y comprend rien, d'avoir un secret, de trahir son père avec le meilleur ami de celui-ci. Dégoûtée, elle s'en va chercher refuge chez sa meilleure amie, Yukiko. Mais celle-ci, au lieu d'aller dans son sens, tente de lui faire comprendre que sa mère à raison de vouloir se remarier comme l'a fait son propre père. Ayako rentre chez elle en colère et refuse de s'expliquer avec Akiko qui lui reproche de ne pas avouer qu'elle est amoureuse de Goto. Le lendemain, au bureau Yukiko demande à Ayako si elle s'est réconciliée avec sa mère. Ayako reste fâchée. Elle déjeune le midi avec Gogo qui lui conseille de se réconcilier avec sa mère. Il n'a pu totalement le faire quand elle est décédée alors qu'il était enfant.
Le soir, Yukiko s'en vient chez Akiko à laquelle elle demande si elle va bien se marier, ce qu'elle l'encourage à faire jugeant égoïste la position de son amie. Qui plus est son célibat est aussi un obstacle au mariage d'Ayako, trop compliquée pour se décider sans que sa mère l'ai fait avant. Akiko lui affirme qu'elle n'est pas au courant au sujet de son prétendu mariage possible avec Hirayama.
Yukiko est furieuse contre la méchante plaisanterie qui a été faite sur le dos d'Akiko. Le lendemain, Hirayama vient prévenir Mamiya que les choses tournent mal. Taguchi est déjà là et Yukiko exige une explication. Hirayama se plaint que ses amis n'aient pas porté sa proposition. Tout trois convainquent Yukiko de leur bonne foi et celle-ci trouve très bien Hirayama, et même parfait... ce qui fait tiquer les deux autres. Elle les emmène, sans qu'ils le sachent, dans le bistrot de ses parents... non sans avoir probablement passablement bu avant.
Sur la terrasse de l'entreprise Yukiko informe Sugiyama qu'Akiko et Ayako sont en voyage après leur réconciliation. Elle envie son amie d'avoir une vraie mère; sa belle-mère se sent toujours un peu gênée vis à vis d'elle.
Akiko et Ayako terminent leur voyage chez l'oncle qui tient une auberge, en ce moment très bruyante à cause des nombreux scolaires en excursion. Déjà à Nikko, il y avait beaucoup de scolaires et d'étudiants. L'oncle est content du double mariage qui se prépare. Il est soulagé que sa belle-sœur se remarie car il s'inquiétait pour elle. Ayako se sent comme au dernier soir d'une excursion où l'on sent que tout est fini et les choses deviennent tristes.
"Un jour, tu as dis que tu trouverais ignoble que je me remarie" lance Akiko à sa fille. Ayako regrette ses paroles mais Akiko partage ce sentiment et annonce qu'elle va continuer à vivre seul. "Un mari m'a suffit, je suis satisfaite de vivre avec les souvenir de ton père. J'ai été heureuse avec lui. Escalader à nouveau la montagne depuis le bas... non". Son bonheur maintenant serait qu'Akiko épouse Goto. Comme Ayako hésite, elle lui rappelle qu'elle n'aurait pas pu passer toute sa vie avec elle dans cet appartement.
Ayako sanglote. Akiko se dit heureuse de ce voyage. Elle essuie une larme alors qu'Ayako sèche les siennes. Le lendemain, Akiko évoque ce séjour ici pendant la guerre où le père venait tous les dimanches les voir avec un cadeau. Elle sait que c'est la dernière fois qu'elles voyagent ensemble.
Une trame narrative est assez simple. Il s'agit de marier une jeune fille, puis, cela posant problème, de marier la mère d'abord, puis, cela échouant de nouveau, de marier la fille en lui faisant croire que sa mère va se marier. Finalement, si la jeune fille se marie, la mère, qui a tout fait pour cela, préfère sa solitude. On reconnait le scénario de Printemps tardif (1949) dont Fin d'automne est le remake assumé. Ozu a néanmoins évolué dans sa conception du couple et sa mise en scène atteint à une épure aussi discrète qu'envoutante.
Fin d'automne remake de Printemps tardif
Fin d'automne reprend la trame de Printemps tardif (1949) où un père et sa fille, vivant en parfaite harmonie, devaient se séparer pour que la seconde vive pleinement sa vie alors que le père se condamnait avec énergie, tristesse et sérénité à la solitude normale de la vieillesse d'un veuf. En confiant à Setsuko Hara le rôle de la mère alors qu'elle jouait celui de la fille dans Printemps tardif mais aussi, en reprenant le motif du faux consentement au mariage pour libérer la fille de son repli sur elle-même et du dernier voyage à deux juste avant le mariage, Ozu assume parfaitement de faire un remake de ce qui fut son plus grand succès au Japon. Le décalage entre les deux titres n'est pas sans rapport avec le glissement de la focalisation de la jeunesse de la fille sur la vieillesse de la mère. Fin d'automne est plus méditatif, plus drôle et émouvant encore que Printemps tardif.
L'humour y occupe une place plus importante. Dans Printemps tardif, la tante qui incite au mariage y est un personnage souvent burlesque avec son empressement souvent excessif ou avec la scène du porte-monnaie. Elle est ici remplacée par la triplette des trois amis, Taguchi, Mamiya et Hirayama. C'est un trio comique de première efficacité. Ils jouent comme des gamins avec leurs souvenirs amoureux (achat de pommades et d'antigrippine auprès d'Akiko, la fille du pharmacien). Ils ramènent leur pipes comme un trésor de guerre, parlent de leurs démangeaisons sexuelles, de leur passion pour l'alcool (saké et whisky) et la nourriture (les légumes confits du Lac Haruna : algues aux carottes, champignons parfumés et radis séchés; les clams, les poulpes et les fruits de mer du restaurant). L'inévitable gag sur le dos de la patronne du restaurant se fait sur le thème des hommes qui ont une femme très belle lui font beaucoup trop l'amour et ne vivent donc pas vieux. Ils se moquent de la patronne dont le mari se porte sans doute bien et qui fera sans doute de vieux os.
Le personnage de l'amie de la fille qui devient celle du parent isolé est aussi repris. Aya, la sténodactylo divorcée, est remplacée par Yukiko dont le père c'est remarié et qui doit mettre à l'aise sa belle-mère.
Quelques différences pourtant ; Goto le fiancé d'Ayako est un vrai personnage, attachant (l'épisode du regret des statuettes cassées de la mère) et le mariage montré. Le lieu du voyage à deux n'est pas Kyoto, capitale culturelle, mais de façon plus sentimentale, les terres du mari défunt, où vit toujours l'oncle qui tient une auberge. Enfin, la morale de l'effort pour constituer un couple est complètement abandonnée au profit du sentiment amoureux
La fin reste aussi emprunt de nostalgie que Printemps tardif. En dépit de la visite de Yukiko, Akiko restera seule. Les deux regards de femmes le jour du mariage, ceux de madame Taguchi et de Yukiko sur Hirayama sont beaux et compatissants mais aussi sans appel : Hirayama restera seul. "Je ne me suis pas amusé tant que ça" avoue le soir du mariage. Il regrette de n'avoir pas même de pipe offerte par Akiko comme ses amis. Mais Taguchi lui répond un peu cruellement qu'il peut se consoler : au moins, il a rêvé.
La psychologie des personnages répond ainsi à l'analyse que faisait Donald Richie avec ses nombreux exemples de mono no aware. L'expression désigne la complexité d’une émotion éprouvée dans une situation poétique ou psychologique. Il s'agit d'une façon très japonaise d'accepter un monde en transition dans lequel l'existence n'est qu'un passage, d'être dans le présent avec ce qui est, et ce qui n'est pas, de recevoir avec plaisir la permanence dans l'impermanence. Autrement dit, d'éprouver une certaine tristesse sereine.
Une extrême économie de moyens
La mise en scène rend compte de la permanence par la répétition à l'identique des lieux de l'action : (les cafés Luna et Bow, le pont Kiyosu qui traverse la Sumida, The Tokyo building, siège de Mitsubishi et le couloir qui mène au bureau de Mamiya, le couloir menant à l'appartement d'Akiko et Ayako).
Donald Richie convoquait, le wabi, un concept zen pour définir l'esthétique typiquement japonaise d'Ozu. Wabi affirme que plus le réceptacle est ordinaire ou pauvre, plus l'effet produit est puissant, ainsi le chrysanthème dans un simple vase de terre ou le lilas dans une grossière bouteille de saké. Et la forme perçue comme ascétique des lieux confère bien force et beauté à l'ensemble des plans ci-dessus.
Avec sa caméra toujours à hauteur de tatami et un film constitué uniquement de plans fixes sans le moindre mouvement d'appareil, tout se joue chez Ozu dans le cadre. Chaque objet a son importance ; se multiplient les entrées et sorties de champs, les ouvertures et fermetures des shojis, ces panneaux coulissants qui ouvrent ou ferment les espaces à l'intérieur du cadre. Même attention aux sons discrets et répétitifs : le tic tac d'une pendule murale ou le léger bruit du moteur d'un bateau de pèche près de la rivière.
Jean-Luc Lacuve le 16/02/2014