Une femme dans le vent

1948

(Kaze no Naka no Mendori). Avec : Kinuyo Tanaka (Tokiko Amamiya), Shûji Sano (Shuichi Amamiya), Chieko Murata (Akiko Ida), Chishû Ryû (Kazuichiro Satake), Hôhi Aoki (Shoichi), Chiyoko Fumiya (Fusako Onada). 1h24.

Tokiko, 28 ans, vit seule avec son jeune fils, Shoichi, en attendant que son mari, Shuichi, soit démobilisé. Elle loue un appartement à l’étage d’une famille de propriétaires aimables et attentionnés. Mais l'inflation fait des ravages et son travail de couturière à domicile ne suffit plus à payer les courses. Elle se prive pour son fils et est obligée de vendre ses derniers kimonos. Elle se rend ainsi chez son amie Akiko qui sollicite pour elle Orie, sa propriétaire, une femme cynique et sans scrupule qui trouve un peu ridicule la vente de ses pauvres vêtements et suggère que Tokiko, jolie, gagnerait bien davantage en se prostituant.

En rentrant de chez Akiko, Tokiko, qui a porté Shoichi sur son dos tout le long du trajet, s’aperçoit que celui-ci a perdu connaissance et est brûlant de fièvre. Elle se précipite chez le médecin qui diagnostique une grave infection du colon et garde l’enfant dans sa clinique. Tokiko le veille toute la nuit, l’encourageant à guérir car elle ne pourrait vivre sans lui. Au matin, la fièvre est tombée mais son état nécessite dix jours de convalescence à la clinique. D’abord soulagée, Tokiko est paniquée devant la somme à payer qu’elle n’a pas. Se regardant dans le miroir elle s'écroule en larmes devant la seule solution qui s'offre à elle.

Une chambre dans une maison de geishas. Le client pénètre dans le salon et se dit déçu par ce qui vient de se passer. Pas du fait de la jeune femme prostituée mais de ces performances. La patronne lui fait remarquer qu’il n’a pas l'âge des défaillances et qu'il est probablement tombé amoureux de la prostituée. Il ne pourra la revoir comme il le sollicite car elle ne reviendra pas.

Akiko vient voir son amie, mise au courant par Orie de la solution dégradante que Tokiko a trouvé à son problème financier. Elle lui en fait le reproche : elle aurait tout fait pour son amie et se sent  trahie par le manque de confiance de Tokiko. Celle-ci lui explique qu'elle n'a pas voulu la solliciter connaissant ses problèmes d’argent qui  l'auraient conduit à s'endetter. Les deux femmes se réconcilient et projettent un pique-nique sur le bord du fleuve.

Durant le pique-nique, elles évoquent leurs souvenirs de jeunesse dans un cabaret et Tokiko se souvient qu'enfant elle voulait épouser un policier. En regardant Shoichi s'amuser dans l’herbe, elles conviennent que l'enfance est sans doute le meilleur moment de la vie.

En rentrant, la logeuse de Tokiko lui annonce que son mari, Shuichi, est de retour. Tokiko se précipite à l’étage et fait se réveiller Shuichi par leur fils en l’appelant papa. Tokiko va faire des courses pour fêter le retour de son mari et n’oublie pas d'en laisser une part à sa logeuse et sa famille qui leur avait offert du saké pour fêter le retour du mari. Le soir, le couple joue avec leur enfant et Shuichi se réjouit de voir combien son fils est bien élevé, joyeux, dynamique et obéissant et s'endormant sans difficulté. Il interroge ensuite Tokiko sur la santé de leur fils, ceci lui révèle l la maladie du côlon de l'enfant et Shuichi s'inquiète immédiatement du coût et de l'emprunt qu'elle n'a pas manqué de faire, Tokiko qui a acquiescé pour l'emprunt ne peut aller plus loin et s’écroule en larmes sous les questions de plus en plus insistantes de son mari. Celui-ci devine la vérité et, sonné et meurtri, frappe sa femme avant d'être arrêté par son fils qui le regarde, inquiet. Tokiko lui dit de se rendormir ce qu'il fait sagement. Shuichi veut en savoir plus, dans quel lieu, avec qui.. puis il viole Tokiko et s'en va, la laissant meurtrie.

Aiko vient voir son amie, ayant appris le retour de Shuichi et lui conseille ardemment de ne rien dire de la maladie de son fils et de comment elle s'en est sortie. Tokiko lui dit n'avoir pu mentir à son mari avec qui elle discutait toujours de tout. Akiko lui reproche sa franchise un peu égoïste car maintenant son mari va souffrir.

Shuichi va voir son ami, Kazuichiro Satake, revenu de la guerre avant lui et qui dirige une entreprise d'écriture. Il  lui dit être obsédé par un problème qu'il lui promet de révéler plus tard. Kazuichiro l'encourage à revenir travailler dans l'entreprise au plus tôt. Mais Shuichi veut voir où Tokiko s'est prostituée, un quartier éloigné de leur domicile, et s'y rend à pied. Là, il demande une chambre et une fille. C'est Fusako qui se présente. Shuichi voudrait savoir si elle aime et pourquoi elle fait ce métier. Fusako, 21 ans, dont la mère est morte, a un frère qui fait des études et un père malade. Elle lui dit qu'autrefois elle était élève dans l'école en contrebas de la fenêtre. Se souvenir lui est trop douloureux et elle aimerait changer de chambre. Shuichi s'enfuit tout en payant. Il va contempler la rivière où il est bientôt rejoint par Fusako qui s'en veut un peu qu'il ait payé pour rien et lui offre de partager son repas. Il insiste pour qu'elle trouve un autre travail et promet de lui en trouver un d'ici quelques jours. Fusako, un peu meurtrie de subir cette leçon de morale, n'a pas l'air de trop y croire.

Shuichi est retourné voir son ami, Kazuichiro et lui a décrit son problème avec Tokiko tout en sollicitant un emploi pour Fusako. Kazuichiro s'étonne qu'il ait pardonné son métier à Fusako et ne parvienne pas à pardonner à sa femme, qui a été victime de la situation où elle se trouvait. Il lui conseille de passer l'éponge, d'oublier et de s'intéresser à l'avenir. Shuichi déclare qu'il a déjà pardonné à Tokiko mais qu'il est ravagé par des pulsions de colère et de violence contre lesquelles il ne peut rien. Kazuichiro aimerait qu’il fasse preuve de raison pour être heureux de nouveau.

Shuichi de retour chez lui est accueilli avec douceur par Tokiko qui lui dit de faire ce qu'il veut tant elle regrette de le faire souffrir. Elle voudrait qu'il cesse de découcher et joue avec son fils. Shuichi, pris d’un nouvel accès de colère, veut partir mais Tokiko s'accroche à lui, le suppliant de rester. Shuichi, d'un mouvement brusque la bouscule et elle tombe dans les escaliers, restant inanimée sur le sol. Shuichi l'interpelle pour qu'elle se relève, ce qu'elle finit par faire. C'est alors qu’arrive sa propriétaire à laquelle elle  dit être tombée dans l'escalier alors que Shuichi est remonté dans la chambre. Tokiko  monte alors péniblement les escaliers et s'approche de Shuichi s'écroulant à ses pieds et lui demandant pardon. Celui-ci  lui demande si elle ne s'est pas blessée et elle fait quelques pas péniblement. Enfin ému par sa souffrance et son courage, Shuichi vient la prendre dans ses bras avant qu'elle s'écroule de nouveau. Shuichi la relève et reconnait que lui aussi a des torts. Ils doivent oublier cette erreur, qu’ils devront affronter d’autres difficultés à l'avenir et qu'il faut fortifier leur couple par une confiance et une franchise mutuelle. Tokiko l'enlace, serrant fortement ses mains dans le dos de son mari dont elle partage les convictions.

"Parmi mes films, il y a certainement plus d’un échec. Pourtant ces films me plaisent d’une certaine façon. Mais ce film n’était pas un bon échec." Sans doute Ozu trouve-t-il le récit trop mélodramatique. La figuration d’un temps qui change les données d'un problème est pourtant aussi sobrement que magnifiquement mise en scène. Le film est encadré par la marche de deux femmes s'avançant vers le complexe industriel aux alentours duquel habite Tokiko. Plus encore que le très beau plan des mains serrées dans le dos de son mari, c'est le signe émouvant que le drame s'est apaisé et que le cours normal des choses va reprendre. C’est un plan de paix aussi beau que celui de Tokiko et Akiko contemplant Soischi jouant dans l'herbe se souvenant de leur jeunesse et de leur enfance. Au travers d’un enfant qui joue, alors que le drame rode, la promesse d'un bonheur toujours renouvelée. Les deux femmes s'étaient promis cet apaisement en se réconciliant avec la vue du fleuve. Promesse, comme les  multiples plans du linge qui sèche, que le temps est un véhicule actif du changement. Ce qui est figuré aussi par les plans vides du seuil de la clinique de nuit puis de jour alors que l'enfant est guéri de sa fièvre.

Le couple parvient ainsi à se reformer mais laisse dans l'ombre le sort de Fusako. Pour elle, le temps n'est pas réconciliateur. Lorsqu’elle contemple la cour vide de l'école du haut de la maison de prostitution, elle ne peut en supporter la vision et demande à changer de chambre. Son sort semble scellé par le dernier plan où on la voit de dos, ne croyant pas à la bonne volonté, sans doute passagère, d'un nouveau client qui fait preuve de sentiment sur le moment mais ne la sortira pas de son enfer

La résignation de Tokiko à se prostituer, affolée et désemparée, se matérialise par une succession de trois ou quatre  plans d'elle devant son miroir sous différents angles avant que de face elle ne s’écroule en larmes. Suit un plan vu de la chambre avec une carafe d'eau, un linge mouillé et un bout de tatami. C'est ensuite le client qui entre dans le salon qui explique avoir eu une défaillance avec une femme qu'il aimerait revoir, ce qu'on lui indique comme impossible. Tokiko est ainsi hors champ de la prostitution à laquelle elle est contrainte, la préservant ainsi de sa souillure.

La violence que lui impose Shuichi est plus marquée, d'une part avec la boite métallique qu'il lance de rage et qui dévale bruyamment l'escalier, le ballon de l'enfant qui tombe d'une étagère et le viol derrière un paravent et figuré par la robe déchirée de Tokiko.

La traduction récente du film de Une poule dans le vent à Une femme dans le vent si elle est plus adaptée à notre époque, introduit un contresens et perd l'image de l'affollemnet de Tokiko, coantrainte de se prostituer. Une femme dans la tourmente aurait été plus adapté si le titre n'avait été déjà utilisé avec la reprise récente du film de Naruse.

Jean-Luc Lacuve, le 10 janvier 2024