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Une femme dans la tourmente

1964

Voir : Photogrammes
Genre : Mélodrame

(Midareru). Avec : Hideko Takamine (Reiko Morita), Yûzô Kayama (Koji Morita), Mitsuko Kusabue (Hisako Morizono), Aiko Mimasu (Shizu Morita), Yumi Shirakawa (Takako), Mie Hama (Ruriko). 1h38.

Dans le bourg de Shimizu, au centre-est du Japon, au début des années 1960, un camion publicitaire, décoré de slogans et de ballons, fait la promotion du supermarché de centre-ville. Dans la rue principale, les commerçants sont inquiets : leurs commerces se vident alors que la foule se presse dans ce supermarché. Les prix y sont sans commune mesure : 5 yens pour des œufs contre 11 chez les petits commerçants. L'un de ces petits commerces, une boutique de vins et spiritueux, est tenu par Reiko, veuve de guerre qui a eu six mois pour jouir de son mariage avant la mort de son mari sur le front. Depuis dix-huit ans, elle gère l’épicerie de sa belle-famille qu’elle a sauvée d’une fermeture assurée. Sa belle-mère, Shizu, devait s’occuper de son mari malade, ses deux belles-sœurs ont pensé à refaire leur vie et c'est elle qui s'est aussi occupée de son jeune beau-frère, Koji, frère cadet de son mari défunt, depuis ses sept ans. Il a aujourd'hui 25 ans, et elle 36 ans, mais elle continue de le protéger.

Koji est revenu d'un travail éphémère tenu à Tokyo et erre dans les bars. Dans l'un d'eux, les gérants du supermarché s’amusent à faire avaler pour une récompense de 2 000 yens le plus d’œufs durs possible en cinq minutes à des jeunes femmes écervelées. Koji, révolté par leur bêtise, leur demande d'arrêter mais les gérants le prennent à partie, déclenchant une bagarre générale.

Alerté par la police au téléphone, Reiko vient chercher Koji au commissariat tout en dissimulant à Shizu la nouvelle incartade de son fils. En rentrant, elle est attendue par Hisako, sa belle-sœur, venue lui proposer de se remarier avec un riche veuf chef d'entreprise. Hisako, tout en sachant bien ce qu'elle doit à Reiko, lui reproche, sans le dire, d'avoir, en prenant tout en main, empêché son frère de s'investir dans le magasin et ainsi fuir ses responsabilités. Reiko, qui est contente de son sort, refuse la proposition de mariage.

De son coté, Koji a été contacté par le mari d'Hisako, Mr. Morizono, qui lui propose de remplacer leur vieux magasin par un supermarché. Il apportera le capital et en sera ainsi le propriétaire principal alors que Koji en sera le gérant. Koji, qui est très attaché à sa belle-sœur, veut que ce soit Reiko la gérante. Mr Morizono refuse : c'est lui l'héritier de la famille et du foncier ; Reiko aurait, au mieux, une place de secrétaire. A peine revenu à Shimizu, Koji est prévenu du suicide d'un commerçant avec qui il avait joué au ma-jong la veille et qui se sentait acculé à la faillite.

Conviée par ses deux filles, Shizu accepte, malgré ses scrupules, leur plan de créer un supermarché même s'il s'agira d'évincer Reiko. Pendant ce temps, Reiko reçoit la visite de Ruriko, une jeune femme chez qui Koji a passé la nuit et qui lui ramène la montre qu'il avait oubliée. Reiko prend le temps de discuter avec elle et s'aperçoit à quel point elle est éloignée de ce qu'elle souhaite pour Koji. Lorsque celui-ci rentre, elle lui demande pourquoi il se comporte aussi mal. Il lui déclare alors soudainement tout ce qu'il a sur le cœur : il n'est rentré de Tokyo que pour se rapprocher d'elle qu'il aime et c'est parce qu'il n'a jamais osé lui avouer son amour qu'il passe son temps à ne rien faire.  Reiko est bouleversée par cette révélation inattendue et, au fil des jours, se montre de plus en plus fébrile lorsque Reiko l'approche. De son côté, celui-ci a totalement changé d'attitude, aidant Reiko au magasin et acceptant les agressions verbales des gérants du supermarché sans répondre par des coups. Toutefois, un après-midi, Reiko lui laisse un mot lui demandant de la rejoindre au temple afin de lui parler en privé. Elle ne l'informe que du fait qu'elle a pris une décision qu'elle lui révélera le lendemain.

Ce jour là, Reiko a convié la famille et annonce qu'elle part l'après-midi même pour retrouver le mari qu'elle s'est choisie dans sa région natale, tout au nord du Japon. Elle comprend qu'elle gêne pour que Koji devienne, ce qu'elle a toujours espéré, le gérant du magasin.  Shizu montre de nouveaux des scrupules à la laisser ainsi partir sans le moindre dédommagement pour ses dix-huit ans de labeur à ses côtés. Ses deux filles, qui ont du mal à cacher leur joie, la font cependant vite taire. Seul Koji trouve cette décision inadmissible et s'en va en ordonnant à sa mère de raccompagner Reiko à la gare.

Dans le train qui la conduit vers Tokyo, Reiko a soudain la surprise de voir surgir Koji qui lui fait signe tout en restant éloigné d'elle. Puis, au fur et à mesure des arrêts qui les rapprochent de Tokyo et laissent libres des places,  Koji se rapproche. Il constate que Reiko se montre de moins en moins farouche tant et si bien qu'ils arrivent côte à côte dans la capitale. Il faut cependant prendre un nouveau train pour le Nord. Koji, de gare en gare, ne cesse de manger de bon appétit, ce qui amuse Reiko. Quand il s'endort, une larme surgit sur son visage. A son réveil, elle lui propose de s'arrêter dans la plus proche gare.  Ainsi, au matin, ils trouvent un hôtel. Reiko entoure le doigt de Koji d'une bague de fil de laine, souvenir de ses jeux d'enfant avec lui et lui indique qu'il devra repartir sans elle le matin suivant. Koji s'y refuse et tente d'enlacer Reiko mais celle-ci se dégage, horrifiée. Blessée par cette attitude, Koji s'enfuit. Saoul, il lui téléphone dans un bar vide. Il se prétend entouré de filles et  déclare qu'il l'a déjà oubliée. Seul, il s'enfonce dans la nuit.

Au matin, Reiko fait sa valise dans laquelle elle range soigneusement la photo de son mari et le sac offert comme gage d'amour par Koji. Elle est soudain alertée par une agitation inhabituelle dans l'hôtel. C'est le corps d'un homme tombé dans un ravin que l'on ramène. Hébétée, Reiko court après la civière et constate, horrifiée, qu'au doigt du mort est encore accrochée la bague de laine.

Mélodrame du bonheur manqué, Femme dans la tourmente commence comme une étude sociologique sur les transformations du commerce avant que cette mutation nécessaire se trouve transposée au cas plus intime du trouble d'une femme douce, effacée et discrète, mal préparée au changement sur laquelle le malheur va finir par s'abattre.

Changer sa place dans la rue

Dans le bourg de Shimizu, la situation des petits commerçants apparait sans solution ; la simple comparaison du prix des œufs ne leur laisse aucun espoir de contrer le devenir vulgaire et massifié dans lequel entre alors la société de consommation japonaise. Les gérants du magasin abusent de leur position dominante pour imposer le concours d'œufs à avaler ou, plus tard, pour agresser verbalement Koji qui tente d'obtenir de l'alcool à bon prix. La seule solution est de transformer la vieille épicerie en supermarché dans une démarche capitaliste qui laisse sur le carreau ceux qui n'ont pas de propriété foncière. Ils sont juste bons, malgré leur travail, à occuper une position subalterne ou pire à se suicider comme le petit commerçant laissant femme et enfant seuls.

Changer de place pour l'être aimé

Dans ce processus de mutation, la douce Reiko est la victime toute désignée. Elle n'a pu aimer son mari que six mois mais celui-ci vit toujours dans sa pensée comme la photo, souvent derrière elle, vient le rappeler dans les moments délicats de sa vie (doit-elle se remarier ? Accepter l'amour de Koiji ?). Elle s'est épanouie comme commerçante efficace et mère de substitution pour Koji. Aucune pensée de changement ne lui est venue.

Koji en revanche est agité de nombreuses arrière-pensées, son amour caché pour sa belle-sœur et son envie, si elle est à ses côtés, de transformer le magasin en supermarché. Les premiers pas qu'ils font ensemble lors de la sortie du commissariat, lui en costume moderne, elle en habits traditionnels disent pourtant tout ce qui les sépare.

Koji tente ainsi naturellement de changer les places assignées pour lui et Reiko depuis dix-huit ans. Il le fait avec légèreté en assumant enfin les livraisons, et les comptes du magasin, voir en se précipitant comme elle au téléphone. Il le fait avec tact, malice et invention dans le train en se rapprochant progressivement d'elle au fur et à mesure des arrêts. Pourtant, après Tokyo, Koiji reprend son comportement enfantin, mangeant avec appétit et se saoulant à la première contrariété. Le tragique de la situation est qu'elle n'avait rien d'inéluctable ;  l'accident n'est pas un suicide et le mince fil de coton qui par le doigt l'unissait à Reiko aurait pu devenir plus solide. C'est en revenant à sa place d'enfant boudeur et irresponsable qu'il noue le drame.

Reiko ne se sentait probablement pas en état de vivre l'amour de Koji dans le petit bourg de Shimizu. Son sens des convenances mais aussi le respect dû à son mari mort l'en empêchait d'où la déclaration d'intention dans le temple. Mais le voyage en train l'émeut et elle se sent prête à aimer  Koji dans l'hôtel où ils s'arrêtent.  La précipitation toute masculine de Koji l'effraie pourtant autant peut-être que l'écart avec ce dont elle se souvient peut être lorsqu'il était enfant. Au matin, mettre dans la même valise la photo de son mari défunt et le sac offert par Koji comme gage d'amour montre bien l'équivalence amoureuse qui s'empare alors d'elle.

Sans le fatal accident, les choses auraient pu être autrement et c'est probablement là ce qu'il y a de plus tragique dans cette histoire qui se clôt sur le visage, pour nous définitivement figé, de Reiko.

Jean-Luc Lacuve, le 13/12/2015.

Editeur : Carlotta Films, novembre 2018. Le coffret des cinq DVD ou Blu-ray, 50,16 €

DVD1 : Le grondement de la montagne (1h31). DVD 2 : Au gré du courant (1h52). DVD 3 : Quand une femme monte l'escalier (1h46). DVD 4 : Une femme dans la tourmente (1h34). DVD 5 : Nuages épars (1h44).

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