Thèmes du cinéma

Nous présenterons succèssivement la mise en scène des aliments (1), la dramaturgie du rapas (2) et les thèmes de la malbouffe (3) et du rapport nourriture et politique (4).

1-Mise en scène des aliments (lait, pain, viande, fruits...)

Le lait (ou la soupe) renvoie aux nourritures simples, à la pureté, à la simplicité. Ainsi dans Festin de Babette les deux moments où les jeunes filles protestantes viennent nourrir les pauvres.

Des nourritures austères
Lait symbole de pureté

Le lait nourriture maternelle, celui de la rivière maternelle lactée de l'expressionniste Nuit du chasseur ou de l'écrémeuse de kolkhoze dans La ligne générale d'Eisenstein.

La nuit du chasseur
La ligne générale

Représentation plus baroque dans Soupçons de Hitchcock ou Le signe de la croix de Cecil B. de Mille (le bain de lait de Poppée).

Soupçon
Le signe de la croix

 

Le pain, abstrait, le pain quotidien servi par Dieu, tel qu'il est encore représenté dans L'heure suprême devient pain à gagner (Le pain et la rue).

ou pain de résistance (Hunger).

Hunger
Hunger

La viande

Dans Touchez pas au grisbi (Jacques Becker, 1953), Jean Gabin attaque le foie gras sur biscottes. Dans Le gorille vous salue bien (Bernard Borderie, 1958), Lino Ventura se gave de petit salé aux lentilles. Dans Alexandre le Bienheureux (Yves Robert, 1967), Philippe Noiret passe son temps au lit en dégustant l'andouille et le thon arrosé de vin. Dans L'aile ou la cuisse (Claude Zidi, 1976), on voit défiler les devantures du nec plus ultra gastronomique parisien. La région du tournage plaide aussi pour la qualité des produits. La Grande vadrouille (Gérard Oury, 1966) se situe en Bourgogne et l'action du Bonheur est dans le pré (Etienne Chatiliez, 1995) se déroule en plein Gers.

Le naturalisme de la représentation renvoie directement aux fétiches de la viande dans Los Olvidados de Bunuel ou à La grande bouffe de Ferreri, le cauchemar du Festin de Babette.

Le cauchemar de Los Olvidados
La danse de La grande bouffe

Les fruits sont l'objet de nature morte. Elaboration difficile de la mise en place de la nature morte dont rend compte Le songe de la Lumière (Victor Erice). Représentation fugitive dans le Festin de Babette

mise en place dans Le songe de la Lumière
fin du repas du Festin de Babette

Les fruits sont aussi métaphore d'un monde, d'un état social voir d'une situation amoureuse dans L'odeur de la papaye verte. Valeur érotique dans La saveur de la pastèque .

Dans 9 semaines 1/2 (Adrian Lyne, 1986) Kim Basinger retrouve Mickey Rourke sur le carrelage de la cuisine. Elle porte un peignoir et une paire de chaussettes. Lui est torse nu. Sur Like bread and butter, de Devo, il lui fait goûter une olive, une cerise, des fraises, de la jelly, du champagne... Il termine par lui faire couler du miel dans la bouche puis sur tout le corps. Ses mains dérapent et il commence à la caresser de manière très suave pour ensuite l'entraîner dans un corps à corps sucré !

Nourritures importantes non évoquées : coquillages, fromage (La Ricotta), gâteau (Ecce Bombo, Bianca).

 

Nourriture et dramaturgie

Le repas proprement dit est souvent un prétexte : mise en valeur d'un dialogue dans Les tontons flingueurs (Georges Lautner, 1963) ; acalmie avant ou après une tension dramatique comme dans Eaux profondes (Michel Deville, 1981). Le repas est souvent le prétexte à convivialité familiale qui dégénère ainsi dans Vincent François Paul et les autres de Claude Sautet moment d'agression caractérisée puis de la révalation dans Que la bête meurre de Claude Chabrol ; point de départ d'une enquête policière dans Une affaire de goût (Bernard Rapp, 1999). Dans Mary et Max. (Adam Elliott, 2009) la nourriture comme point commun entre les deux personnages, distants de plusieurs milliers de kilomètres.

Le parrain 3, la réunion d'Atlantic city

Le banquet source de dispute à partir d'une phrase : "L'un d'entre vous me livrera" lors de la cène dans L'évangile selon saint Matthieu de Pasolini et l'intervention du père dans A nos amours de Pialat (la tristesse durera toujours) ou la dispute à table de Que la bête meure. (et bein ce ragoût est tout simplement déguelasse).

Le festin de Daphnis et Chloé qui peut renvoyer aux festins champêtre comme La nape blanche du Guépard, le faste du repas de Chantilly dans Vatel

Aussi champêtre Les amours d'Astrée et Celadon de Rohmer ou les repas amoureux : les petits déjeuners de la nouvelle vague ou l'invitation chez Mme Tabard dans Baisers volés.

 

3- De la bonne bouffe à la mal bouffe

Les cuisiniers et cuisinières sont à l'honneur dans Le festin de Babette (Gabriel Axel, 1987) où l'héroïne, chassée au danemark après La Commune, se révèle être l'ancienne chef cuisinière du Café anglais, le plus grand restaurant parisien de 1870. Plus léger, Le festin chinois (Tsui Hark, 1994) dans lequel un apprenti cuisinier sans talent voulant venir en aide à son patron, propriétaire de l'un des restaurants les plus réputés de Hong-Kong mis au défi par ses ennemis, finit par déclencher les pires catastrophes. The god of cookery (Stephen Chow, 1996) met en scène un roi de la cuisine indisputé qui se voit un jour défié publiquement par un concurrent. Ce dernier n'hésite pas à l'humilier publiquement en révélant son passé de criminel. Le roi déchu doit alors se ressaisir et travailler dur pour retrouver son titre. Dans Les 1001 Recettes du Cuisinier Amoureux (Nana Djordjadzé, 1996), Pierre Richard retrouve les recettes d'un cuisinier géorgien. Dans Vatel (Roland Joffé, 2000), est mise en scène la cuisine du chef de Louis XIV. Dans Julie et Julia (Nora Ephron, 2009) une secrétaire frustrée entreprend de réaliser, en un an, les 524 recettes de la célèbre cuisinière Julia Child !

Dans Osmosis Jones (Bobby et Peter Farrelly, 2001) la trash food est vue comme vecteur de maladies. Superzize me (Morgan Spurlock, 2004) et Food, Inc. (Robert Kenner, 2008) décortiquent les rouages d'une industrie qui altère chaque jour notre environnement et notre santé.

4-Nourriture et politique : vers un monde de cauchemard

La grande bouffe (Marco Ferreri, 1973) avec Ugo Tognazzi, Philippe Noiret, Michel Piccoli, Marcello Mastroianni et Andréa Ferréol) annonce et dénonce la société de consommation où le corps et l'âme ne sont plus des valeurs humaines mais ont vocation à une très lente dégradation.

La surcharge baroque catholique du Festin de Babette le marché des halls de Voici le temps des assassins.

La table garnie du Festin de Babette

Mais le repas peut aussi revêtir une critique politique de la société. La dialectique du plaisir gustatif est une contestation de la morale établie. Dans Le chocolat, (Lasse Hallström, 2000) c'est l'idéologie religieuse qui est la cible. Le cinéma devient alors un plaidoyer pour l'efficacité subversive de la tentation, à laquelle on cède comme garantie de la délivrance de ses préjugés.

Dans Estomago (Marcos Jorge, 2007) Nonato se sert de ses talents culinaires pour flatter les puissants et avancer dans la vie. Après tout, lui seul connaît véritablement les morceaux de choix. Dans Nouvelle cuisine (Fruit Chan, 2005) Ching Lee, une ancienne star approchant la quarantaine, est décidée à retrouver sa beauté d'antan pour reconquérir son infidèle mari. Elle s'adresse alors à Mei, une cuisinière charismatique qui a pour spécialité les jiaozi, raviolis à la vapeur typiques de la cuisine chinoise. Vendus à prix d'or, les jiaozi de Mei, à l'étrange éclat rosâtre, sont réputés pour leurs vertus rajeunissantes. Ching, prête à tout pour retrouver sa jeunesse, ne se soucie guère de connaître les ingrédients de la recette secrète de Mei.

Manger des corps humains est l'ultime étape des sociétés mourantes, depuis Soleil vert (Richard Fleischer, 1973) et Delicatessen (Jean-Pierre Jeunet, 1993) jusqu'au plus trash Midnight meat train (Ryhuei Kitamura, 2009) où des humains se font massacrer et découper dans le métro new-yorkais afin de servir de nourriture à une sorte de quart-monde monstrueux qui vit dans les entrailles de la cité.

Avec Thirst, ceci est mon sang (2009), l'histoire d'un curé devenu vampire, Park Chan-wook developpe les dilemmes ethiques du vampirisme en rapport avec le canibalisme. De même dans La route (John Hillcoat, 2009) la nourriture est devenue une quête vitale mais pas à n'importe quel prix et le père et son fils refusent le cannibalisme. Dans Daybreakers (Michael et Peter Spierig, 2009) les humains ne sont préservés que pour fournir le sang nécessaire aux vampires. Qu'adviendrat-il d'eux si un sang de synthsèe est découvert ?

Tempête de boulettes géantes (Phil Lord et Chris Miller, 2008) Flint Lockwood, un ingénieur loufoque, tente de trouver des solutions pour vaincre la faim dans le monde. L'une de ses inventions va provoquer une pluie soudaine de nourriture et déclencher des catastrophes à l'échelle mondiale.

 

Sources :

Jean-Luc Lacuve le 08/12/2010.

Principaux films :
       
Les délices de Tokyo Naomi Kawase Japon 2015
#Chef John Favreau U. S. A. 2014
The lunchbox Ritesh Batra Inde 2013
Thirst, ceci est mon sang Park Chan-wook Corée 2009
Daybreakers Michael et Peter Spierig U. S. A. 2009
Midnight meat train Ryhuei Kitamura U. S. A. 2009
Julie et Julia Nora Ephron U. S. A. 2009
Mary et Max Adam Elliot U. S. A. 2009
La route John Hillcoat U. S. A. 2009
Food, Inc. Robert Kenner U. S. A. 2008
Tempête de boulettes géantes Phil Lord et Chris Miller U. S. A. 2008
Estômago Marcos Jorge Brésil 2007
Next Floor Denis Villeneuve France 2007
Le goût de la vie Scott Hicks U.S.A. 2007
Nouvelle cuisine Fruit Chan Hong Kong 2005
Super size me Morgan Spurlock U. S. A. 2004
Osmosis Jones Bobby et Peter Farrelly U. S. A. 2001
Chère Martha Sandra Nettelbeck Allemagne 2001
Chocolat Lasse Hallström U. S. A. 2000
Vatel Roland Joffé France 2000
Une affaire de goût Bernard Rapp France 1999
The god of cookery Stephen Chow Hong-Kong 1996
Le festin chinois Tsui Hark Hong-Kong 1994
Salé sucré Ang Lee Taïwan 1994
Cuisine et dépendances Philippe Muyl France 1993
Delicatessen Jean-Pierre Jeunet France 1993
Le cuisinier le voleur, sa femme... Peter Greenaway G.-B. 1889
Le festin de Babette Gabriel Axel Suède 1987
9 semaines 1/2 Adrian Lyne France 1986
Tampopo Juzo Itami Japon 1986
La grande cuisine Ted Kotcheff U. S. A. 1978
L'Aile ou la cuisse Claude Zidi France 1976
La grande bouffe Marco Ferreri Italie 1973
Soleil vert Richard Fleischer U. S. A. 1973
Alexandre le Bienheureux Yves Robert France 1967
La cuisine au beurre Gilles Grangier France 1963
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