L'Annonciation, la naissance de Jésus dans une étable, la fuite en Egypte, les miracles, sa mort sur la croix et la resurrection.
Le prologue sur l'enfance du Christ est muet. Le reste du film, au contraire, laisse souvent la parole à Jésus.
L'adaptation de Pasolini est très fidèle au texte de saint Matthieu. Mais Hervé Joubert-Laurencin dans l'excellent Portrait du poète en cinéaste est excessif lorsqu'il déclare qu'elle suit intégralement le texte de l'évangéliste en respectant chaque mot de l'édition de la Pro Civitate Chritiana d'Assise.
Pasolini décrit un nombre restreint de miracles : la guérison des possédés, celles du lépreux et de l'infirme, la multiplication des pains, la marche sur du Christ sur l'eau, la découverte prédit de l'ânesse à Jérusalem et le figuier desséché. Il exclut, parmi les nombreuses guérisons de possédés et d'invalides évoqués par le texte de l'évangéliste, deux des plus spectaculaires : la guérison du fils du centurion et celle des deux aveugles (Mat. IX, 27-31).
Second miracle après celui du lépreux selon Mathieu, l'exorcisme des possédés est l'un des plus mystérieux. Pasolini semble avoir été gêné par ce miracle muet et ambigu au point qu'il ait préféré le placer en premier, contrairement au texte de l'évangéliste, pour laisser sa force de conviction à celui du lépreux (Mat VIII. , 2-4). Le texte de Matthieu (VIII, 28-34) indique que les possédés demandent à ce que les démons aillent habiter le corps de cochons laissés à proximité et qui une fois habités des démons vont se jeter dans la mer …ce qui provoque la colère de leur propriétaire contre Jésus. Pasolini filme le Christ et les possédés enfermés dans une tour en champ contrechamp, le premier suppliant Dieu, les seconds se tordant de douleur. Le dernier plan sur les possédés les laisse souriants.
Si Pasolini préfère traiter sobrement ces miracles c'est qu'il y croit peu. Pour lui la parole est le vecteur principal de la force de conviction du Christ. Il se montre tout aussi sobre dans le traitement des apparitions. L'ange qui apparaît trois fois à Joseph (pour qu'il épouse Marie, pour la fuite en Egypte, et pour le retour en Judée permis par la mort d'Hérode) pourrait surgir de ses pensées car, à chaque fois, il surgit au réveil de Joseph. Les visualisations des tentations dans le désert sont extrêmement furtives : un homme au visage buriné apparaît de nulle part (qui lui demande de transformer les pierres en pain, qui le conduit devant un précipice et lui fait contempler un paysage à l'horizon dégagé)
A l'inverse de Scorsese qui choisira dans La dernière tentation du Christ de se rapprocher, via Nikos Kazantzakis de saint Jean, le plus visuel des évangélistes, Pasolini choisit le plus moraliste des apôtres, Matthieu, le tenant de la parole et de la globalité du message. Il opose le sacré dans son expressionnisme lyrique au néoréalisme des paysans. La parole, omniprésente, est ce qui relie le sacré au peuple.
Jésus, bloc de paroles, possède une psychologie impénétrable. La fameuse séquence des apôtres passant près de la maison de Marie et intégrant un faux raccord est une scène de transition marquant le passage de Béthanie à Nazareth et certainement pas, comme le croit Hervé Joubert-Laurencin, une séquence ajoutée par Pasolini, pour marquer le repentir de Jésus qui vient de renier sa famille terrestre au profit de son père dans le ciel. Il est bien difficile de distinguer la larme que le critique voit dans les yeux de Jésus en fin de séquence.
A l'inverse, les apôtres sont tous décrits avec soins et nommés avant la fameuse scènes des impréccations. On découvre aussi la mère de Pasolini, bouleversante dans le role de Marie, au pied de la croix.
A l'égal de la parole, la lumière et la musique servent au passage de sacré vers le profane Toutes les musiques du monde sont conviées : Prokofiev et Mozart, du negro spiritual, des chants congolais. Et par dessus tout, La Passion chavirante de Bach.
Bibliographie : Hervé Joubert-Laurencin : Pasolini, portrait du poéte en cinéaste. Editions Cahiers du cinéma, 1995.