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Repérages en Palestine pour
l'Evangile selon Saint-Matthieu

1965

 
Voir : photogrammes
Genre : Documentaire

(Sopralluoghi in Palestina per il vangelo secondo Matteo). Avec : don Andrea Carraro, Pier Paolo Pasolini. 0h52.

A 50 kilomètres de Tel Aviv, loin des paysages industriels et modernes semblables à ceux de l'Italie, Pasolini  est tout à coup, avec ce paysan brassant la paille, devant un monde biblique archaïque. Pasolini préfère la frontière jordanienne que la Galilée où il se trouve mais, à ce moment là, il croit encore qu'il pourra tourner sur les lieux où Jésus a vécu même si la campagne elle-même est trop moderne et industrielle.

Vers Nazareth et le lac Tibériade,  c'est un même paysage contaminé par la modernité qu'il rencontre. Le mont Tabor n'est pas très différent du mont Soracte et les petites maisons blanches à ces pieds pas différentes de celle de l'Italie ou de Suisse. Là où Jésus fit ses prêches domine un sentiment de modestie, de petitesse et de grande humilité. Encore une fois ces lieux sont semblables à ceux de la Calabre ou des Pouilles. Devant ce mont des Béatitudes imaginé comme l'un des lieux les plus fabuleux de son film, le décor le plus spectaculaire de Palestine,  c'est au contraire  le sentiment d'humilité qui est le plus fort. Arrêt pour une église près du lac Tibériade où Jésus aurait confié à pierre la mission de bâtir son église puis départ pour Capharnaüm. Pasolini s'avoue découragé devant Don Andrea du fait de la modernité présente partout. Le décor de l'évangile n'est-il donc fait que des ses petites choses pauvres, sans décor, étouffantes, dévorées par le soleil ? Il se convainc qu'il doit s'imprégner de cette situation, l'absorber pour la revivre plus tard, la reconstruire, la réinventer peut-être ailleurs, la réimaginer et l'adapter à sa propre sensibilité. Pas facile non plus de trouver des figurants : tout le monde a un travail bien payé, un travail idéal. Pasolini est intimidé devant le Jourdain que Pollaiolo a peint dans son Baptême du Christ. Don Andréa approuve : c'est un humble ruisseau bien différent des glorieux Nil ou Gange, qui traverse tout L'évangile en accord avec le message chrétien.

Passage par un kibboutz à la frontière avec la Jordanie, en face de Capharnaüm, là où eut lieu le miracle des pains et des porcs tombés dans la mer. Village de Gadara surplombé d'une montagne de laquelle tirent les Syriens. Ces montagnes sont semblables à celles de Crotone, ces oliviers à ceux des Pouilles. Voyage vers Nazareth, territoire des Druzes, arabes restés en Israël. Pasolini est ravi de trouver ce sous-prolétaire arabe, le seul qui soit resté vraiment ancien et archaïque alors que la société israélienne est très moderne. C'est dans ces villages qu'il aimerait tourner les miracles, les visages arabes sont archaïques et préchrétiens, indifférents, heureux, sauvages Ces villages ressemblent toutefois à Massafra ou aux quartiers de Bari dans les Pouilles. Passage par les kibboutz des territoires colonisés. Leur aspect institutionnel qui modifie le paysage. Il interroge les habitants de celui de Baram : une jeune femme trouve dure émotionnellement l'éducation collective des enfants même si elle l'approuve intellectuellement.

Nazareth est une ville moderne décevante avec une quête, quand même, de visages, de détails, de costumes. Aux alentours, tout semble brûlé, physiquement et en esprit et rien, qui puisse remplacer Nazareth. Nouveau départ en voiture vers le désert.

Vers Bersabée, habitée par des bédouins, parenthèse enchantée mais matériel inutilisable pour le film. Sur les rives de la mer morte. C'est le seul paysage qui contient en lui-même l'empreinte de sa splendeur. Le reste est sublime et solennel dans sa petitesse jamais glorieuse cyclopéenne. Décor idéal pour les 40 jours dans le désert. Ce sera le seul problème d'un tournage en Italie. Possibilité de reconstituer ce désert prés de l'Etna mais jamais avec ce vaste horizon.

Après la Galilée et le voyage vers le sud et Beer-Shev'a, c'est maintenant vers Jérusalem que se rendent Pasolini et Don Andrea., Pasolini aime les visages israélien qui doivent leur beauté archaïque au fait d'avoir été  sous domination arabe longtemps. Nouvelle désillusion après  les lieus désertiques, sans charme, trop chauds autour d'un lac. Ici aussi,  paysages et personnages ont perdu leur aspect archaïque. Don Andrea l'interroge. A son avis, la Palestine était-elle plus riche, plus spirituelle au temps des évangiles ? Le spirituel pour lui ne correspond pas à une notion ayant trait à l'intime ou au religieux mais est envisagé sous son aspect esthétique. "Si je suis déçu au niveau pratique, cela n'a pas d'importance parce que j'ai aussi reçu une révélation esthétique profonde et cette révélation esthétique est beaucoup plus importante parce qu'elle touche un domaine que je pensais maitriser. Je pensais que plus les choses sont petites et humbles plus elles sont authentiques et belles. C'est encore plus vrai que ce que j'imaginais. Cette idée des sermons prononcés sur ces quatre collines pelées est devenue une  idée esthétique et donc spirituelle." D'une nouvelle vision de  Jérusalem sous une autre perspective, Pasolini est persuadé que cette ville sublime doit marquer un tournant dans son film. Il veut donner à l'apparition de Jérusalem une esthétique différente. "Elle apparait dans l'évangile de saint Matthieu au moment où la parole du Christ, jusqu'a présent seulement religieuse, sans la volonté directe du christ ou des apôtres, mais pour des raisons historiques, où la parole donc prend un caractère public et politique, en plus de religieux. Cela ne pourra être explicite dans le film mais implicite au travers le changement stylistique de la narration. Alors qu'au début tout sera pur et simple, marqué par la réalité absolue, l'arrivée à Jérusalem marquera un tournant dans le film. Ce sera quelque chose de grandiose."

Dans la partie jordanienne de Jérusalem, Pasolini est frappé de la joie de vivre des pauvres et des prolétaires. Il parcourt la Porte du soleil, le jardin de Gethsémani aux oliviers torturés par la nature, la Fontaine de Siloé, la vallée de Géhenne, le mur des lamentations. Puis au cœur de Jérusalem, il marche  vers le sépulcre. Il s'étonne auprès de Don Andrea : le calvaire était  à cinq ou six mètres de la tombe du Christ, humble et de petites dimensions. Or c'est aujourd'hui une énorme église qui s'y est posée comme un aigle, cumulant différentes architectures et sortes d'églises. Sans parler de ce mélange de couches historiques ou même de l'aspect vénal embarrassant, que penser que la splendeur se soit superposée à l'humilité. Don Andrea, toujours posé, répond qu'ici s'est fait entendre la parole du christ et qu'ici chacun se l'est approprié au cours des âges et a voulu laisser sa trace. A la succession des peuples qui ont  tiré quelque chose de la parole du Christ, c'est accumulé la succession de ceux qui ont voulu lui rendre hommage. La visite de Jérusalem se poursuit avec la Porte de Damas, idéale pour le décor des rois mages qui demandaient leur chemin avant d'aller à Bethléem

Alors que Pasolini traverse les paysages tragiques vers Bethléem, Don Andrea lui lit le passage de saint Paul qui correspond à ses interrogations sur la révélation de l'humilité : Dieu a choisi ce qui est fou pour confondre les sages; ce qui est faible dans le monde pour confondre les forts ; ce qui est sans naissance et que l'on méprise; Dieu a choisi ce qui n'est pas pour réduire à rien ce qui est".

Bethléem  n'est pas aussi moderne que Nazareth ou Jérusalem mais beaucoup de poteaux et de voitures ne permettent pas de la filmer telle quelle, obsession encore de lui trouver une substitution. Pasolini est bien obligé de constater qu'il a peu trouvé en Israël et en Jordanie. Les monuments sont trop modernes ou en ruine. Il tente encore de se remémorer la grotte où est né le christ en passant par une petite porte censée, selon la tradition, en représenter l'endroit et  pénètre sous terre. En sortant, heureusement, Pasolini  croise une église dédiée à l'Ascension : le plus beau moment des évangiles, celui où le Christ nous laisse seuls et nous partons à sa recherche.

Parti sur les traces du Christ, Pasolini cherche dans les lieux revisités et leurs habitants la confirmation du fait historique. Il prépare l'écriture de L'Évangile selon Saint-Matthieu. Mais les lieux saints sont devenus trop modernes. Il choisira le Basilicate, une des régions les plus pauvres et les plus arriérées du Mezzogiorno italien, pour tourner l'Evangile.

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