We blew it

Jean-Baptiste Thoret
2017

Genre : Documentaire

Avec : Michael Mann, Bob Mankoff, Michael Lang, Bob Rafelson, Angel Delgadillo, Charles Burnett, Lisa Law, Mary Corey, Jerry Schatzberg, Fred Williamson, Peter Bogdanovich, Mark Oakes, Peter Hyams, Paul Schrader Ronee Blakley, Tobe Hooper, Peter Hyams, Stanton Kaye, Jeff Lieberman, Stephanie Rothman, Paul Schrader, James Toback. 2h17.

Citation de Las Vegas Parano (Hunter S. Thompson, 1972): "Notre énergie débordait par dessus tout. Nous avions un élan formidable. Nous surfions sur la crête d’une vague très haute, et très belle". S'en suit une déferlante d'images iconiques de la pop culture des années 60 puis l'extrait célèbre d'Esay rider où Peter Fonda, autour du feu de camp déclare : "You know Billy, we blew it" : "On a tout fichu en l’air."

Bob Mankoff du New Yorker fait le constat que dix ans après Woodstock, tous les hippies ont remis le costume.

Un petit propriétaire d’un petit magasin à Dunsmuir (Californie) déclare que son salaire d'ouvrier a baissé de 40 %. Lae main d'œuvre immigrée clandestine accepte en effet n'importe quel salaire. Il est fier d'être américain et va voter pour Trump. Il se souvient avec nostalgie des années 70 où tout n'était que "Sex, drugs and rock ‘n’roll" ; où les concerts servaient surtout à emballer les filles.

La caméra retrace le dernier parcours de JFK à Dallas, 22 novembre 1963. Depuis l'assassinat de Kennedy l'Amérique a perdu son innocence. Il sera possible de rire à nouveau mais plus de rire comme un enfant. Près de la croix marquée au sol où Kennedy fut mortellement touché, un Américain vend depuis 1982 sa théorie sur ce meurtre.

L'universitaire Mary Corey analyse aussi l'état de la société. Les derniers objectifs communs qu’a poursuivi la grande Amérique sont ceux de la fin de la Seconde Guerre mondiale, repousser le communisme et établir une société plus juste. Après l'assassinat de Kennedy, l'Amérique n'y croit plus et s'interroge sur elle-même. Puis sont arrivés les Beatles qui ont libéré l'énergie trop longtemps contenue.

C'est aussi en Californie qu'habitait Charles Manson qui commandita aux adeptes de sa secte une série d'assassinats dans la région en 1969, notamment ceux de l'actrice américaine Sharon Tate, épouse du réalisateur Roman Polanski, alors enceinte de huit mois, et de quatre de ses amis.

Une mère de famille trumpiste dans son local de campagne du Tennessee ne comprend pas pourquoi les démocrates, qui furent les premiers à combattre un État tout puissant et policier dans les années 60, sont ceux-là même qui, aujourd'hui, réclament plus d'État.

Interview de Stéphanie Rotman, cinéaste.

Le réalisateur noir Charles Burnett, rappelle que cette décennie fut aussi celle d'une ségrégation raciale. Il interroge la femme sur le palier, et demande un voir son voisin qui joua dans l'un de ses films. Il l'informe qu'un autre est mort, se jetant contre un train. Aupres des tours de Watts, il pense que c'est éloigné la volonté de changer le monde. Même ce quartier de Los Angeles s'est gentrifié et les maisons y sont hors de prix. Charles Burnett disparait comme un acteur de My Brother wedding alors qu'apparait, avec son cigare, l'acteur star de la Blaxploitation, Fred 'The Hammer' Williamson. Pour lui explique-t-il avec assurance, il n'y a pas de noirs, pas de blancs. Il n'y a que du vert : les dollars.

Ronee Blakley, la chanteuse country vedette de Nashville (Robert Altman, 1975) joue sur un piano posé au milieu du gazon, devant le Parthénon de la ville qui avait servi de décor pour la séquence de concert finale.

Un vétéran du Vietnam ne comprend toujours pas qu'on ait pu traiter les soldats de tueurs d'enfants. D'autres vétérans crient leur colère après les effets de l'agent orange sur les malformations de leurs enfants à la naissance.

Accompagné par le Requiem de Zelenka, le Festival Burning Man, une grande rencontre artistique qui se tient chaque année dans le désert de Black Rock au Nevada, semble faire ressurgir l'esprit des années 70.

Angel Delgadillo, un vieux barbier de Seligman qui a participé activement à la renaissance de la Route 66 dans sa bourgade de l’Arizona se dit fier d'avoir retrouvé l'esprit des pionniers : "un gouvernement du peuple par le peuple pour le peuple". Goldfield (Nevada) possède toujours son animateur radio qui commentait la course du personnage de Point Limite Zéro. RJ exprime son espoir de voir Trump tout changer ; chasser les immigrés et les musulmans même si lui-même entretient de bons rapports avec sa belle-sœur musulmane ce que sa compagne, Sharon, confirme.

Tobe Hooper, filmé quelques mois avant sa disparition, énonce spontanément la formule " we blew it".

Pour Paul Schrader l'attente du public a changé. Avant, il cherchait une réponse aux questions qu'il se posait dans les films. Aujourd'hui, on va au cinéma juste pour se distraire. Comment faire de grands films quand le public n'attend plus rien du cinéma ? Raphelson, 80 ans avec ses deux petits-enfants, a envie d'y croire. Un geek dont personne n'attend rien inventera peut-être le cinéma de demain. Bogdanovitch disparait et panorama urbain

Long travelling arrière une route rectiligne perdue au milieu des étendues désertiques à perte de vue, avec une voiture symbolique des années 70. La voiture s'éloigne peu à peu de l'objectif jusqu'à disparaitre. Les couleurs virent au noir et blanc.

La structure du film exprime le sentiment nostalgique de son réalisateur vis à vis d'une époque flamboyante qu'il faut apprendre à quitter. Auteur du Cinéma américain des années 70, Jean-Baptiste Thoret ne cherche pas à refaire son livre référence sur le sujet. Il n'interviewe ainsi pas les réalisateurs les plus connus du nouvel Hollywood, Scorsese ou Coppola. Il préfére capter la  parole de cinéastes sur le cinéma d'aujourd'hui. Cet éloignement par rapport aux années 70 on le retrouve aussi dans la vie des gens ordinaires rencontré sur le chemin. Reste un constat désespéré d'un grand cinéma qui n'est plus qu'un souvenir tant l'exigeance des gens vis à vis de l'art a diminué. Constat aussi d'une même dégenerescence d'un idéal américain qui s'est replié sur la parole simpliste de Donald Trump.

Le reflux de la vague de la contre-culture

Le film s'organise en trois temps  : une introduction flamboyante et rapide, un parcours fantomatique où cinéastes et Américains ordinaires évoquent ce qui reste des années 70 et un final flamboyant et lent comme un long adieu à un période qu'il faut quitter pour fixer la notre dans les yeux

L'extrait de Las Vegas Parano de Hunter Thompson, au début, est sciemment tronqué. Il est écrit :

... Être à San Francisco dans les sixties, signifiait vivre à une époque et dans un lieu bien particulier. Mais aucune explication, aucun mélange de mot, de musique, ne peut restituer ce que c’était d’être et de vivre dans ce coin du temps et de l’espace. Quoi que ça ait pu vouloir dire... Il y avait de la folie dans tout les sens, à toute heure. On pouvait allumer des étincelles partout. Il y avait ce sentiment extraordinaire que quoi que nous fassions, c’était juste que nous étions en train de gagner. Et ça je crois, c’était la force qui nous poussait. Cette sensation de victoire inévitable sur les forces du vieillissement et du mal.. Pas au sens militaire du mot victoire, on n'en avait pas besoin. Notre énergie débordait par dessus tout. Nous avions un élan formidable. Nous surfions sur la crête d’une vague très haute, et très belle....

Ce début fait état de l’élan fabuleux des années 60 mais, tout de suite après vient son complément :

Alors maintenant, moins de cinq ans après, vous pouvez aller au sommet d’une colline escarpé de Las Vegas regarder vers l’Ouest, et si vous avez le regard qu’il faut, vous pouvez voir la ligne de partage des eaux et de la terre, l’endroit où la vague a fini par déferler, et opérer son reflux

Thoret s'inspire du début de la citation pour faire suivre ce carton initial d'une déferlante d'images iconiques de la pop culture des années 60.

Le cœur du film se présente comme un voyage au sein d'une Amérique fantomatique qui vivrait, selon le réalisateur dans le regret des années 70. Cette Amérique est faite de fantômes, de gens morts et de paysages morts. La route 66, abandonnée un temps revit certes mais affreusement livrée au tourisme. Les  idéaux se sont enfuis : A Charles Burnett effacé succède Williamson cynique mais lucide sur le pouvoir de l'argent qui va déferler sur les années 80. Ronee Blakley, la chanteuse country vedette de Nashville est la seule survivante du film. Si la caméra est numérique, les optiques sont celles utilisées par Altman pour Nashville.

Thoret termine son film par un plan très lent de huit minutes. Aussi rapide qu'était la déferlante initiale est lent ce dernier plan, un trip à la Antonioni, un hommage à deux célèbres finals de cinéma très importants pour Jean-Baptiste Thoret. Le plan est proche de celui du final d'Electra Glide in Blue (James William Guercio, 1973). La fin comme un adieu au temps de la splendeur, à une période qui ne revivra jamais évoque aussi la fin de La horde sauvage. Les héros ont accepté de mourir lors du combat suicide dans un camp mexicain. Mais le réalisateur les fait revire dans un plan final chevauchant dans un sous-bois où ils disparaissent dans la forêt.

Dans ce plan maniéré,Thoret veut dépasser une longueur qui pourrait paraître comme une faute, puis dépasser l'ennui provoqué, pour composer un plan de métamorphose, un adieu nostalgique aux années 70 au travers de son symbole qu'est la Ford Thunderbird (celle du Canardeur) parcourant les grands espaces. Il faut apprendre à la laisser s'éloigner pour espérer trouver une nouvelle frontière romantique de demain.

A qui parle l'art à l'heure du capitalisme industriel ?

Le réalisateur n'a en effet aucune envie de faire un film didactique qui reprendrait plus ou moins son livre, Le cinéma américain des années 70 sur l'importance et la complexité de ces annéeslà. Il y a d'abord les cinéastes des  années 30  et décédés aujourd'hui : Sam Peckinpah, Robert Aldrich, Arthur Penn, John Frankenhaimer. La deuxième catégorie est composée des grands réalisateurs de la fin des années 60, début des années 70 : Martin Scorsese, Brian De Palma; Francis Ford Coppola, Al Ashby avec, comme films phares,  Le Lauréat  (1967), Easy rider (1969), Vanisching point (1971), L'épouvantail (1973). La troisième catégorie comprend les films des années 74-75 avec Joe Dante ou John Carpenter. Il ya enfin les cinésates droitiers qui n'appartiennent pas à la contre-culture : Don Siegel ou William Friedkin.

Sans doute fatigué d'entendre les discours bien rodés de Martin Scorsese, Francis Ford Coppola ou William Friedkin, qui ont déjà eu l'occasion de se faire entendre, Thoret privilégie Bob Raphelson ou l'oubliée Stéphanie Rotman, première femme embauchée par Corman qui réalise des films entre 1969 et 1975.

Paul Schrader analyse l'évolution de l'attente du public. Celle-ci a changé. Avant, le public cherchait une réponse aux questions qu'il se posait dans les films. Aujourd'hui, on va au cinéma juste pour se distraire. Comment faire de grands films quand le public n'attend plus rien du cinéma ? Thoret est particulièrement sensible à la désaffectionn de la classe moyenne pour le cinéma. L'expert et l'honnête homme apprenaient le monde avec le cinéma. Aujourd'hui seul le noyau dur de la cinéphilie va très bien, 100 000 spectateurs en France qui peuvent converser entre eux mais plus beaucoup avec les gens ordinaires. La majorité s'intéresse de moins en moins au cinéma et va voir des films de moins en moins intéressants. Le parrain ou L'inspecteur Harry furent des fims populaires. L'effondrement du niveaude l'industrie répond à l'attente du spectateur. On ne peut pas faire de grand film s'il n'y a pas de grand regard, exigeant. La classe moyenne qui explique la puissance du cinéma et donc de la critique de cinéma fond comme neige au soleil.

En passer par l'Amérique de Donald Trump

Tous les éléments expliquant et marquant des années 70 sont là : Kennedy, Vietnam, Charles Manson Charles Burnett qui rappelle que cette décennie fut aussi celle d'une ségrégation raciale, Lize Hallow qui regrette la mise hors jeu de Bernie Sanders dont on entend un discours ainsi que, off, des extraits de Sous surveillance (Robert Redford, 2013) qui fait état de la fin des idéaux contestataires.

35 000 km, trois mois de repérage, trois mois d'approche des personnages début aout 2016, deux semaines avant le 8 novembre 2016 Des 145 heures de rushes ramenés d'un tournage terminé deux semaines avant l'élection de Donald Trump, Thoret à coupé tout ce qui concernait la cinéphilie pure. Des six heures avec Raphelson ne reste ainsi que son avis sur l'avenir du cinéma. Il privilégie les témoignages de citoyens appauvris et repliés sur eux-mêmes que les discours des intellectuels démocrates, tentant d’analyser et d’expliquer ce pays à la dérive, ne peuvent plus toucher. Thoret évite néanmoins les grandes villes, les gens sociables pour finir, un peu facilement, sur santa Monica et les ados avec leur téléphone pour une chasse aux Pokémons.

Ce repli sur les années 70 va jusqu'à ne consacrer que dix minutes pour passer de la fin des années 70 à aujourd'hui. La bande-son est soignée avec titres de Creedence Clearwater Revival, des Allman Brothers,  de Crossby, Still, Nash & Young ou encore de Bruce Springsteen Ou encore lors de cet ultime plan séquence la mélancolie du Tell Me de Terry Kath.

Jean-Luc Lacuve le 25 novembre 2011

Ressource internet : Entretien video avec Jean-Batiste Thoret