Le cinéma américain des années 70

Jean-Baptiste Thoret

392 pages. 35 euros. Cahiers du cinéma

Le livre aborde le cinéma américain des années 70 sous un angle bien moins anecdotique que Le nouvel Hollywood (2002) de Peter Biskind.

Pour Jean-Baptiste Thoret, on peut parler d'un nouvel Hollywood comme on a parlé d'une nouvelle vague pour regrouper un certain nombre de films américains entre 1967 : Bonnie and Clyde et 1980 : La porte du paradis.

Toutefois, alors que La nouvelle vague voulait rompre avec le cinéma précédant, le nouvel Hollywood souhaite seulement bifurquer tout en reprenant la ligne du cinéma des studios.


Boorman dans Délivrance ou Scorsese dans The big shave ne parlent plus d'une violence incarnée par un autre, un méchant mais d'un mal intérieur qui conduit à l'automutilation. Contemporain par ses allusions à la guerre du Vietnam, The big shave travaille aussi la référence à Psychose.

Dans Easy rider (Dennis Hopper, 1968) Peter Fonda improvise face à Dennis Hopper dans la scène du feu de camp avant le dernier voyage mortel. Il conclut sur un mystérieux "We blew it" (On a foiré) qui rend compte de l'insatisfaction fondamentale et tragique produite par la recherche du nouvel Hollywood.

Le road movie en est profondément transformé. Il n'est plus un voyage d'un point A à un point B, d'un point de départ à un point d'arrivé. Il s'agit, d'une part, de fuir alors que, d'autre part, on ne connaît pas le but voyage. Cette recherche est plus temporelle que géographique. Il s'agit de rechercher au fond de soi même. se chercher soi-même exclut l'idée du happy end qui suppose que l'on a tout compris, que l'on à tué les méchants ou construit un couple ou une société.

Quelques traits communs se dégagent des films des années 70 : un irrespect systématique à l'égard des règles classiques de l'intrigue et de l'évocation chronologique des évènements; un doute sur les motivations des personnages et, partant un jugement moral (souvent) relégué au second, une sympathie pour les marginaux, un rapport frontal au sexe et à la violence, un scepticisme chronique à l'égard de toute forme d’autorité ; le dévoilement du cinéma comme médium qui rend visible les mécanismes de fabrication du film; un goût pour la relecture et la déconstruction critiques des genres; enfin une volonté de substituer à l'horizon artificiel du cinéma hollywoodien et des réponses qu'il apporte, la beauté d'un parcours incertain qui s'achève par une série de questions ouvertes à l'intelligence du spectateur.

Les spectateurs reconnaissent une part d’eux-mêmes chez une nouvelle pléiade d’acteurs : Robert de Niro, Al Pacino, Dustin Hoffman, Jack Nicholson, Faye Dunaway, Gena Rowlands, Jane Fonda, Mia Farrow, Diane Keaton.

Une génération montante de cinéastes cinéphiles, influencés par les nouvelles vagues des années 60, prend en main les rênes des studios. Ils bénéficient d’une liberté créatrice jamais atteinte jusqu’alors. Ils s’appellent Francis Ford Coppola, Brian de Palma, Martin Scorsese, William Friedkin, Hal Hashby, Michael Cimino. Ils réaliseront Little Big Man, La Horde sauvage, Une femme sous influence, Un après-midi de chien, M.A.S.H., Voyage au bout de l’enfer, Macadam Cowboy, Taxi Driver, Apocalypse Now, Phantom of the Paradise, French Connection, Délivrance, Rosemary’s Baby...

Georges Lucas met fin à cette morosité en 1973 avec American Griffiti dont l'action se passe durant les années 50 et s'arrête en 1962 juste avant l'assassinat de Kennedy. Il s'agit d'en finir avec la machine à déprimer, revenir aux années d'avant la fêlure fitzgéraldienne.

p233. A partir de M.A.S.H., Robert Atman utilise ce qui deviendra sa marque de fabrique : une forme narrative chorale où s'entrecroisent une multitude de personnages. Pourtant cette volonté de mélanger des individus, de diffracter le récit en une série de micro-fictions qui se répondent, accuse a contrario, une absence profonde de raccords.

Dans Nashville, son chef-d'œuvre, Altman suit ainsi les trajectoires de vingt-quatre personnages différents qu'il nous présente symboliquement à l'occasion d'un carambolage monstre. Le film évoque la vie du temple de la country music rythmée par des shows musicaux, et les primaires d'une présidentielle pour un candidat que nous ne verrons jamais. Des stars aux sans grades, tous les individus se croisent, assistent aux mêmes spectacles, échangent des mondanités, couchent parfois ensemble, mais au fond ne s'emboitent jamais. Nashville décrit un monde mais la somme de ceux qui l'habitent ne constitue pas une communauté.

Au sein de cette humanité éclatée, trois personnages détiennent la même clé : un biker énigmatique joué par Jeff Goldblum, qui trimballe ses tours de magie sans jamais prononcer un mot; Sueleen Gay, une jeune chanteuse sans talent qui refuse de reconnaitre sa médiocrité; et Opal une journaliste de la BBC venue faire un documentaire sur Nashville mais qui s'avère incapable d'écouter ceux qu'elle interroge. Dans un cimetière de voitures, Opal finit logiquement par enregistrer sa propre voix et, indifférente au dépotoir qu'elle a sous les yeux, délire une Amérique pleine de clichés, mythique et colorée. Opal, Sueleen et le motard se refugient dans un imaginaire conforme à leur désir et témoignent d'un même rejet de la réalité avec laquelle ils n'entretiennent aucun rapport. Nashville s'achève sur la scène de grand Opry, par l'assassinat de Barbara Jean, une étoile déclinante de la country music, venue soutenir el candidat du replacement party. C'est l'ultime tour de vis d'un autisme généralisé, lorsque la foule des spectateurs qui assistent au spectacle entonne "I dont worry me" (cela m'est égal) comme si, à force de ne plus saisir la réalité, les Américains de Nashville avaient choisi d'en faire le déni.