Alexandre se réveille en sursaut du lit qu’il partage avec Marie. Il se lève sans la réveiller; s'habille et descend les escaliers de leur appartement. Il demande les clés de sa 4L à la jeune femme du rez- de-chaussée qui lui confie naturellement et dans un sourire. Il part se garer dans la rue menant à une université parisienne où il sait rencontrer Gilberte. Celle-ci arrive avec d’autres professeurs dont elle se détache pour lui parler. Alexandre est venu lui demander vivre avec lui, de l'épouser, s'excusant pour l'épisode difficile qu'il lui a fait vivre et dont tous deux ont eu du mal à se remettre. Gilberte refuse de discuter plus avant et refuse qu’il assiste à son premier cours de rentrée. Alexandre passe outre et franchit la porte derrière elle. Tous les deux se retrouvent dans un parc sur la pause déjeuner de Gilberte. Alexandre tente toujours vainement de la décider à l'épouser ou même à l'embrasser. Dans un café, où Gilberte a voulu déjeuner, Alexandre veut contraindre Gilberte à lui dire qu’elle l’aime davantage que le médecin avec lequel elle vit désormais et qu'elle pourrait épouser pour se ranger, pense-t-il. Gilberte, tout en se disant contente de l'avoir revu, l'éconduit.
Alexandre est un jeune homme oisif qui passe son temps à lire dans les cafés du Quartier Latin. Encore marqué par son déjeuner avec Gilberte, il traîne encore plus que de coutume du côté de St-Germain-des-Prés. À la terrasse du café des Deux Magots, il remarque une fille qui le dévisage. Il la suit dans la rue et lui demande son numéro de téléphone. Alexandre vient s'en vanter auprès de son ami, un esthète qui écoute Zarah Leander qui interprète Ich weiss, es wird einmal ein Wunder gescheh : "C'est la chanteuse que les Allemands ont essayé de lancer... pour remplacer Marlène Dietrich après son départ. Et comme toutes les imitatrices, elle est bien meilleure que l'original. Elle ne traîne rien derrière elle". Alexandre et son ami se demandent qu'elle métier l'inconnue d'Alexandre peut bien faire : elle lui a demandé de l’appeler à son travail, de 8 à 13 heures. Le soir, Alexandre retourne auprès de Marie qui l'héberge gracieusement et lui fournit de quoi subsister et s'habiller élégamment puisqu'elle tient une boutique de mode. Alexandre lui cache son entrevue avec Gilberte mais lui révèle sa rencontre avec Veronika et son intention de l'appeler dans quelques jours. Alexandre propose à Marie d'aller au cinéma. Il prend le journal, lit à voix haute la critique élogieuse de La classe ouvrière va au paradis (Elio Petri,1971) et referme le programme furieux. : "Je préfère encore regarder la télévision. Au moins Bellemare et Guy Lux portent leur connerie sur leur figure. C'est plus franc"
Alexandre appelle effectivement Veronika qui lui donne rendez-vous pour aux Deux Magots pour le jeudi.
Le mercredi, Alexandre se rend de nouveau chez son ami. Celui-ci se vante d’avoir dérobé la chaise roulante d’un paralytique et lui montre son livre sur les exactions commises par les SS. Alexandre est venu lui demander de passer le jeudi aux Deux Magots, redoutant un peu sa rencontre avec Veronika. Le jeudi, Alexandre commande un whisky en attendant Veronika qui ne vient pas. En revanche, c'est Gilberte qui passe par hasard et vient lui parler pour lui annoncer son mariage, dès le mois suivant, avec son rival médecin. Elle accepte de l'inviter à la future cérémonie. L'ami survient et réconforte un peu Alexandre, effondré par cette nouvelle. Le lendemain, Alexandre téléphone de nouveau à Veronika qui s'excuse de son absence, due à une garde imprévue, et lui donne rendez-vous pour le mardi suivant.
Le mardi, Alexandre confond Veronika avec une jeune femme qui lui ressemble mais retrouve bientôt celle-ci, assise quelques banquettes plus loin. Il est heureux de lui dire que son absence du jeudi est devenu un sujet de conversation entre eux; sans quoi, ils n'auraient peut-être rien eu à se dire. Il lui demande si elle veut dîner un soir avec lui. Marie s'inquiète de cette relation suivie d'autant que Veronika appelle chez elle pour confirmer son rendez-vous au restaurant Le Train bleu dans le hall de la gare de Lyon. Alexandre continue son numéro de charme : il parle des films de Murnau, de leur coté campagne et coté ville que la gare reflète, de l'importance de manger mou et tiède pour sentir le goût. Séduite, Veronika se laisse raccompagner chez elle, mais Alexandre lui dit au revoir en bas de l'hôpital où elle habite; elle insiste pour aller se promener au bord de la Seine où Veronika lui demande de lui faire l'amour. Alexandre refuse prétextant être gêné par d'hypothèques voyeurs.
Marie en veut à Alexandre d'avoir emmené une autre femme au restaurant et de rentrer si tard. Mais elle lui fait confiance alors qu'elle part pour quelques jours en Angleterre se fournir en vêtements à la mode. "Je vous aime, ne déconnez pas; Love" lui écrit-elle sur un mot. Alexandre profitant du départ de Marie, invite Veronika chez lui. Ils font l‘amour après qu’Alexandre ait réussi à retirer le tampax qu’il avait enfoncé dans le vagin de Veronika. Ils passent ainsi deux jours ensemble jusqu’au retour de Marie. Celle-ci ne peut que constater l'infidélité d'Alexandre. Elle va s’installer dans la deuxième chambre.. mais laisse Alexandre la rejoindre et faire l'amour.
Alexandre retrouve Veronika dans les cafés. Il y rencontre aussi un ami, amateur de La belle Hélène d'Offenbach qui lui raconte avoir dû acheter une veste, terrorisé par le vendeur; avoir rencontré un ami se déclarant "en vert et contre tout". Ne sachant où aller avec Veronika, Alexandre lui propose de rencontrer Marie. L’entrevue est courte, Marie n'appréciant guère cette visite. Alexandre raccompagne Veronika chez elle pendant que Marie se morfond en attendant le retour d'Alexandre.
Un matin, tôt vers quatre heures, c’est Veronika qui téléphone pour venir chez eux. Elle est saoule et demande de l'argent pour son taxi. Elle s'installe entre eux deux et repart le matin.
Alexandre invite Veronika pour une fête chez Marie avec un couple de leurs amis. Ils partent acheter de l'alcool. Ils rencontrent Gilberte avec son futur mari, sans le moindre charisme. Ils commencent à boire quand Marie révèle qu'elle a invité aussi Philippe, un de ses amis, chargé culturel au Liban, dont Alexandre est terriblement jaloux. Alexandre part sur le champ avec Veronika... regrettant surtout le poulet à la moutarde. Accompagnée de son amie, qui a décommandé la soirée, Marie descend dans la rue insulter Alexandre, réfugié dans la 4L avec Veronika. Tous les deux remontent ensuite dans l'appartement. Veronika maquille Marie puis Alexandre et tous les trois se mettent au lit. Quand Alexandre répond aux sollicitations sexuelles de Veronika, Marie fait une tentative de suicide en absorbant le contenu d'une boite de somnifères. Alexandre la fait vomir alors que Veronika aurait laissé faire. Il la raccompagne chez elle.
Lors d'une nouvelle rencontre dans un café, Alexandre discute avec une ancienne amie du quartier qui lui donne des nouvelles des amies éloignées : l'une s'est suicidée, l'autre est mariée avec un riche américain, elle-même a la main bandée suite à un accident et a raté antérieurement son suicide. Veronika rejoint Alexandre une fois finie la discussion avec l'homme auquel elle avait donné rendez-vous, elle s'énerve d'avoir été espionnée par Alexandre qui a observé un échange de papiers. Dans la 4L, elle lui demande de venir dans un hôtel ou chez elle faire l’amour, il refuse lui donnant rendez-vous pour le soir. Dans sa chambre d’infirmière, ils font l'amour après qu'elle lui ait dit avoir eu un amant dans l'après-midi. Elle le quitte au petit matin, habillée en infirmière. A 7 heures Alexandre s'en vient rejoindre Marie qui se réconcilie pourtant une nouvelle fois avec Alexandre.
Avec son ami, Alexandre commente la une des journaux au sujet de leur amie à la main bandée, recherchée pour meurtre. Le XVI est le quartier le plus sale car c'est là que l'on trouve la mère Dassault. Quelle est la différence entre la blennorragie et la myxomatose l'une concerne le lapin, l'autre la pine. A Veronika il révèle sa violence envers Gilberte, lunettes noires, elle lui fait comprendre combien elle l'aimait. Surviennent son amie puis deux jeunes gens riches qui les invitent pour une soirée. Veronika sort pour accompagner Alexandre, triste et se sentant exclu.
Un soir Veronika vient chez eux :"les seules choses qui comptent : faire l’amour quand on s'aime pour faire un enfant". C'est meiux que de baiser pour une mauvaise raison ; elle a été dépucelée à 19 ans par un externe qu'elle avait sollicitée. "Elle baise et rebaise" ce qui ne fait pas d'elle une putain, pas plus que la femme mariée aux fantasmes divers.
Alexandre raccompagne Veronika; Sur le pas de la porte elle refuse tout geste tendre et le gifle; il court dans son appartement; elle exige sa clé; lui dit qu'elle l'aime et qu'elle est peut-être enceinte de lui. Il lui ordonne d'arrêter ce discours; ce qui la fait rire. Il lui demande si elle l'aime. Comme elle répond par l'affirmative, il lui demande de l'épouser. Elle vomit. Marie, chez elle, reste les mains sur le visage en écoutant Les amants de Paris.
Loin d'entonner une ode soixante-huitarde à la gloire de la liberté sexuelle, le sujet principal de La maman et la putain est la mise en scène du tourment et de la souffrance amoureuse. Ceux-ci sont éternels mais ils sont aussi générateurs de plus de vérité humaine que tout discours idéologique. Le film constitue une éducation sentimentale et humaine très proche de celle racontée dans La Recherche du temps perdu.
La référence au roman de Proust est explicite : la couverture du roman, et seulement celle-là, figure dans le film ; le premier amour d'Alexandre, comme celui du narrateur de La Recherche, se prénomme Gilberte ; l'étude du microcosme qui sert de recherche à la capture de l'universel se situe dans le milieu de Saint-Germain-des-Prés et enfin la durée, 3h40, est aussi inhabituelle et démesurée que le nombre de pages du roman. Mais, au delà de ces ressemblances superficielles, on trouve la même inhabituelle hiérarchie des valeurs que celle analysée par Deleuze dans Proust et les signes : la vérité ne s'apprend pas par les lectures philosophiques ou les discussions amicales mais s'impose à nous par les signes que nous percevons dans la douleur de la passion amoureuse ou dans les impressions mystérieuses données par les oeuvres d'art.
Le temps que l'on perd
L'une des caractéristiques les plus marquantes de La Recherche comme de La maman et la putain est l'importance accordée au temps que l'on perd. Le film n'est constitué que de longues scènes de discussions dans les chambres ou les cafés dans le milieu oisif de Saint-Germain-des-Prés. Le film n'est pourtant pas, selon l'une des expressions d'Alexandre, celui "d'une saison et de 200 personnes". Il est en effet totalement synchrone avec le contexte social et affectif de son époque, celui de l'après 68. On est déjà, lors du tournage, c'est à dire en 1972, dans la retombée de mai 68, dans le déclin des utopies, sous le règne de la Nouvelle Société, chère à Jacques Chaban-Delmas (cité dans le film). Jean Eustache a su saisir avec acuité ce moment de retombée, le début de cette longue période de grisaille politique et artistique qu'allaient être les années soixante-dix, un peu comme Godard avait pressenti, dès 1967, les événements de 68 avec La chinoise (pour la théorie) et Week-end (pour la pratique). C'est dans cette mesure que La maman et la putain est le film d'une époque et d'une génération.
Si le film capte l'air du temps, ce n'est pas seulement parce qu'il fait allusion, au détour d'une conversation, à Jacques Duclos, au PCF ou à Jean-Paul Sartre, au MLF ou aux lourdes fictions de gauche italiennes. C'est, plus largement, parce que le film dresse un impitoyable état des moeurs affectives et sexuelles de l'époque. En 1972, les restes de l'idéologie issues du mouvement de Mai 68 règnent encore. On a tenté de réinventer le couple et les rapports amoureux, la "libération sexuelle" est devenue une tarte à la crème. Deux figures parmi d'autres tiennent lieu de modèles dans les esprits : le couple moderne et la femme libérée. Toute révolution, si généreuse, si euphorique soit-elle, porte aussi son revers répressif. La doxa de l'après 68, c'est "Jouissez ! ". L'erreur fut de croire que des mots d'ordre pouvaient réglementer le désordre des sentiments. Le film de Jean Eustache témoigne avec une rare lucidité de cette idéologie de la liberté sexuelle, feint d'épouser la doxa amoureuse pour en dévoiler la caractère injonctif, répressif, pour en révéler les zones cachées, celles que l'aveuglement produit par des mots d'ordre interdisait de voir : le tourment, la souffrance.
Le temps perdu et retrouvé
Alexandre n'est pas de son temps et rêve d'un temps perdu. Les chansons de Damia, de Fréhel ou d'Edith Piaf qui jalonnent le film, comme en écho au discours délibérément nostalgique d'Alexandre, renvoient à un passé qui ne lui appartient pas : le présent du film, c'est ce difficile "no man's time" entre les fantômes d'une génération passée et les ombres incertaines d'un futur difficile à envisager.
Pourtant, à la fin du film, Alexandre, contraint et forcé, retrouve son temps. Jean Eustache a affirmé par la voix de son personnage masculin la difficulté d'être synchrone avec son époque. Alexandre, Marie et Veronika sont des personnages très vulnérables et le flux de leur langage apparaît comme la seule façon de colmater la peur d'un silence qui mettrait plus à nu encore les sentiments. Et ce n'est pas par hasard si La maman et la putain se termine par une scène de vomissement, comme si Françoise Lebrun rejetait hystériquement l'incroyable quantité de paroles émises pendant le film. De façon différente de la première scène de vomissement du film- celle où Bernadette Lafont avale des somnifères- la dernière apparaît comme une délivrance à l'égard du film lui-même et une entrée pour Alexandre dans un monde plus adulte avec constitution d'une famille.
Temps que l'on perd, temps perdu, temps que l'on retrouve s'accompagnent pourtant dans "La Recherche" d'une dimension plus importante qui en constitue le dernier tome et le couronnement : celle du temps retrouvé. Dans "La recherche" c'est le narrateur qui, ne se contentant pas des satisfactions partielles du temps que l'on retrouve grâce à la mémoire involontaire, se donne pour programme d'élaborer une oeuvre d'art qui seule permettra que le temps soit retrouvé. Ici, Alexandre en reste au temps que l'on retrouve et c'est Eustache, par le choix de sa mise en scène, qui donne au spectateur une forme au temps retrouvé.
La vérité surgissant de la théâtralité
La maman et la putain témoigne d'un goût prononcé pour la scène (de séduction ou de ménage, tout aussi bien) et pour la théâtralité. Ce n'est pas le moindre paradoxe, ni la moindre beauté du film que de revendiquer une approche réaliste des comportements humains : "La maman et la putain est le récit de certains faits d'apparence anodine ... la description du cours normal des événements sans le raccourci schématique de la dramatisation cinématographique" (Jean Eustache dans le texte de présentation du film), que d'affronter ce qu'on évite en général au cinéma (les temps morts, selon une expression impropre), que de filmer certaines séquences en durée réelle, et, en même temps, de soumettre faits, comportements et discours à une théatralisation qui porte de façon évidente sur le texte et la direction d'acteurs mais qui révèle aussi un système scénographie seul capable de générer la vérité.
Même si une place fut réservée aux aléas du tournage, le texte du film fut largement respecté. Véritable manifeste esthétique, ce "je récite" appliqué aux comédiens fut l'un des arguments des détracteurs du film qui n'avaient pas su voir là une facette d'un parti pris de mise en scène extrêmement exigeant. Le cinéma de Eustache ne relève pas d'une esthétique de la transparence. Plus encore : Alexandre évoque, lors de l'une des nombreuses digressions du film, le sosie de Jean-Paul Belmondo, devenu selon lui plus vrai que le vrai, et ajoute : "Le Faux, c'est l'au-delà". Au-delà des apparences, au-delà du naturalisme : ce n'est évidemment pas par hasard si Robert Bresson est évoqué en passant dans un dialogue du film. Travailler sur le faux implique d'avoir une idée forte de la vérité, tout comme travailler sur la théâtralité implique une idée forte du cinéma. Dans La maman et la putain, la mise en scène apparaît non seulement comme une mise en ordre (vérité de l'époque et maîtrise de la durée), mais aussi comme instance suprême chargée de faire surgir la vérité. La seule vérité pour Eustache est celle qui surgit au moment du tournage. Les dialogues et le décors ne sont qu'un préalable, un ingrédient à utiliser pour leur beauté propre mais extérieur à la vérité du cinéma. Eustache épingle, via le discours ironiquement pompeux d'Alexandre, les films politiques où toute la vérité à été défini dans le scénario et le dialogue.
La mise en scène consiste donc à donner le texte à l'acteur et de voir comment, imprégné par le film, il va réagir et donner des signes de la vérité du texte et de la situation. Le long monologue de Veronika, immense moment de cinéma, en un seul plan, à la fin du film, joue totalement sur cet écart entre l'énoncé et les marques de l'énonciation. L'émotion terrible de cette séquence qui va jusqu'aux larmes tient aux dissonances entre le discours tenu par Veronika et l'expression de son visage et le son de sa voix qui en disent plus long sur le désarroi du personnage que n'importe quel discours psychologisant qui aurait tenté de faire sentir les contradictions de Veronika
Cette exigence de cinéma est particulièrement adaptée à la description de la passion amoureuse qui, elle aussi, se nourrit de signes. Le film fonctionne tout entier sur le principe de l'oscillation et du double jeu : entre la sincérité et la simulation ("Regarde le : un maximum de cinéma", dit Marie à Veronika à un moment où vraisemblablement Alexandre en fait un peu trop, en rajoute sur les signes extérieurs de sa souffrance). Cette façon très théâtrale de s'exprimer, Roland Barthes la théorisera et décrira magnifiquement quelques années plus tard (en 1977) dans "Fragments d'un discours amoureux" : En épigraphe au fragment Roman/Drame Roland Barthes écrit
"Drame : le sujet amoureux ne peut écrire lui-même son roman d'amour, seule une forme très archaïque pourrait recueillir l'événement qu'il déclame sans pouvoir le raconter".
Suivons Barthes : quelle serait cette forme archaïque susceptible de "recueillir l'événement"? Sans aucun doute : le théâtre. Jean-Pierre Léaud porte à plusieurs reprises, dans le film, des lunettes noires qui ne peuvent pas ne pas évoquer ce qu'en dira Barthes dans cet autre fragment :
"Cacher totalement une passion (ou même simplement son excès) est inconcevable : non parce que le sujet humain est trop faible, mais parce que la passion est d'essence, faite pour être vue : il faut que cacher se voie : sachez que je suis en train de vous cacher quelque chose, tel est le paradoxe actif que je dois résoudre : il faut en même temps que ça se sache et que ça ne se sache pas : que l'on sache que je ne veux pas le montre : voilà le message que j'adresse à l'autre. Larvatus prodeo : je m'avance en montrant mon masque du doigt : je mets un masque sur ma passion, mais d'un doigt discret (et retors) je désigne ce masque".
Ces lunettes noires, à la fois indice et masque de la souffrance, sont une métonymie possible du film. Elles sont la marque de la théâtralité comme forme d'énonciation de la vérité de la douleur amoureuse et agissent comme un indice émouvant, pointe de réel, sur le texte littéraire de Jean Eustache.
Jean-Luc Lacuve, le 05/07/2003
A noter que Jean-Claude Martinelli a mis en scène, au théâtre, le texte de Jean Eustache en 1990 ; que le monologue de Françoise Lebrun a été mis en musique, en 1996, par le groupe rock "Diabologum" (album : #3) ; que John Cassavetes et Jacques Doillon sont les continuateurs de la méthode Eustache où une immense préparation n'est que le préalable à la magie des signes devant surgir lors du tournage.
Bibliographie :
Editeur : Carlotta Films, avril 2024. Éditions 6 Blu-ray ou 7 DVD, restauration 4K : 80€. Du côté de Robinson (1964), Le père Noël a les yeux bleus (1965), La rosière de Pessac (1968), La rosière de Pessac 79 (1979), Numéro zéro (1971), La maman et la putain (1973), Mes petites amoureuses (1974), Une sale histoire (1979), Le Jardin des délices de Jérôme Bosch (1979), Offre d'emploi (1980), Les photos d'Alix (1980). | |
Suppléments : Près de trois heures d'archives télévisées et radiophoniques exclusives, sur le tournage des films, au Festival de Cannes, interviews plateau, interviews-fleuves de Jean Eustache et La soirée, Un projet de film inachevé écrit en totalité par Jean Eustache, tourné en 16 mm sans son ; Odette Robert, version réduite de Numéro zéro ; le dernier des hommes, postface, Les critiques André S. Labarthe, Jean Domarchi et le metteur en scène Marc’O y débattent du film de Friedrich Wilhelm Murnau. Un livre de 160 pages : projets de films + très nombreux entretiens + textes et analyses… |