(1907 - 1977)
11 films
   
2
5
Histoire du cinéma : Expressionnisme

1 - Mise en scène

L'oeuvre d'Henri-Georges Clouzot se caractérise par la noirceur du monde où le mal existe, ce qui contraint chaque personnage à faire, pour soi-même ou pour les autres l'expérience de l'ambiguïté morale de l'âme humaine

Peut-être parce qu'il fait ses premiers essais de cinéma aux studios de la Babelsberg à Berlin comme assistant d'Anatole Litvak, il est influencé par l'expressionnisme, comme Hitchcock à ses débuts. Il est ainsi obsédé par le contrôle de la lumière et du cadre, à l'inverse, par exemple, de Renoir qui recherche toujours le mouvement de la vie.

Chez Renoir, la caméra semble filmer depuis une fenêtre ouverte sur le monde et s'y promener en liberté, alors que chez Clouzot la caméra serait comme au rez-de-chaussée d'un immeuble et chercherait à voir ce qui se passe à l'intérieur au travers de différentes fenêtres. Dans le premier cas, la camera semble se promener en liberté et découper l'espace de façon aléatoire au gré d'un plan séquence qui laisse de l'importance au hors-champs qui peut se découvrir tout à coup.

Dans le second cas, celui de Clouzot ou Hitchcock, chaque fenêtre est un cadre où tout est pensé et signifiant vis à vis d'un autre cadre avec lequel il est monté pour produire un sens.

Le lait qui déborde, métaphore sexuelle dans Quai des Orfèvres (1942)
 
Le Corbeau (1943) ou l'ambiguïté morale
 
Rien n'est laid quand on s'aime Manon (1949)
 
Les diaboliques (1955) ou l'innocence pervertie
 
Le salaire de la peur (1953) et son montage alterné final
 
Expressionnisme de la couleur : L'enfer (1960)
 

2 - Biographie

Scénariste, dialoguiste et réalisateur français, Henri-Georges Clouzot nait à Niort le 20 novembre 1907. Adolescent, il ambitionne de devenir marin, comme son grand-père maternel. Mais une myopie de l'œil gauche lui ferme les portes de Navale. Après une année de maths-spé au Lycée Sainte-Barbe à Paris, il entre à l'École libre des sciences politiques. Il devient l'assistant du député Louis Marin, puis entre à la rédaction des journaux Paris-Midi et Paris-Soir sur les recommandations de son ami Pierre Lazareff.

Passionné par la chanson, il soumet ses textes à René Dorin, interprète et parolier, entre autres, de Maurice Chevalier, qui l'engage comme secrétaire pour deux ans. Auprès de Dorin, Clouzot fait la rencontre d'autres chansonniers : Pierre Varenne, Saint-Granier, Mauricet.

Henri-Georges s'associe à Henri Decoin pour un premier essai de scénario destiné à Mauricet ; le producteur Adolphe Osso refuse finalement le projet mais engage Clouzot et l'envoie aux studios de la Babelsberg, à Berlin, où il devient l'assistant d'Anatole Litvak et supervise les versions françaises d'opérettes allemandes, puis écrit des scénarios pour Jacques de Baroncelli, Carmine Gallone Un soir de rafle (1931), Ma cousine de Varsovie (1931) ou Viktor Tourjansky.

Il écrit une opérette, La belle histoire, qui n'a aucun succès. En 1934, il doit brusquement interrompre ses activités. Une pleurésie purulente l'oblige à se retirer dans un sanatorium où il écrit une tragédie, Le mur de l'Ouest, dont il confie le manuscrit à Louis Jouvet (qui le perd). En 1940, le théâtre du Grand Guignol accepte un de ses levers de rideau : On Prend les Mêmes. C'est à la même époque qu'il adapte avec l'acteur Pierre Fresnay, Le duel (1939) d'après une pièce d'Henri Lavedan et qui sera l'unique réalisation de l'acteur.

Apres quatre années passées dans les hôpitaux et les sanatoriums, il enchaîne ensuite deux adaptations : Les inconnus dans la maison (Henri Decoin, 1941) avec Raimu, d'après le roman éponyme de Georges Simenon et Le dernier des six (Georges Lacombe, 1941) avec Pierre Fresnay et Suzy Delair, sa compagne, d'après Stanislas-André Steeman.

Il débute réellement dans la mise en scène en 1942, bénéficiant de l'exil aux États-Unis des grands réalisateurs comme Jean Renoir, Julien Duvivier, René Clair… avec L'assassin habite au 21 et reforme le couple Pierre Fresnay-Suzy Delair de nouveau d'après Stanislas-André Steeman.

Il réalise ensuite, en pleine occupation allemande, un film sur un expéditeur de lettres anonymes Le corbeau (1943), qui donne lieu à de vives polémiques dans une France qui souffre alors de la délation. Le scénario est de Louis Chavance d'après un fait divers qui s'était passé à Tulle dans les années 1920. Une campagne de la presse clandestine communiste est lancée contre Clouzot, comparant son film à Mein Kampf, l'accusant d'offrir une image négative de la France, alors que dans le même temps son film est condamné par les conservateurs et la Centrale catholique pour immoralité, tandis que Goebbels le fait diffuser à l'étranger. À la Libération, contrairement à la plupart des autres employés de la Continental-Films, une entreprise créée par Joseph Goebbels, Clouzot échappe à la prison, mais se voit frappé d'une suspension professionnelle à vie.

Grâce à l'intervention de personnalités comme Pierre Bost, Jacques Becker ou encore Henri Jeanson qui signe un texte corrosif « Cocos contre corbeau », Clouzot revient à la réalisation et remporte le prix international de la mise en scène à la Biennale de Venise avec Quai des Orfèvres en 1947 où il offre pour la dernière fois un rôle à Suzy Delair, cette fois avec Louis Jouvet, sur une adaptation très libre, de nouveau, d'un roman de Stanislas-André Steeman.

Clouzot entreprend ensuite une adaptation très personnelle du célèbre roman de l'Abbé Prévost (1731) qu'il scénarise avec Jean Ferry. L'histoire de Manon (1949) est transposée dans les derniers jours de la libération de la Normande et de Paris alors en proie au marché noir. Clouzot participe ensuite au film collectif, Le Retour à la vie (1949) qu'il coréalise avec André Cayatte, Georges Lampin, Jean Dréville. Le segment réalisé par Clouzot, Le retour de Jean, est encore une fois en relation avec l'histoire immédiate. Le cinéaste cherche à comprendre ce qui peut amener un homme commun à devenir un tortionnaire nazi.

En tournant Miquette et sa mère (1950) adapté d'une pièce de boulevard de De Flers et Caillavet, Clouzot voulait sans doute prouver qu'il était capable de réaliser une comédie. Aussi mineur soit-il, Miquette et sa mère transforme la vie de Clouzot car c'est sur ce tournage qu'il rencontre Véra Amado Gibson, jeune script stagiaire et fille d'un ambassadeur brésilien, qu'il épouse le 15 janvier 1950. Le cinéaste se consacre à son couple et souhaite partir à la découverte du pays natal de sa femme. De ce voyage au Brésil, il veut tirer un documentaire qui ne verra finalement jamais le jour. Le projet est sans doute trop ambitieux ; les problèmes techniques sont décuplés par la grande superficie du pays et, surtout, les intentions de l'auteur, qui ne souhaite pas faire un documentaire promotionnel, ne sont pas du goût des autorités. En 1950, un regard critique sur un pays étranger ne se fait pas facilement. De cette experience brésilienne, Clouzot tirera néanmoins un livre, le Cheval des Dieux qui entraine le lecteur dans les bas-fonds de Bahia parmi les magiciens et les envouteurs.

Ce séjour de plusieurs mois sur le continent sud-américain a également permis au réalisateur de s'imprégner d'une culture et d'une atmosphère qui lui serviront pour son film suivant Le salaire de la peur (1953). Adapté d'un roman de Georges Arnaud, avec Yves Montand et Charles Vanel, le film obtient le Lion d'or à Venise, le Grand Prix au Festival de Cannes (la Palme d'Or n'existait pas encore) et l'Ours d'or à Berlin. Clouzot acquiert dès lors une stature internationale mais aussi une réputation de réalisateur tyrannique, surtout à l'égard des comédiens et comédiennes qu'il terrorise pour leur faire donner le meilleur d'eux-mêmes.

C'est en 1955 que son célèbre film, haut en suspense, Les diaboliques sort sur les écrans. Il y met en scène l'acteur Paul Meurisse, victime d'un meurtre commis par la mystérieuse complicité entre sa femme et sa maîtresse, respectivement incarnées par Vera Clouzot - la propre femme du cinéaste - et Simone Signoret. Il devient le "Hitchcock français".

Suit Le mystère Picasso (1956), un grand documentaire sur la méthode du peintre et sur la naissance de quelques-uns de ses tableaux

En 1960, le cinéaste met en scène Brigitte Bardot dans le film de procès La vérité, par lequel il confirme la noirceur de son cinéma. A la même époque, les artistes de la Nouvelle Vague prennent pour cible le classicisme des films dits de "qualité française", dont fait partie Clouzot. Face à l'émergence de nouveaux réalisateurs comme Jean-Luc Godard ou François Truffaut, ses films et son image apparaissent comme dépassés, démodés. À la suite du décès de sa femme, Véra, en décembre 1960, il connait une période de dépression durant laquelle il se retire à Tahiti.

A son retour, il écrit l'ambitieux projet de L'enfer qui devrait, selon lui, révolutionner le cinéma. Il propose à Romy Schneider et Serge Reggiani d'en jouer les premiers rôles. Le film bénéficie d'un budget illimité mais Clouzot pousse à l'excès ses recherches et contraint par ses exigences son acteur, Serge Reggiani, au départ. Victime d'un infarctus peu après, Clouzot doit abandonner son film dont les rushes restants seront montrés par Serge Bromberg en 2009 dans L'enfer d'Henri-Georges Clouzot.

La prisonnière, qu'il réalise en 1968 et dans lequel Laurent Terzieff se voit attribuer l'un de ses plus beaux rôles au cinéma, témoignera de cette dimension quasi-avant-gardiste par son traitement et l'audace de son sujet : l'image photographique et son possible pouvoir d'emprise sur les fantasmes et les pulsions sexuelles.

Henri-Georges Clouzot n'arrivera à concrétiser aucun autre projet par la suite, aucune compagnie d'assurances n'acceptant de garantir le risque d'un nouveau problème de santé. Il meurt d'une crise cardiaque le 12 janvier 1977.

3 - Bibliographie :

Henri-Georges Clouzot, l'oeuvre au noir. Eclipses n°60. Juillet 2017.

 

4 - Filmographie :

1942 L'assassin habite au 21

Avec : Pierre Fresnay (L'inspecteur Wenceslas Wens), Suzy Delair (Mila Malou), Jean Tissier (Lalah Poor). 1h24

Un assassin mystérieux qui signe ses crimes "Mr Durand" sévit dans Paris. Le commissaire Wens, chargé de l'enquête, devient l'hôte de la Pension des Mimosas, où un indicateur a trouvé des cartes de visite portant le nom du criminel...

   
1943 Le corbeau

Avec : Pierre Fresnay (Le docteur Rémy Germain), Ginette Leclerc (Denise Saillens), Micheline Francey (Laura Vorzet), Héléna Manson (Marie Corbin, l'infirmière). 1h33.

Médecin d'hôpital à Saint-Robin, une petite ville de province, le docteur Rémy Germain commence à recevoir des lettres anonymes, signées "Le Corbeau", l'accusant d'avortements. D'autres habitants de la ville en reçoivent à leur tour : cette fois, Germain est accusé d'être l'amant de Laura Vorzet, femme du psychiatre de l'hôpital. Le médecin-chef et l'économe sont à leur tour les cibles du "Corbeau". Puis c'est un cancéreux qui, averti par le "Corbeau" de la gravité de son état, se tranche la gorge avec son rasoir.

   
1947 Quai des orfèvres

Avec : Suzy Delair (Jenny Lamour), Bernard Blier (Maurice Martineau), Louis Jouvet (Antoine). 1h45.

Malgré l'opposition de son mari pianiste, Maurice, Jenny Lamour, petite chanteuse de music-hall qui a grand peine à trouver des engagements, accepte un rendez-vous à souper avec Brignon, vieil homme d'affaires qui doit lui procurer un rôle. Maurice, au courant du rendez-vous, se rend chez Brignon, mais il ne trouve plus qu'un cadavre...

   
1949 Manon

Avec : Serge Reggiani (Leon Lescaut), Michel Auclair (Robert Dégrieux), Cécile Aubry (Manon Lescaut). 1h50

La bataille de Normandie fait rage... Robert Desgrieux, jeune maquisard, fait partie d'un groupe de FFI qui sauve la jeune Manon Lescaut de la fureur populaire : serveuse dans un café, Manon avait sympathisé avec l'occupant. Séduit par la jeune fille, Desgrieux déserte et fuit avec elle vers la capitale...

   
1949 Le retour de Jean

3e segment de Retour à la vie coréalisé avec André Cayatte, Georges Lampin, Jean Dréville. En mai 1945, ce sont deux millions de françaises et de français prisonniers de guerre ou déportés politiques qui sont libérés par les alliés. Le film raconte le retour dans leurs foyers de cinq d'entre eux.

JEAN, blessé de guerre, n'a plus qu'une raison de vivre : comprendre ce qui peut amener un homme commun à devenir un tortionnaire. Il héberge dans sa chambre un criminel allemand traqué par la police pour l'interroger sur les raisons qui ont motivé sa conduite.

   
1950 Miquette et sa mère

Avec : Louis Jouvet (Monchablon), Bourvil (Urbain de la Tour-Mirande), Saturnin Fabre (Le marquis ), Danièle Delorme (Miquette), Mireille Perrey (Hermine Grandier), Pauline Carton (Perrine). 1h36.

La Belle Époque. Dans une petite ville de province, la jeune Miquette travaille avec sa mère dans la boutique familiale. Urbain de la Tour-Mirande, neveu du marquis local, est épris de la jeune fille. Mais le vieil homme refuse cette union. Après avoir assisté à une représentation, Miquette rêve de théâtre. Après quelques ruses et mensonges, le marquis obtient un rôle pour Miquette dans une tournée…

   
1953 Le salaire de la peur

Avec : Yves Montand (Mario), Charles Vanel (M. Jo), Véra Clouzot (Linda), Folco Lulli (Luigi), Peter van Eyck (Bimba). 2h35.

Las Piedras est un petit village d'Amérique centrale où se retrouve un échantillonnage cosmopolite de paumés. Aussi, lorsqu'à la suite de l'incendie d'un puits, la compagnie pétrolière propose une somme considérable pour convoyer sur les lieux du sinistre deux camions de nitroglycérine, tous les vagabonds sont volontaires. Quatre hommes sont choisis après de dures épreuves : deux français, Mario et Jo, un italien, Luigi, un allemand, Bimba....

   
1955 Les diaboliques

Avec : Simone Signoret (Nicole Horner), Véra Clouzot (Christina Delasalle), Paul Meurisse (Michel Delasalle), Charles Vanel (Alfred Fichet).

Michel Delasalle dirige à Saint-Cloud une "institution pour jeunes gens". C'est un homme tyrannique, odieux. Il terrorise sa femme Christina et martyrise sa maîtresse attitrée Nicole, professeur dans l'établissement. Un pacte diabolique réunit les deux femmes : elles décident de le tuer...

   
1956 Le mystère Picasso

La caméra placée devant le chevalet sur lequel est tendu un papier et non derrière Picasso, capte le cheminement de la pensée créatrice du peintre. Puis passage à la couleur ; peinture à l'huile plus classique, filmée en écran cinémascope et film monté photogramme par photogramme.

   
1957 Les espions

Avec : Gérard Séty (Le docteur Malic), Curd Jürgens (Alex), Peter Ustinov (Kiminsky), O.E. Hasse (Vogel), Sam Jaffe (Cooper). 2h15.

Psychiatre raté et propriétaire d'une clinique de Maisons-Laffitte, le docteur Malic accepte l'étrange marché que lui propose le colonel Howard, de l'Institut de guerre psychologique des États-Unis : en échange d'une importante somme d'argent, héberger chez lui quelques jours, Alex, un agent secret...

   
1960 La vérité

Avec : Brigitte Bardot (Dominique), Charles Vanel (Maître Guérin), Paul Meurisse (Maître Éparvier), Sami Frey (Gilbert Tellier). 2h04.

Dominique Marceau est jugée pour le meurtre de son amant Gilbert Tellier. Au cours des audiences se dessine petit à petit le véritable visage de l'accusée... Dominique a séduit Gilbert, le jeune fiancé de sa soeur Annie. Mais si pour Dominique, fille volage et de moeurs légères, c'est une passade sans importance, c'est pour Gilbert la révélation d'une passion dévorante...

   
1964 L'enfer
 

Avec : Romy Schneider (Odette), Serge Reggiani (Marcel)

   
1967 Grands chefs d'orchestre
 

("Le Requiem" de Verdi, "La Symphonie du Nouveau Monde", de Dvorak, "La IVe Symphonie" de Schumann, "La Ve Symphonie" de Beethoven et "Le Concerto en La Majeur" de Mozart. Avec, pour le premier : Herbert von Karajan (Chef d'orchestre), Leontyne Price (Soprano), Fiorenza Cossotto (Mezzo-soprano), Luciano Pavarotti (Tenor), Nicolai Ghiaurov (Basse). 1h28.

   
1968 La prisonnière

Avec : Laurent Terzieff (Stanislas Hassler), Elisabeth Wiener (Josée), Bernard Fresson (Gilbert Moreau), Dany Carrel (Maguy). 1h45.

Stanislas Hassler, directeur d'une galerie d'art moderne, est un pervers qui se plaît à avilir les femmes et à les photographier nues, dans des poses humiliantes. Josée, la femme de Gilbert, l'un des artistes révélé par cette galerie, découvre un jour le secret de Stan. D'abord intriguée, elle assiste à une séance de pose....