Dans ce stimulant et passionnant numéro consacré à la mise en abîme au cinéma, René Prédal distingue trois axes majeurs :
Nous reprenons ci-après, en suivant le plan de l'ouvrage, un certain nombre d'extraits de textes au fils de pages qui dressent un corpus d'une soixantaine de films qui abordent le thème film dans le film.
I - Des histoires situées dans le milieu du cinéma
Un studio se penche sur son passé : La nuit américaine de François Truffaut par René Prédal. Analyse qui dépasse de très loin le sujet de l'art poétique et du méta-film pour se pencher aussi bien sur la genèse que sur la réception critique. Selon René Prédal, le film relève fort peu du cinéma d'auteur (seulement par la voix off) mais serait plutôt un hommage au cinéma classique hollywoodien. "La vie privée est boiteuse pour tout le monde. Les films sont plus harmonieux que la vie... Les films avancent comme des trains dans la nuit". Tuffaut propose le portrait d'un metteur en scène chef d'équipe et chef d'orchestre, mais aussi créateur d'images et d'un espace et d'un temps, un récit spécifiquement cinématographique, offrant "le double visage- technicien et démiurge- du metteur en scène d'avant le cinéma moderne.
Le Schpountz de Pagnol, éloge du cinéma populaire français par Ginette Vincendeau.
Faire un film, défaire la vie (sur trois films de Philippe Garrel) Au départ de Elle a passé tant d'heures sous les sunlights, de Sauvage innocence et des Baisers de secours, on trouve le même postulat : tout part du manque ; d'argent pour les deux premiers, d'amour et de confiance pour le dernier. A chaque fois, le cinéma a pour but de condenser le dénuement matériel et l'exclusivité amoureuse jusqu'à les rendre indispensable l'un à l'autre. Il ne rattrape pas par un défaut de pénurie, il devient le lieu unique de sa substitution. Le manque est une condition à toute entreprise de création car il garantit l'inachèvement par lequel l'œuvre doit continuer à ne jamais s'éteindre. Ne pas guérir du manque mais bien l'ingérer en vertu de la beauté du cinéma, immanente et complète c'est le geste pur qu'accomplissent Philippe Garrel et ses alter-ego fictionnels.
Derrière le miroir, la femme ou la mise en abîme de la star
par Michel Serceau. L'auteur examine la mise en question de l'image de la
star dans Une étoile est née, Sunset Boulevard, Le secret de
Veronika Voss, la sorcière brûlée vive et La comtesse
aux pieds nus.
Le "je" dans l'abîme du cinéma français par René Prédal. Texte consacré à l'analyse du Bonheur (1934) de Marcel L'Herbier.
Dessinateur satirique dans un journal anarchiste, Philippe est chargé de prendre un croquis de la vedette Clara Stuart quand l'engouement des fans lui parait si intolérable qu'il décide d'assassiner la star mais le fait qu'il en soit tombé amoureux sans s'en apercevoir va considérablement compliquer la chose.
Au procès Philippe, après l'attenta manqué, fait preuve d'un culot monstre en énonçant ses motivations. On décide alors de faire un film à partir de l'histoire de Philippe. Celui-ci, assistant au tournage, prend conscience que si cela c'était vraiment passé comme il l'avait crû, il n'aurait pas pu manquer Clara car l'idolâtrie imbécile de la foule pour la figure stéréotypée d'une icône sans chair ne pouvait renforcer en lui que le mépris et donc renforcer sa détermination à abattre ce symbole de l'aliénation de notre société décadente.
Mais le mensonge de la biographie filmée est de placer l'attentat à la gare et non à la sortie du music hall, la scène de chant n'ayant pas été retenue dans le scénario. Or alors que rien ne pouvait le traduire explicitement dans les plans de L'Herbier montrant l'anarchiste et la petite coiffeuse qui assistent du haut du Paradis à la prestation de Clara interprétant la chanson titre Le Bonheur, Philippe est frappé par l'amour et du coup démobilisé, ratera son tir.
Devenu entre-temps l'amant de l'actrice mais toujours rongé par l'interrogation (pourquoi a-t-elle échapper à la mort ?), il lui aura fallu assister au tournage d'une mauvaise version de sa propre histoire pour comprendre ce qui lui était réellement arrivé.
Aussi décide-t-il de quitter Clara qui trahit la séduisante ambiguïté de leurs sentiments en cautionnant une caricature ridicule et fausse de leur rencontre totalement vidée de ce qu'elle avait d'attachant et d'unique.
Bien qu'ils s'aiment encore, les amants se séparent et Philippe donne rendez-vous à Clara au cinéma, lui anonyme spectateur dans la salle et elle vedette sur l'écran dans son prochain film. Là quand il la verra se pâmer à nouveau dans les torrides scènes d'amour qui sont sa spécialité, il se convaincra que c'est en pensant à lui qu'elle atteint cette perfection de jeu, cette crédibilité d'une présence envoûtante. L'Herbier juxtapose deux gros plans : elle reflet sur la toile, lui vivant sur son fauteuil. Miracle du cinéma, L'herbier parvient à nous y faire croire : vérité de l'imaginaire contre réalité cruelle. Le cinéma offre-t-il le meilleur moyen de se retrouver, la seule possibilité d'aimer ?
II Théorie et pratiques du film dans le film
Le cinéma au miroir du cinéma de Nicolas Schmidt et Le film art poétique, sous-ensemble du film réflexif de Yannick Mouren
Nicolas Schmidt rappelle que la mise en abîme désigne la présence d'une uvre dans une autre de même nature ; provenant du blason, elle se retrouve dans la peinture, le théâtre et la littérature. Il distingue les films où est insérée une fiction filmée soit sous forme de tournage ou de projection et si le film existe-t-il avant ou est-il fait expressément à cette fin ; s'il s'agit d'un extrait unique ou d'une série d'extrait du même film ou de films divers.
Yannick Mouren cherche lui à distinguer le métafilm, concept qui prend pour objet le cinéma en représentant les agents de la production, procure une connaissance d'ordre documentaire ou vraisemblable et élabore un discours critique sur le cinéma du Film art poétique. Deux conditions pour celui-ci : avoir comme protagoniste le cinéaste du film dans le film et faire de celui-ci le représentant l'alter-ego du cinéaste du film filmant et avoir comme sujet affiché ou caché l'art poétique du cinéaste, concept qui recouvre aussi bien une métaphysique théorique (je fais des films parce que je crois que...) qu'une empirique pratique (je fais des films en recourant à tel ou tel mode opératoire)
Le corpus proposé est le suivant : Huit et demi de Federico Fellini, Tout est à vendre de Andrzej Wajda, Prenez garde à la sainte putain de Rainer Werner Fassbinder, La nuit américaine de François Truffaut, Stardust memories de Woody Allen, Sogni d'oro de Nanni Moretti, Elle a passé tant d'heure sous les sunlights de Philippe Garrel, L'état des choses de Wim wenders, Passion de Jean-Luc Godard, Intervista de Federico Fellini, Snake eyes de Abel Ferrara, Au travers des oliviers de Abbas Kiarostami, Sauvage innocence de Philippe Garrel, Sex is comedy de Catherine Breillat.
Yannick Mouren constate que cette liste ne comporte que deux cinéastes états-uniens alors que tous les autres sont européens (excepté Kiarostami). L'art poétique filmique ne peut se développer que dans un pays où prévaut une conception auteuriste du cinéma. En revanche Hollywood a su créer nombre de métafilms, offrant une réflexion en tant que monde social avec ses lois, ses règles, ses habitudes. A Hollywood, la primauté du producteur puis des acteurs conduit logiquement à dévaluer la figure du metteur en scène au profit d'une conception comme art collectif. Les métafilms hollywoodiens ont ainsi comme protagoniste :
III - Hollywood au miroir
C'est dans cette dernière partie que l'on retrouve l'idée de créer des esthétiques nouvelles en se servant du passé notamment grâce à l'article Lynchcockien par Youri Deschamps. Rémanences de L'ombre d'un doute dans Blue Velvet et de Fenêtre sur cour dans Lost highway
Le sujet de Blue Velvet, plus que la relation trouble entre Dorothy Vellens (Isabella Rossellini) et Frank Booth (Denis Hopper) est la vie d'une petite ville américaine moyenne et typique. Hitchcock, comme Lynch quarante trois ans plus tard, y injecte du sexe, du crime et de la noirceur (oncle Charlie, séducteur et tueur de riches veuves) pour en révéler la face cachée et refoulée.
Dans l'un et l'autre films, "la small town américa" est d'emblée présentée comme une enclave paradisiaque avenante et protectrice où les pompiers saluent et sourient, où les gardiennes de carrefour font traverser les enfants sages (Blue Velvet), où les policiers affichent une mine réjouie et assurent la sécurité des piétons avec une prévenance qui semble inaltérable (L'ombre d'un doute).
Dans les eux films, les résidences affichent une blancheur immaculée ainsi qu'une pelouse exemplaire, Lumberton, Caroline du Nord (Blue Velvet) et Santa Rosa, Californie (L'ombre d'un doute), toponymes imprimés par de fiers panneaux indicateurs et publicitaires à l'entrée de la ville radieuse, logent à la même enseigne bien qu'elles soient situées aux deux extrémités du pays en vis en vis justement : ce sont deux pures villes-images, où le bonheur de vivre est obligatoire et constitue la seule religion officielle.
Dans Blue Velvet, la ville tombe d'ailleurs littéralement du ciel, à la faveur d'un lent panoramique vertical vers le sol. Santa Rosa dans L'ombre d'un doute sort d'abord de la bouche d'oncle Charlie, au téléphone lorsqu'il projette de quitter Philadelphie pour se mettre au vert et fuir les deux policiers qui sont sur sa piste. Il prononce deux fois le nom de la ville de façon quasi incantatoire et Santa Rosa émerge du néant. La ville-image se présente ainsi comme une véritable doublure du monde idéal. (...) Dès que l'on pénètre dans le foyer des Newton, la ville modèle ne fait pourtant pas longtemps écran : exemplaire en apparence, Santa Rosa est une cité somnolente où l'ennui règne en maître absolu : "Nous laissons couler la vie et rien ne nous arrive (...) on mange, on dort, c'est tout" déclare sa mère à la jeune Charlie qui appelle de tous ses vux la venue de son oncle. Même tableau d'ensemble dans les premières séquences de Blue Velvet où, passé les chromos rutilants de l'imagerie du bien-être résidentiel, Lumberton relève de la léthargie généralisée. Monsieur Beaumont, le père, arrose sa pelouse dans un état quasi hypnotique ; la mère installée dans le canapé du salon est rivée à l'écran de télévision.
Pour la jeune Charlie comme pour l'inexpérimenté Jeffreay Beaumont, la problématique est de même nature : il s'agit de revitaliser une image morte et mortifère édifiée en modèle. Refuser la clôture de l'image idyllique du bonheur standard équivaut à sortir de l'innocence.
IV Tout film est un documentaire sur son tournage :
des cinéastes cinéphiles
Jean Renoir post-celluloïd par Daniel Serceau. Interprétant le père Poulain (Partie de campagne), Cabuche (La bête humaine), Octave (La règle du jeu), puis introduisant lui-même et tant qu'auteur et metteur en scène Le testament du docteur Cordelier et son Petit Théâtre, Jean Renoir propose dans chacune de ses brèves apparitions une lecture, sinon du film entier, du moins un aspect non négligeable de l'uvre en moraliste exigeant chez qui tout personnage fait sens.
Dans Partie de campagne (1936) Jean Renoir interprète le rôle du père Poulain, propriétaire de l'auberge fréquentée par les deux canotiers où la famille Dufour décide de déjeuner sur l'herbe. Un rôle accessoire, en soi inutile à la narration qui ne perdrait à peu près rien à sa disparition. Superflu dans le système des personnages, absent de la nouvelle de Maupassant, il ne l'est pas dans le projet symbolique du film où il assure une fonction d'incitateur au plaisir. Sur le plan de la nourriture d'abord en proposant aux deux jeunes hommes "une omelette à l'estragon", puis sur le terrain érotique en les invitant à passer l'attaque "si j'étais à votre place j'sais bien c'que je ferais", non sans avoir vanté les charmes de la mère précisément pour leur opulence : " la p'tite ! J'l'ai pas regardée ! Elle est trop maigre (...) la mère ! Parlez-moi d'un morceau !". Une profession de foi sensualiste où se mêlent tous les plaisirs de la chair, pourvu qu'elle soit abondante. Ainsi le personnage semble disparaître l'auteur, ou celui-ci se dissimuler derrière celui-là. Plus que d'une fonction narrative, il convient donc de parler d'une fonction symbolique.
Dans La bête humaine, Jean Renoir interprète Cabuche. Celui-ci est un cantonnier injustement accusé du meurtre de Grandmorin, le grand bourgeois et vraisemblablement condamné à mort. L'adverbe s'impose puisque le personnage disparaît de la fiction. Le spectateur ne sait donc rien de son devenir. Discutant de cette accusation avec les vrais coupables, Séverine et Roubaud, Jacques Lantier qui a été témoin des circonstances du meurtre s'exclame "Voyez-vous, ce qui m'embête là-dedans, c'est cette histoire de Cabuche (..) S'ils le condamnaient, hé ben j'sais bien ce que j'f'rais, j'irais les trouver (..) Parce qu'il n'est pas coupable". Sa déclaration d'intention s'arrête là. A son tour, il ne fera plus allusion au pauvre cantonnier.
En conférant au personnage de Cabuche l'aura de sa propre interprétation,
Renoir lui accorde une importance particulière. Il ne joue plus là
le rôle d'incitateur comme le père Poulain dans Une Partie de
campagne. Ainsi que le souligne l'occultation narrative du personnage, Cabuche
est une victime désignée, sa situation de classe (il longe les
wagons de première classe avant de monter en troisième) et son
franc parler, conséquence de celle-ci, sont les causes explicites de
son accusation. Le silence fait sur son sort permet au récit de se
poursuivre. Si Lantier avait mis sa menace à exécution, son
histoire ne devenait-elle pas sans lendemain ? Ainsi l'arrestation de Cabuche
fait-elle l'affaire de tous. De la police et de la justice qui clôturent
prestement une affaire ; de la bourgeoisie qui évite un scandale ;
de Séverine et de Roubaud ainsi lavés de tout soupçon
; de Lantier enfin qui accède à l'amour, le grand interdit de
sa vie.
Si Roubaud est coupable, Séverine et Lantier complices, faut-il rappeler que toute cette cascade de souffrances a son origine dans le comportement de Grandmorin usant de ses domestiques et de leurs filles à la manière d'un grand seigneur bénéficiant du droit de cuissage ? Pour Séverine l'amour (l'amour sexuel) est devenu un sentiment inaccessible. Grandmorin en porte historiquement la responsabilité ; Cabuche subit à son tour la loi du vieux maître mais par ricochet. La faute initiale en génère une série d'autres dont il devient l'ultime relais.
Occupant dans la fiction le position du "dernier des hommes, Cabuche
recueille et concentre sur sa personne tout le système des injustices
et des transferts de culpabilité. Selon la formule popularisée
par rené Girard, Cabuche devient un bouc émissaire. Formule
que Renoir aurait certainement reprise à son compte. Ne dit-il pas
à propos de la mort d'André Jurieu dans La
règle du jeu (1939) :"Faut un sacrifice. Cabuche permet à
la narration de se poursuivre et à l'amour de triompher, du moins provisoirement.
Cette solution correspond aussi aux vux des spectateurs prompts à
sacrifier certains personnages secondaires afin de mieux assurer la survie
ou le bonheur des "héros".
Renoir aurait certes pu se dispenser de l'interrogation de Lantier et montrer
l'exécution de Cabuche sans indiquer la réaction des principaux
protagonistes. Mais Lantier se sacrifiant lui-même au nom de la vérité
aurait fait de la Bête humaine un film bien pensant. Lantier sacrifiant
Cabuche fait de La bête humaine un moment de vérité humaine.
Dans La règle du jeu, Octave partage avec Marceau le même sort à la fin du récit. Le départ des deux hommes ou plutôt leur sortie comme on dirait au théâtre est filmé en correspondance avec un code de fin, un travelling arrière se détachant de leur silhouette tandis que se fait entendre un accompagnement musical. De Marceau, Octave partage la précarité le sort de pièce rapportée qui leur vaut, à l'un comme à l'autre, de quitter le château par une porte dérobée laissant les gens du monde entre eux. Leur départ comme l'assassinat d'André Jurieu (comme celui de Cabuche dans La bête humaine), arrange tout le monde à commencer par Robert de la Chesnaye et Schumacher, les deux maris trompés. L'exclusion des trois hommes (des trois fauteurs de trouble) permet à l'ordre social de se perpétuer.
Dans Le
testament du docteur Cordelier, Renoir se filme dans l'exercice de son
métier tel que l'évolution des techniques de tournage et de
diffusion en a modifié certaines règles de travail. Le premier
plan cadre la fenêtre d'un bâtiment et dans un travelling arrière
découvre l'enseigne de la "Radiodiffusion Télévision
française". Renoir descend d'une voiture, salue les techniciens
puis sa monteuse, Renée Lichting : "Nous sommes prêts à
commencer l'émission. Le film est au télé-cinéma"
l'informe-t-elle. Le cinéaste prend place dans un studio tandis que
s'affairent les techniciens. La caméra est maintenant à l'intérieur
de la régie et cadre plusieurs récepteurs de contrôle.
Deux cartons apparaissent successivement "Jean Renoir présente"
puis "Le testament du docteur cordelier". Alors débute non
pas le film mais l'émission (le mot est employé par Renoir dans
son introduction) assimilé à une sorte de reportage : "Nous
venons tout juste d'assister à la conclusion d'une aventure singulière",
commente le cinéaste. Son visage subsiste quelques secondes sur l'un
des récepteurs tandis que sur un autre apparaissent les premières
images du récit. Une mise en abîme.
Il y a pourtant un décalage patent entre le bon Jean Renoir et l'effroyable personnage qu'il va nous présenter. Le ton de son commentaire est celui d'un chroniqueur soucieux de faire partager à ses contemporains les événements dont il a été le témoin. Il parle d'une "aventure singulière et non d'un drame affreux. De façon surprenante, sa voix réapparaîtra à la fin de la projection pour saluer l'entreprise de Cordelier : "Quant à Cordelier qui avait payé de sa vie la redoutable ivresse de la recherche spirituelle, n'était-ce pas lui qui avait la plus belle part ?". Bref, loin de se désolidariser de ce dont il nous offre le spectacle, comme on le ferait d'une chose avec laquelle on refuse tout amalgame, il s'y mêle, il en revendique explicitement la paternité.
Renoir prend ainsi le risque de gâcher la belle image que ses films des années 30 et tout spécialement le rôle d'Octave dans La règle du jeu avait laissé transparaître et que la mémoire et le temps ont imposé comme sa vérité définitive. Quel abîme entre Octave et 0pale, l'un tout en douceur et don de soi, l'autre sadique et destructeur ! Renoir assume pourtant la présentation d'un tel monstre. Il avait déjà attaqué les valeurs du bien dans la tradition chrétienne qui impose comme impératif pour la constitution d'un moi idéal une répression sur le terrain libidinal. Cette critique notamment de la bonté est un thème récurrent de l'ouvre et renvoie à Boudu sauvé des eaux ainsi qu'au personnage de Jean Dubois dans le premier film important du cinéaste : Tire au flanc (1929).
Avec Le testament du docteur Cordelier affronte la profession cinématographique. Comme il le déclare en 1979 dans Jean Renoir entretiens et propos (cahiers du cinéma) : "Je crois que notre fonction, c'est d'ouvrir des fenêtres". Ici, il ouvre la fenêtre de l'innovation vers la télévision et, en tant que sujet social, il mène jusqu'à un certain point de non-retour la "recherche spirituelle" sans laquelle le métier de "faiseur de film" selon son expression dans Ma vie, mes films n'est rien de plus qu'un savoir-faire technique.
Dans Le petit théâtre enfin, il assume la fonction d'artifice de l'art, celle qui consiste à assumer la représentation.