René Prédal est professeur émérite d'études cinématographiques à l'Université de Caen. Critique à Jeune Cinéma depuis 1965, il a dirigé vingt volumes de CinémAction, un dictionnaire des 900 cinéastes français d'aujourd'hui et il a publié une trentaine d'ouvrages sur le cinéma, français principalement (50 ans de cinéma français, monographies sur Godard, Resnais, Rouch, Bresson, Malle, Cavalier, Doillon et Robbe-Grillet. Il a également publié en 2004 La critique de cinéma. C'est dire si son ouvrage, une somme de 800 pages, est attendu.

 

La mise en scène : un regard qui s'incarne dans un film qui transforme le réel par la maîtrise des moyens techniques.

La mise en scène pourrait être celle repérable dans le film de grande mise en scène de la première moitié des années 50 que fut incontestablement pour René Prédal La Tunique (Henri Koster, 1953) superproduction biblique et premier film en cinémascope. Ce type de film a grand spectacle est l'apogée de la carrière des plus grands metteurs en scène hollywoodienne : Ben-Hur pour William Wyler, Cléopâtre pour Mankiewicz Les cinquante jours de Pékin pour Nicholas Ray, La chute de l'empire romain pour Antony Mann (1964). Sommets de la carrière en terme de reconnaissance par les studios mais œuvres qui sont loin d'être immortelles. Car la mise en scène n'est effectivement pas synonyme de démesure.

La vérité, l'effacement, la beauté, les critères du réalisme diffèrent aussi du travail de mise en scène des formalismes baroques, de Eisenstein ou de Welles. La mise en scène sera ainsi l'affirmation d'un regard, d'une lecture d'une manière de voir (Hawks, Bresson, Eustache ou Bergman), l'expression artistique d'un auteur.

L'expression trouve sa place aussi bien dans ce qui dans la mise en scène relève du travail du tournage (direction d'acteurs, mouvement d'appareils cadrage) que dans ce qui vient avant (préparation) ou après (montage).

La mise en scène consiste à exprimer un regard personnel sur le monde, à représenter le réel de manière à ce qu'il prenne sens par la maîtrise des moyens techniques (sens restreint). L'action de mise en scène préside à l'opération de représentation entre le réel et le film. Il y a des mises en scènes plus près du réel (Rossellini, Pialat) et d'autres davantage proches du film (Kubrick).

 

Esthétique de la mise en scène

Pour caractériser la mise en scène, René Prédal préfère utiliser les termes de notions, d'idées et de formes plutôt que de concepts.

Le style, ce sont des choix opérés au sein des formes. Les formes, ce sont le travelling, le plan séquence, le panoramique, le raccord, le champ-contrechamp, le gros plan, le flash-back... Les styles se seront un travelling lent, une camera à l'épaule (Dardenne), la hauteur de la caméra chez Ozu, les mouvements baroques de Ophuls. Les choix de mise en scène ressortent de choix multiples : influence d'une esthétique, évolution technique, goût personnel...

Les caractères formels permettent de dégager la spécificité de l'auteur, son style, ce en quoi il s'oppose. Opposition par exemple entre les personnalités fortes du cinéma français et celles du cinéma américain. Les uns continuateurs de la nouvelle vague, du cinéma de l'allusif et du détail et les autres exploitants les moyens techniques.

Dans A bout de souffle, Godard s'emporte contre ses personnages qui saccagent leur histoire d'amour et multiplie les faux raccords. Rien ne s'accorde cinématographiquement entre eux parce que rien ne s'accorde entre eux. Conte d'Automne bénéficie d'une mise en scène pauvre, très fluide, minimaliste avec le naturel du mouvement et des extérieurs qui s'accorde avec la conversation du film : qu'est-ce qu'une femme libre et un vin bio ?

S'il n'est pas certain qu'il faille condamner le travelling de Kapo pas plus que la fillette en rouge de La liste de Schindler, chacun des choix de mise en scène mérite l'analyse et permet de découvrir le sens. Les travellings des fins de A bout de souffle et des 400 coups ont des dimensions métaphoriques différentes ainsi que les deux gros plans sur Jean-Pierre Leaud et Jean Seberg. A la fermeture urbaine sur la mort s'oppose la délivrance pour Antoine. Le mouvement d'appareil ne signifie pas en lui-même. Il est indissociable du décor, du personnage et de sa place dans le récit. Il n'existe donc pas de grammaire cinématographique car le cinéma est un langage ; il n'est pas une langue.

La production de sens est habilement tricotée par Truffaut dans Jules et Jim pour faire apparaître Catherine comme l'incarnation de la tragédie via le dessin de la femme idéale, la projection de la statue en Grèce et la rencontre sur place de cette statue ou ambiguë chez Antonioni et Rossellini dont le montage final cut laisse juste l'espoir d'un départ nouveau. Important que la scène soit reçue différemment pour chaque spectateur qui la voit. Le cinéma moderne est moins fait pour convaincre que pour résonner en chacun.


Le cinéma n'est jamais le réel il s'en rapproche plus ou moins selon les options de mise en scène. L'utilisation du plan séquence comme du montage fragmenté ne garantit pas une plus grande proximité avec le réel. Voir à ce sujet Welles et Rossellini ou Eisenstein et l'escalier d'Odessa ou Resnais et le flash-back de Nevers ou Bresson avec sa fragmentation obtenu au montage dans Lancelot du lac.

 

Des styles au sein de dix grandes formes

L'intérêt majeur du livre consiste donc à repérer différents styles et à les regrouper au sein de dix grands ensembles qui constituent des histoires de cinéma.

1/ Les réalismes. De Sica et Le voleur de bicyclettes.

2/ Le direct : Jean Rouch, Richard Leacock, Pierre Perrault, Raymond Depardon, Johan van der Keuken, Robert Kramer.

3/ Le plan séquence : Wiliam Wyler, La corde, Miklos Jancso, Théo Angelopoulos ; Jacques Doillon, Antonioni, Orson Welles, Robert Altman, Sokourov, Pialat.

4/ Le montage : Dziga Vertov, Alain Resnais, Poudvkine, Eisenstein, Hitchcock Godard, Pialat.

5/ Le classicisme : Les studios, Jacques Becker, Louis Malle, Eric Rohmer.

6/ Le cinéma moderne : La nouvelle vague, Antonioni, Jean Eustache, Jerzy Skolimowski, Ingmar Bergman.

7/ L'autobiographie : Fellini, Truffaut, Moretti, Cavalier.

8/ Des composantes stylistiques : Wenders, Rivette, Rohmer, Wong Kar-wai Robbe-Grillet, Garrel, Bresson, Doillon, Kiarostami, Gus van Sant.

9/ Spiritualisme et symbolisme : Scorsese, Kieslowski.

10/ Jansénisme et formalisme : Bresson, Duras, Ophuls, Almodovar, Lynch.

 

 

J. L. L. Le 06/05/2007

 

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Esthétique de la mise en scène
Février 2007, 800 pages format 120 x 180, Collection 7ème art, éditions Corlet , 45.00 €
2007
René Prédal