Lettre d'amour

1953

Genre : Mélodrame

(Koibumi). Avec : Masayuki Mori (Reikichi Mayumi), Yoshiko Kuga (Michiko Kubota), Jûkichi Uno (Naoto Yamaji), Jûzô Dôsan (Hiroshi). 1h38.

1950. Reikichi, vit chez son jeune frère, l'enjoué et dynamique Hiroshi, qui lui ramène quelques travaux de traduction et le taquine sur son incapacité à chercher un vrai travail et à se marier. Reikichi, marin démobilisé, vit dans l’obsession de Michiko, une femme qu’il a aimée avant la guerre et qui lui a écrit une lettre d'amour la veille de se marier. Depuis cinq ans, Il erre dans les rues de Tokyo scrutant les passantes à la recherche de son amour perdu.

Un jour, il rencontre Naoto, un camarade de l'école navale devenu écrivain public. Ce dernier écrit des lettres en anglais pour les jeunes femmes abandonnées par les G.I. américains, à qui elles réclament de l’argent. Reikichi, qui gagnait difficilement 3 000 yens par mois y voit l'occasion d'être utile même si ce travail semble d'abord peu glorieux.

Hiroshi, toujours sur la brèche pour revendre plus cher un livre ou un magazine qu'il a acheté moins cher autre part, vient lui rendre visite sur son lieu de travail. Il découvre une devanture qu'il pourrait louer pour installer un chariot de livres à vendre, un sorte de petite librairie. Il dit un soir à Reikichi avoir croisé Michiko à la gare de Shinjuku, preuve qu'elle est à Tokyo. Reikichi lui avoue être déjà allé voir chez son père à Yokkaichi où ils habitaient autrefois qui l'a informé qu'elle n'est jamais revenue chez lui après la mort de son mari. Les deux frères se disputent et Reikichi va se refugier chez Naoto.

Alors qu'il est à peine réveillé chez Naoto, il entend la voix de Michiko venue demander la rédaction d'une lettre à un soldat américain. Reikichi, d'abord tétanisé, court à sa poursuite dans les rues et jusqu'au métro. Michiko l'entend et sort du métro bondé. Alors que le métro démarre, les laissant sur le quai face à face, ils se regardent et les souvenais affluent

Enfants ils étaient déjà très complices. Alors que Reikichi était à l'école navale, Michiko avait perdu sa mère. Celle de Richiko l'avait croisée au cimetière, inquiète des rumeurs qui couraient sur sa nouvelle belle-mère. Michiko avait confirmé être mal traitée. Durant la guerre, son père avait arrangé son mariage refusant qu'elle épouse Reikichi, un militaire qui pouvait mourir à tout moment.

Alors qu'ils marchent, Reikichi reproche à Michiko qu'après  la mort de son mari, elle ait couché avec un Américain qui aurait pu être à l'origine de la mort de son mari. Pourquoi n'est-elle pas revenue vers lui si elle avait autant besoin d'affection ? Ils se quittent. Reikichi voit son frère réussir dans la vente de ses magazines dans le quartier animé de Shibuya. Se sentant floué par les années perdu et exclu de la société,  il se saoule et rentre ivre. Hiroshi,  à la vue de la photo de Michiko dans le portefeuille son frère et de son délire alcoolisé comprend la situation. Il va chez Naoto où Michiko a envoyé une lettre pour Reikichi lui demandant pardon. Mais celui-ci ne veut pas pardonner.  Hiroshi se rend chez Michiko et la croise en revenait alors qu’il pleut. Elle promet de revoir Reikichi quand elle aura trouvé un emploi stable.

Pendand ce temps, Reikichi, désespéré, donne des leçons de morale aux femmes qui lui demandent des lettres. Hiroshi vient retrouver Michiko qui a trouvé un emploi au vestiaire de Chez Peters, un restaurant très chic. Il lui donne rendez-vous au salon de thé pour 20 heures après son travail. Il  convie son frère mais Reikichi se fâche et retourne chez Naoto qui le frappe pour sa lâcheté,  son incompréhension à s'accepter comme une possible rédemption pour Michiko qui a besoin de lui.

Le soir, Michiko pleure de l'absence de Reikichi au rendez-vous. Hiroshi la réconforte, excusant la colère de son frère. Comme ils vont partir, trois prostituées interpellent "Mitchy" en laquelle elles reconnaissent leur amie d'autrefois. Elles méprisent ouvertement Hiroshi, rappelant à Michiko qu'autrefois elle n'acceptait de sortir qu'avec des américains. Les trois prostituées poursuivent de leur colère le couple qui veut s'enfuir. S’en est trop pour Michiko qui voit que Hiroshi la soupçonne d'être une ancienne prostituée. Elle tente de lui expliquer qu'elle fut simplement leur amie et n'eut qu'un seul  soldat américain comme amant. Ne le voyant pas convaincu, elle se précipite sous les roues d'une voiture.

Pendant ce temps, Naoto a convaincu Reikichi de se rendre chez Michiko et de lui pardonner. Mais chez elle, la police vient les avertir que Michiko, victime d'un accident, a été transférée dans un hôpital. Alors qu’ils s'y rendent, Hiroshi veille sur Michiko sans savoir si elle survivra.

La jeune société Shin Toho, fondée en 1947 se veut un studio moderne et audacieux et accepte d'engager une femme pour diriger un long métrage. Son directeur Ichiro Nagashima et Kinuyo Tanaka choisissent d'adapter Lettre d'amour, un roman de Fumio Niwa (1904-2005). Celui-ci laisse carte blanche à la réalisatrice car, ami proche de Naruse qui a adapté ses œuvres deux fois, il a toute confiance en elle. Pour son premier film, Kinuyo Tanaka bénéficie d'interprètes prestigieux. Masayuki Mori est le samouraï ligoté de Rashomon (Akira Kurosawa, 1950), L'idiot (Akira Kurosawa, 1951), le potier ambitieux des Contes de la lune vague après la pluie (Kenji Mizoguchi ou l’empereur amoureux de L'impératrice Yang Kei-fei (Kenji Mizoguchi, 1955) et l'amant fuyant de Nuages flottants (Mikio Naruse, 1955). A ses cotés, Yoshiko Kuga joue chez Akira Kurosawa (L’idiot, 1951) Kenji Mizoguchi (Une femme dont on parle, 1954), Yasujiro Ozu (Bonjour, 1959) et même Nagisa Oshima (Contes cruels de la jeunesse, 1960). Le film sort au Japon  pour Noël 1953 et représente le Japon au festival de Cannes 1954

Le film est un appel à aider les femmes qui se sont exclues de la société en cherchant des ressources financières auprès des GI. Une faute ne pardonne pas dans cette société corsetée, entrainant les femmes à déchoir toujours plus. Reikichi, contrairement à Naoto qui soutient sans condition ces femmes, ne peut s'empêcher de leur faire la leçon. Naoto lui rappelle le verset de la bible "Que celui qui n'a jamais péché lui jette la première pierre. Tous les Japonais sont responsables de cette guerre. Et tous ont traversé des périodes difficiles après la guerre. Qui peut bien jeter la pierre, et à qui ?"

Alors que tout est sans doute perdu, que la vie de Michiko ne tient plus qu'à un fil, Reikichi se défait enfin de sa carapace morale ; trop tard ?

Ce mélodrame est constamment soutenu par une mise en scène au cordeau. Flash-back très émouvant, amorcé par le métro qui s’en va, laissant Michiko et Reikichi sur le quai, alors que leur souvenir affluent. Puis sortie du flash-back avec leur promenade dans les allées conduisant au sanctuaire shinto de Meiji jingu alors que résonne dans la tête de Reikichi la lettre d’amour, déjà entendue off au début du film.

Très belles poses maniéristes des couples; que ce soit dans le sanctuaire de Meiji jingu ou sous la pluie près de chez Michiko. L'homme et la femme se regardent puis, sous le coup de l'émotion, se détournent et chacun fait quelques pas de son côté. Si tout se passe bien, l'homme et la femme se retournent une nouvelle fois pour se faire face, au crescendo de l'émotion. Sinon la femme s'éloigne et semble se perdre dans le brouillard ou finir sous les roues de la voiture.

Jean-Luc Lacuve, le 20 février 2022

Source : Pascal-Alex Vincent : Kinuyo Tanaka, réalisatrice de l’âge d’or du cinéma japonais, édité par Carlotta-Films en janvier 2022.

Retour