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Nuages flottants

1955

Genre : Mélodrame

(Ukigumo). D'après le roman de Hayashi Fumiko. Avec : Hideko Takamine (Yukiko Koda), Masayuki Mori (Kengo Tomioka), Mariko Okada (Osei Mukai), Isao Yamagata (Sugio Iba), Chieko Nakakita (Kuniko Tomioka), Daisuke Katô (Seikichi Mukai). 2h03.

dvd chez Mk2

Hiver 1946, Yukiko Koda, rapatriée d'Indochine, rentre à Tokyo. Elle retrouve Kengo Tomioka, qui vit dans une pauvre demeure de Shibuya avec sa mère et sa femme. C'est celle-ci, Kuniko, qui ouvre la porte à Yukiko en la toisant du regard. Prétextant un message à transmettre du ministère, Yukiko entraîne Kengo dans la rue. Elle lui reproche de n'avoir pas répondu à son télégramme. Il dit qu'il s’attendait à sa venue et la laisse un moment pour retourner s'habiller plus chaudement.

En l'attendant, elle se souvient qu'elle l'avait connu pendant la guerre, lorsqu'elle avait travaillé à Dalat en Indochine occupée comme secrétaire du ministère de l'agriculture. Kengo y était ingénieur forestier.

Kengo revient avec un manteau, et ils vont dans un hôtel et Yukiko se souvient que Kengo avait promis de divorcer pour l'épouser après une première nuit passée à Amman. Ce souvenir ne rend pas Kengo plus décidé à divorcer de sa femme, qui, dit-il, a trop souffert pendant la guerre. Yukiko lui reproche alors son attitude, et se met en vain à chercher du travail, les dactylos sont toutes désormais bilingues. Profitant que son ancien beau-frère, Iba, ne soit pas rentré de la guerre, elle habite chez lui mais est réduite à une masure délabrée quand il revient. Elle refuse en effet de passer ne serait-ce qu'une nuit avec celui qui, elle le lui rappelle, l'avait violée avant qu'elle ne parte en Indochine.

N'ayant pas de réponse de Kengo, Yukiko se met en ménage avec un des nombreux G.I.s. alors à la recherche d'une aventure locale. Un jour, Kengo, dont la situation n'est guère brillante, lui rend visite, et aimerait coucher avec elle. Elle refuse mais court ensuite vainement après lui. Puis c'est Iba qui vient reprendre des affaires et l'insulte quand elle refuse de l'aider à entrer en contact avec des GI. Kengo a vendu sa maison pour se renflouer et sa femme est partie vivre loin de Tokyo. Profitant de cette liberté, Kengo emmène  Yukiko à Ikaho, une station thermale de montagne. Ils envisagent de se suicider ensemble. Pourtant après un bain pris lors du nouvel an, ils renoncent. Comme Kengo vend sa montre dans un bar, il sympathise avec Mukai, le patron, dont la femme, Osei, plus jeune que lui, fait des avances à Kengo ce qui désespère Yukiko.

De retour à Tokyo, Yukiko découvre que Osei vit avec Kengo et décide de le quitter. Mais elle découvre bientôt qu'elle est enceinte de lui. Elle décide de se faire avorter, mais à l'hôpital, apprend par les journaux, que le patron, ayant découvert la liaison d'Osei, l'a tuée. Elle va chez Kengo, mais surprend une coursière de bar qui semble être intime avec lui. Dépitée, elle retourne chez son beau-frère, qui profite de la naïveté des adeptes d'une secte d'adorateurs du soleil qu'il a créée.

Iba prend en charge Yukiko, qui s'occupe des comptes de la secte. Kengo arrive un jour, et lui apprend que sa femme est morte, et qu'il n'a même pas les moyens de payer son enterrement. Toujours amoureuse de lui, Yukiko lui donne 20 000 yens pour les funérailles. Puis elle vole 300 000 yens de la secte et donne rendez-vous à Kengo dans son hôtel. Elle le supplie de la laisser le suivre dans une île perdue du sud de l'archipel, à Yaku-shima,  où il vient d'être nommé, et il finit par accepter. Au terme du long voyage, Yukiko déjà très affaiblie, tombe gravement malade où "il pleut 35 jours par mois". Elle finit par mourir seule en plein typhon, pendant que Kengo est parti en expédition. Revenu trop tard, il la prend dans ses bras et réalise alors la force de son amour.

Mélodrame assez éloigné de l'idée que l'on se fait du cinéma de Naruse avec de nombreuses péripéties et de nombreux lieux pour l'action. Il y a Tokyo avec la maison de Kengo puis son pied à terre, les trois masures successives de Yukiko, chez Iba, celle où le toit fuit, chez le GI, puis dans la secte et les hôtels où les amants se retrouvent. Il y a aussi les extérieurs : la ville thermale de Ikaho et, à la fin, Yaku-shima, au sud de l'archipel.

Si le mélodrame décrit la lente détérioration du rapport entre les amants, il n'en exclut pas les moments de joies simples, principalement les nombreuses marches qu'ils effectuent tous les deux. Il y a même une marche "verticale" avec les escaliers gravis puis descendus à Ikaho pour laquelle Naruse exigea un filmage à la grue, tout à fait exceptionnel pour lui.

"Quand on marche ensemble, on dirait un couple" affirme, heureuse, Yukiko alors qu'un peu plus tard ils suivront un défilé de manifestants chantant l'international. La dimension sociale qui condamne le couple n'est en effet pas négligée. Au lendemain de la guerre perdue, Yukiko ne trouve pas de travail car elle ne maîtrise pas anglais et les hommes doivent réinventer en petits entrepreneurs capitalistes : Kengo en marchande bois, Seikichi Mukai en poissonier ou propriétaire de bar, Iba en charlatan à la tête d'une secte. Chacune des femmes subit ce sort qu'elle ne désire pas et qui, au bout de son parcours, lui sera fatal. Kuniko, la felmmede Kengo, meurt d'une tumeur qui aurait pu être soignée avec l'argent qu'il a perdu dans ses affaires ; Osei veut s'émanciper et se réaliser dans son métier de danseuse avant d'être tuée par son mari jaloux. Yukiko meurt aussi faute de soin et d'un climat moins délétère que celui de Yaku-shima

La dimension érotique est plus manifeste dans le roman de Hayashi Fumiko, alors que Naruse la traite discrètement et préfère ces moments de marche à pied qui relancent un avenir possible alors que les amants ne cesse de parler de suicide et de rupture. La fin est d'autant plus bouleversante avec Kengo prenant dans le sac de Yukiko son rouge à lèvres tentant dans un ultime geste désespéré de rendre vie à la morte qu'il a si mal aimée.

Les trois flash-back initiaux du film sont très surprenants. Assise sur un muret, attendant le retour de Kengo, Yukiko baisse tristement la tête. Dans le plan suivant, c'est une jeune femme rayonnante de 22 ans qui descend un escalier. La sortie du flash-back se fait par un contrechamp regard, procédé exploité aussi dans le second flash-back qui se termine sur un baiser amorcé en Indochine et terminé à Tokyo, marquant la continuité du désir malgré le changement de condition. Le troisième flash-back est presque un flash mental. Il suit la demande d'hébergement de Iba à Yukiko. Celle-ci se voit agressée. Ce n'était pas une prémonition mais le souvenir du viol subit avant son départ en Indochine. 

Classé meilleur film de l'année par Kinema Jumpo (qui encore en 2009, le classe 3e des meilleurs films japonais de tous les temps derrière Voyage à Tokyo et Les sept samouraïs), Nuages flottants impressionna nombre de cinéastes. Ozu a dit "J'aurais été incapable de faire deux films; c'est Les soeurs du Gion et Nuages flottants. Plus remarquable encore : Selon Yoshida, cité par Jean Narboni, Ozu nota dans ses carnets, la vision du film comme il le faisait habituellement. Mais il fit un exceptionnel développement pour Nuages flottants, s'inquiétant de savoir s'il avait assez travaillé et s'il devait se remettre en question. Il se rassura en constatant l'échec de Pluie soudaine (1956) alors que lui-même réalisait son film le plus sombre et dramatique : Crépuscule à Tokyo (1957).

Jean-Luc lacuve, le 15 décembre 2006.

critique du DVD
Editeur : Wild Side Video, novembre 2006. Coffret 4DVD. Nouveaux masters restaurés. Format son : Japonais Mono – Sous-titres : français

3 films : Le repas (1951 - 1h32), Nuages flottants (1955 - 1h58), Nuages d'été (1958 - 2h03). En supplément, l'analyse de Jean Narboni.

Format Image : 1.37 Noir & Blanc pour les deux premiers, 2.35 couleur pour le troisième.

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