Acte 1. Sur la cote d’azur, près de Cassis. Une femme, Suzanna Andler, 40 ans est venue louer une villa pour le mois d’aout. Celle qu’elle vise plonge directement sur une crique est belle et vaste, assez pour accueillir les nombreux amis qui viendront les rejoindre, elle son mari, Jean, et leur trois enfants. M. Rivière, l’agent immobilier, la connait bien puisqu'il lui louait depuis des années une autre villa non loin d’ici. Il lui propose de venir diner chez lui dans sa famille. Il lui dit aussi qu’on la vue sortir la veille de l’hôtel de Paris avec un homme qui n’était pas son mari. Suzanna acquisse, elle a beaucoup bu la veille. Et puis comme Rivière la complimente, sur elle-même, ses enfants, son mari. Elle lui dit être « une des femmes les plus trompées de la Côte d'Azur » Rivière se déclare surpris, sans grande conviction.
Suzanna hésite et demande à rester dans la villa jusqu'à la fin de l'après-midi. Elle lui dira alors si elle loue ou non. Elle appelle chez elle et Marie-Louise qui garde leur dernier enfant, âgé de neuf ans lui déclare que Jean est parti pour le week-end sans dire ou il allait mais en laissant un téléphone ou el joindre. Suzanna ne veut pas qu’on le dérange mais confiante dans le fait qui appellera pour demander des nouvelles de la petite demande à marie-louise de lui dire alors de la rappeler. Suzanna consulte une bande dessinée qui trainait sur le canapé.
Désœuvrée et fatiguée de sa soirée précédente, elle s’est endormie et est réveillée par Michel, son amant, qui s'inquiète qu’elle ne l’ait pas rejoint à hôtel à 13 heures comme cela était prévu. Suzanne lui dit avoir visité la maison et même le hangar à bateaux pour faire son choix. Michel croit qu'elle lui ment et qu'elle a dormi après avoir lu la bande-dessinée. Suzanna persiste dans le mensonge. Michel n’insiste pas. Il voudrait qu'elle loue la maison maintenant et qu'il partent à Cannes passer les deux jours suivant comme cela était prévu. Suzanna insiste pour rester jusqu'a 18 heures après l’appel de son mari qui décidera ou non s’il veut dépenser deux millions de francs pour cette villa. Michel a eu peur qu'elle ne soit partie qu'elle ne veuille plus de lui. Il est seize heure, il viendra la chercher à 18 heures.
Acte 2. Suzanne discute avec Monique sur la plage déserte. Monique lui dit qu’on l’a vu avec un autre homme que son mari. Suzanna acquiesse...
Suzanna Andler, lors de sa publication en mai 1968, est considérée comme une insipide pièce de boulevard à contre-courant des événements contemporains. Benoît Jacquot en 1994, peu de temps avant la mort de Marguerite Duras, a pourtant bien raison de lui déclarer son admiration pour la pièce et d’affirmer que c’est du « boulevard racinisé ». En effet, la grandeur de l’amour de Suzanna pour Jean, la mort qui rôde et la volonté de Suzanna de trouver sa vérité font d'elle une héroïne tragique. Benoit Jacquot, qui connaît très profondément l'œuvre de Duras, lui promet de mettre en scène ce texte. Cette promesse, il la tient aujourd'hui ; peut-être parce qu'il attendait une actrice en mesure d'incarner la si émouvante Suzanne : Charlotte Gainsbourg est époustouflante.
Personnages tragiques
Suzanna Andler n’a jamais aimé que son mari, Jean. Elle a quarante ans et deux filles de 17 et 10 ans. Depuis la naissance d’Irène et surtout depuis six ans, il n’y a plus de relations sexuelles entre elle et Jean. Suzanna sait être "la femme la plus trompée de la cote d’Azur". Elle s'est repliée dans son rôle de mère. Son mari, lassé du mariage, "aimerait la connaître autrement". Suzanna n’a jamais cherché à interférer dans les choix de Jean. Elle sait qu’il ne l’abandonnera jamais et ne partira que s'il est assuré qu’elle puisse être heureuse, peut-être avec un autre homme. Michel sait ne pouvoir faire du mal à Suzanne qu’au travers de Jean, en lui révélant qu’il a reçu de lui un blanc-seing pour la séduire.
Jean a "la grâce que donne l’argent". Il a aimé sa femme. Il est infidèle, partant régulièrement avec de nouvelles conquêtes pour Chantilly ou à l’étranger. Pour lui, "être une femme", c’est faire beaucoup d'expériences". Suzanna le comprend intuitivement. Jean est prêt à louer cette villa au mois d'août pour deux millions d’euros si elle peut servir d'écrin à la relation entre Suzanna et Michel. Il a appelé Monique pour qu'elle tente de convaincre Suzanna de louer.
Michel est journaliste. Suzanna dit à Monique qu'il écrit dans de "sales journaux". Ce qui prête aujourd'hui à contresens en évoquant la presse people ou d'extrême-droite. Or, Michel est communiste. On le sait par une scène coupée (voir l’édition de la pièce par Sylvie Loignon en 2021) où il voudrait amener Suzanna en Chine et où il réduit le progressisme supposé de la bourgeoise à des volontés de changement sociaux seulement s'ils arrivent plus tard. Ici, reste son article sur les femmes de milliardaires qui viennent en hiver louer une villa pour l'été. Michel aime Suzanna physiquement surtout pour la fusion qu'ils connaissent après s'être absorbés dans des nuits gastronomiques et alcoolisées. Avec lui, Suzanna a retrouvé la passion érotique avec les chambres d'hôtels vite louées et où se mêlent une part de force, de brutalité et de cruauté.
La mort qui rôde et l’espoir au bout du jour.
Suzanna essaie de dire la vérité ou ment pour essayer de trouver sa vérité, celle qui lui fera dire si elle peut aimer ou non un autre homme que son mari. C’est un combat épuisant, fait de trop longues nuits, de la rupture sans cesse repoussée d’une liaison qui devait durer 15 jours ; d'endormissements soudains en journée et de pensées suicidaires. La pièce comme le film se termine néanmoins par "Peut-être que je t’aime". Le bref regard caméra interloqué de Charlotte Gainsbourg semble ainsi indiquer que Benoit Jacquot se tient dans l'équilibre incertain de cette première version de la pièce.
Une mise en scène et un personnage en gestation des années durant
Chez Marguerite Duras, romans, théâtre et films se nourrissent les uns des autres, offrent ratures et compléments et, à ses personnages, des variations différentes sur des situations de départ semblables : amours incertaines, départ de l'être aimé, ravissements et désespoir chez des êtres finalement assez banals et donc universels, tentant d'échapper à la perte par un discours incantatoire.
Suzanna Andler est ainsi d'abord une pièce de théâtre en quatre actes de Marguerite Duras, écrite pour Loleh Bellon et publiée en 1968 aux éditions Gallimard. Suzanna Andler est créée le 6 décembre 1969 au Théâtre des Mathurins. En 1977, Marguerite Duras l'adapte au cinéma en s'affranchissant beaucoup du texte et de certains personnages sous le titre Baxter, Vera Baxter. Claudine Gabay jouait Vera Baxter alors qu'ici Charlotte Gainsbourg joue Suzanna Andler. Niels Schneider reprend le rôle de Michel Cayre dévolu en 1977 à Gérard Depardieu. Julia Roy celui de Monique Combes (Noëlle Chatelet en 1977). En 1980, Marguerite Duras écrit Vera Baxter ou les plages de l'Atlantique, semblant ainsi réecrire une troisième fois le destin du personnage.
Entretemps, Benoît Jacquot a entretenu une relation amicale forte avec Marguerite Duras depuis que celle-ci cherchait quelqu’un pour l’aider à entreprendre ses films à venir, un “bras droit” disait-elle. Marguerite Duras n’aimait pas les films qu’on avait tiré de ses livres (Barrage contre le Pacifique, Le Marin de Gibraltar, Dix heures et demie du soir en été, Moderato Cantabile…). Parfois elle aimait Hiroshima mon Amour, mais pas forcément. Elle a donc pris son taureau par les cornes, pour faire elle-même La musica (1967), puis Détruire, dit-elle (1969) et Jaune le Soleil (1971). En 1972, elle sollicite Benoît Jacquot qui aimait beaucoup ses films, pour être ce "bras droit". Il l'aide à réaliser trois films, Nathalie Granger (1972), La Femme du Gange (1974), India Song (1975). Ensuite Benoît Jacquot a fait ses films et Duras a réalisé seule Le Camion (1977), Navire Night (1978), Agatha ou les lectures illimitées (1981).
En 1993 ,Bebnoit Jacquot revient vers Marguerite Duras pour réaliser Ecrire et la mort du jeune avieur anglais . C'est peu d etemps apres quil luifait la premsse demettre en scensa pièce, du boulevard racinisé donc qui se clot par un regard caméra qui vient couronner les choix toujours pertinents et émouvants que Benoît Jacquot applique à son héroïne.
Il sait qu'en dépit du peu de goût que Marguerite Duras Marguerite Duras dit manifester pour son personnage, elle a un potentiel très fort. Non seultment trois versions, piece, film, roman mais la pièce a une fin alternative dans laquelle, la maison est louée par Suzanna en accord avec Michel pour qu'ils aient l’occasion d’y passer l’été. En revanche dans Baxter, Vera Baxter, version filmique de 1977, la maison de Thionville est déjà louée par Jean. Michel, qui apparait au début de la pièce puis disparaît, ne peut séduire Suzanna qui s’épanche lors de la visite de deux femmes, Monique puis une autre, interprétée par Delphine Seyrig. Ici l’amour, incertain "peut être "
Maitrise de la mise en scène
Benoît Jacquot s’est laissé le rôle de l'amour de toujours de Suzanna, celui de Jean au téléphone (petite coquetterie : il ne le signale pas dans le générique officiel). Les travellings circulaires lors de la conversation avec son mari absent appuient le sentiment de Suzanna d'être perdue alors que les mouvements d'appareil de Jasquot, ses très visibles travellings circulaires, marquent sa maîtrise à lui.
De même, dès le premier acte, Jacquot s'empare de Charlotte Gainsbourg, filmée nette alors que le flou l’entoure, celui de la terrasse ou de la mer. Plusieurs gros plans viennent aussi la saisir pendant le dialogue. Un brusque élargissement du cadre, jamais dans l'axe, vient replacer Suzanne dans sa conversation avec Michel. Ainsi, entourée de flou ou prise en gros plan, est-elle déterritorialisée, émotion pure enlevée aux cadres contingents de temps et de lieu pour être pleinement ici et maintenant. C'est à cette même detrritorialisation que procèdait Marguerite Duras avec des héroines à la fois en Normandie et en Inde (La femme du Gange), entendues ici avec un son venu d'ailleurs (Son nom de Venise dans Calcutta désert) avec une histoire d'un autre temsp dans le Paris contemorain (Les mains négatives, Césarée).
La flûte indienne, orientale, qui vient ponctuer les moments de solitudes des actes 1, 2 et 4 possède aussi cette fonction d'élargir le champ géographique, bien davantage que le seul déplacement de la villa de Saint Tropez à Cassis. L'élargissement temporel tient lui au double ancrage dans les années 60 et dans le temps actuel. Le combiné du téléphone est typiquement années 60 tout comme le marquage du numéro à la dymo. Mais Suzanna porte une robe d'un modèle récent signé Anthony Vaccarello présenté dans la collection de prêt-à-porter printemps-été 2019-2020 d’Yves Saint Laurent et inflation aidant La location de la maison coûte 2 millions et non un dans la pièce.
D’autres légères modifications sont apportées à la pièce. Rivière propose, lorsquil s'en va, d'inviter Suzana à manger chez eux; lors du plan où Suzana approche Michel sur la balustrade au-dessus de la falaise est respectée la didascalie qui indique l’avance menaçante de Susanna vers son amant qui l’a renseigné sur le cruel blanc-seing de son mari. Mais ce n'est que dans la seconde fin que l'on trouve le dialogue :
SUZANNA (temps, ton calme) : tout à l’heure… (arrêt)
MICHEL (temps) : Qu’est-ce que tu as vu ?
SUZANNA : Tu étais tombé sur le visage.
MICHEL (temps) : Qu’est-ce que tu faisais ?
SUZANNA : Rien. Tu étais mort je crois
C’est donc l’occasion pour Benoit Jacquot de faire figurer le plan violent de Michel, face contre terre, en bas de la falaise : une première fois vu par Michel, puis la seconde par Suzanna. Autre modification, le rapide plan du métro aérien qui sublime l’amour de Michel et Suzanna. Leur première nuit à Paris. Un plan bref de nuit aussi beau que la villa de Cassis de jour.
Jean-Luc Lacuve, le 20 juin 2021, après le Ciné-club du jeudi 17 avril.