The substance

Elisabeth Sparkle fut autrefois une grande actrice de cinéma ayant son étoile sur le Hollywood Walk of Fame d'Hollywood Boulevard à Los Angeles. Mais le temps a passé et les feuilles, la neige et le ketchup souillent chaque jour un peu plus son étoile. Le jour de son 50e anniversaire, Elisabeth est brusquement renvoyée de son émission de télévision d'aérobic, Au top, par le producteur Harvey, en raison de son âge. Désemparée, Elisabeth a un accident de voiture alors qu'elle est distraite par un panneau d'affichage la représentant en train d'être démonté. Elle en sort indemne mais se voit proposer de la part d'un infirmier une mystérieuse clé USB. Elle croise aussi Fred, un condisciple de lycée qui, transi d'admiration, lui laisse son adresse sur un bout de papier minable. De retour dans son appartement, Elisabeth visionne le contenu de la clé USB: une publicité présentant une substance miraculeuse issue du marché noir, capable de générer une version « plus jeune, plus belle et plus parfaite » de soi-même grâce à une modification cellulaire de son ADN. Elle jette la clé à la poubelle. Elle se rend dans un bar mais personne ne fait attention à elle. Elle rentre saoûle chez elle et reprend la clé USB dans sa poubelle. Elisabeth décide de passer commande.

Elle quitte son luxueux appartement sur Beverly canyon pour se rendre dans le misérable quartier de Byron Allay. Au numéro 35, elle soulève le rideau de fer et trouve dans le casier 503 la boîte dont elle prend possession. Les consignes d'utilisation stipulent que la Substance établit une relation symbiotique entre les deux corps : Elisabeth doit transférer sa conscience d'un corps à l'autre tous les sept jours sans exception, tandis que son corps inactif reste inconscient et est nourri par intraveineuse avec un approvisionnement alimentaire hebdomadaire. L'« autre soi » nécessite également des injections quotidiennes de liquide stabilisateur extrait du corps « matrice » via une ponction lombaire pour éviter toute détérioration. Elisabeth s'injecte le sérum activateur, à usage unique, puis est prise de violentes convulsions avant qu'une version plus jeune d'elle-même, Sue, ne s'extirpe d'une large fente dans son dos.

Sue parvient sans difficulté à remplacer Elisabeth dans l'émission de télévision, rebaptisée Pump it up. Directeurs de casting, producteurs, tous sont ébahis par sa beauté. Sue décide de cacher le corps végégatif d'Elisabeth derrière une cloison qu'elle fabrique elle-même Quand le bruit dérange le voisin, sa simple apparition à la porte, le subjugue et il ne demande plus rien d'autre que d'être dérangé par elle.À l'approche de la fin de son cycle hebdomadaire, Sue fait la fête et ramène un homme à la maison pour des relations sexuelles. Voulant profiter un peu plus de la nuit, elle extrait du stabilisateur supplémentaire d'Elisabeth, ce qui lui permet de dépasser le cycle de sept jours.

Le lendemain matin, Elisabeth se réveille dans son corps et constate avec horreur que son index droit a vieilli très rapidement. Elisabeth contacte le fournisseur, qui l'avertit que le non-respect du programme de changement entraîne un vieillissement irréversible du corps d'origine. Elisabeth décide néanmoins d'aller chercher un nouveau colis dans le box 503 afin d'avoir une nouvelle recharge de nourriture. En rentrant, elle s'arrête dans un diner où elle est interpellée par un vieil homme à la tâche de naissance rouge sur le poignet et qu'elle identifie comme la matrice du jeune pharmacien qui lui a donné la clé USB. Lui aussi semble mal en point et se plaint de sa version parfaite qui se goinfre d'un temps hédoniste qui le fait vieillir. Affolée, Elisabeth s'enfuit.

Elisabeth, se sentant désoeuvrée, appelle Fred trés surpris qu'elle ait pensé à lui et plus encore de pouvoir l'inviter à dîner. Elisabeth se prépare pour ce rendez-vous mais ne parvient pas à être satisfaite de son apparence et recommence sans cesse le maquillage. Elle va sortir quand un coup d'œil au panneau publicitaire où Sue s'expose avec l'insolence de sa jeunesse parfaite ,la  fait retourner dans la salle de bain. Elle recommence à tenter de trouver le bon maquillage mais finit par renoncer laissant sans réponses les messages de Fred sur son téléphone. Elle ouvre le frigo et se sert du poulet.

Sue se rend dès son réveil  à la répétition de danse. Soudain elle est gênée par une grosseur à la cuisse. Un des cameramen a alerté, voyant quelque chose d'anormal. Mais rien n'est enregistré sur les caméras. Sue dans les toilettes constate néanmoins que la grosseur est bien réelle, mobile et s'extirpe une cuisse de poulet de son nombril. Les audiences sont stratosphériques et Sue se voit offrir la chance d'animer le prestigieux spectacle du réveillon du Nouvel An de la chaîne. Sue, mènant une vie confiante et hédoniste, dépasse une nouvelle fois son cycle d'une semaine

Quand Elisabeth se réveille, elle constate que son corps s'est terriblement dégradé . Elle peut à peine marcher. Elisabeth nettoie les restes des fêtes que Sue a organisées dans son appartement. Elle devient une recluse qui se déteste elle-même. Ouvrant par désoeuvrement le misérable cadeau de licenciement,elle découvre un livre de cuisine et se lance dans une débauche de plats à préparer.

Elisabeth en veut à Sue pour son mépris fréquent du programme de changement qui a aggravé encore son vieillissement.

Malgré leur conscience partagée, Sue se considére comme distinct d'Elisabeth qu'elle méprise, dégoûtée par le dégoût constant d'Elisabeth pour elle-même et ses crises de boulimie. Sue stocke du liquide stabilisateur et refuse de revenir en arrière. 

Trois mois plus tard, la veille de la diffusion du réveillon du Nouvel An, Sue manque de liquide stabilisateur car le corps d'Elisabeth en est complètement vidé. Elle contacte le fournisseur, qui l'informe qu'elle doit revenir en arrière pour réapprovisionner le liquide.

Lorsqu'ils échangent, Elisabeth se retrouve horriblement transformée en une bossue difforme. Désespérée d'empêcher l'abus de stabilisateur de Sue de dégrader davantage son corps, Elisabeth acquiert un sérum conçu pour mettre fin à Sue. Cependant, toujours en quête d'admiration, elle s'arrête avant d'injecter la seringue pleine et ressuscite Sue, les laissant toutes deux pleinement conscientes dans leurs deux corps fonctionnels.

Réalisant l'intention d'Elisabeth en voyant la seringue presque vide, Sue, folle de rage, bat brutalement Elisabeth à mort avant de partir se préparer pour la soirée du nouvel an tournée en direct devant un public réel d'une centaine de personnes et une cinquantaine de millions de téléspectateurs.

Sans Elisabeth, le corps de Sue commence à se détériorer. Paniquée, elle tente de créer une nouvelle version d'elle-même en utilisant le sérum activateur restant, malgré l'avertissement du fournisseur à usage unique. Cela donne naissance à un corps mutant grotesque, « Monstro Elisasue », avec les visages de Sue et d’Elisabeth. Monstro Elisasue, vêtue d’un masque découpé dans une affiche d’Elisabeth, boite sur la scène pendant la diffusion en direct. Le masque tombe, provoquant le chaos dans le public horrifié et l’attaquant. Un homme la décapite, mais une tête encore plus mutante repousse. Son bras tenant le pied de micro se brise, trempant le public dans le sang. Elisasue s’enfuit du studio mais s’effondre en viscères.

Le visage original d’Elisabeth se détache du sang, rampant sur son étoile négligée sur le Hollywood Walk of Fame. Elle sourit en hallucinant être admirée avant de fondre en une flaque de pulpe. Le lendemain, son sang est nettoyé par une autolaveuse.

Le Hollywood Walk of Fame d'Hollywood Boulevard ouvre et clôt le film comme si rien d'autre n'existait que le cinéma avec des humains réduits à plus ou moins longue échéance à des viscères que l'on nettoie. Comme dans un conte cruel, c'est la troisième promesse de la Substance qui ne sera pas tenue. Certes Sue est plus jeune, plus belle mais non pas parfaite. Elle n'est qu'une caricature de la jeunesse triomphante sur laquelle mise une industrie grossière et mastiquante. Mais elle est rongée de l'intérieur par la boulimie ou la drogue.

Face à cette déliquescence, les références au cinéma sont constantes. La première est celle à Shining avec la reprise du motif du couloir de l'hôtel Overlook sur la moquette des studios de Harvey. Plus prégnante et signifiante est celle à 2001 l'odyssée de l'espace à partir du parallèle établi entre le franchissement de la porte du temps à proximité de Jupiter et le flash coloré d'Elisabeth pendant la création de Sue à l'intérieur d'elle-même. La salle de bain carrelée en blanc evoque la chambre où Dave vieilli et probablement apprend du monolithe avant d'être transformé par celui-ci en homme nouveau sur la musique de Ainsi parlait Zarathosutra. Ici, c'est cette même musique de Richard Strauss qui accompagne Monstro Elisasue sur la scène du spectacle du réveillon du Nouvel An. La nouvelle femme de 2024 est ainsi une version dénaturée de l'homme nouveau promis par 2001.

C'est d'ailleurs à la fin tragique de Carrie que renvoie la fin de Monstro Elisasue.

Entre-temps, on aura traversé le miroir aux alouettes d'hollywood tel qu'il apparaît chez Lynch dans Mulholland drive et signifié ici par les nombreux plans de palmiers alors qu'un trajet de nuit le long d'une ligne jaune renvoie à Lost highway et à la zchizophénie de son personnage masculin.

Dans le thème du corps qui s'ouvre ou celui de la transformation qui rate, on pense respectivement à Alien ou La mouche ou eut-êtreplsuproche dansle genre burlesque à La mort vous va si bien. Le corps parfait artificiel renvoie à Barbie et son univers rose bonbon, alors que Monstro Elisasue, devenu plus humain que les deux femmes à partir desquelles il a muté, renvoie à Elephant man. La dispute entre les deux femmes évoque parfois les chamailleries entre harpies dans Qu'est-il arrivé à Baby Jane ?. Plus qu'à Docteur Jekyll et Mister Hyde, le thème du double monstrueux renvoie au Portrait de Dorian Gray où celui-ci, toujours jeune, voit vieillir à sa place le portrait du grenier. La peau d'Elisabeth qui rétrécie à coup de ponctions lombaires est un lointain écho de La peau de chagrin car Sue, en tentant de prolonger sa survie, voit réduire son véritable corps comme une peau de chagrin.

C'est parce que son corps est dévalorisé à ses yeux, incapable de ramener un mec pour dormir dans le bar, rentrant saoule et seule chez elle, qu'Elisabeth accepte la substance.  Incroyable solitude d'Elisabeth qui a tout fait pour réussir et se retrouve sans amis ou centre d'intérêt; destin tragique des stars sur le déclin tel que déjà vu depuis Sunset boulevard.

Jean-Luc Lacuve, le 3 décembre 2024

Source : "The substance", La SF à bras le gore, La Science, CQFD du jeudi 14 novembre