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Barbie

2023

Avec : Margot Robbie (Barbie), Ryan Gosling (Ken Plage), America Ferrera (Gloria), Ariana Greenblatt (Sasha), Kate McKinnon (Barbie Bizarre), Simu Liu (Ken), Kingsley Ben-Adir (Ken), Issa Rae (Barbie Présidente), Michael Cera (Allan), Will Ferrell (PDG de Mattel), Connor Swindells (Aaron Dinkins), Helen Mirren (Narratrice). 1h55.

Barbie stéréotypée (Barbie) et une large panoplie de Barbie résident toutes à Barbieland, une société matriarcale où toutes les poupées sont sûres d'elles, autosuffisantes et persuadées d'avoir rendu les filles humaines heureuses. Alors que leurs homologues Ken passent leurs journées à se livrer à des activités balnéaires, les Barbie occupent tous les postes importants, elles sont médecins, avocates, écrivaine, sirène et même présidente. Ken Plage (Ken), le petit ami de Barbie, n'est heureux qu'avec elle et cherche une relation plus étroite, mais Barbie le repousse, privilégiant son indépendance et des amitiés féminines.

Au cours d'une soirée dansante, Barbie est soudainement prise de pensées morbides. Le lendemain, elle constate qu'elle n'est plus apte à sa routine habituelle et découvre que ses pieds sont plats et qu'elle a de la cellulite. Barbie bizarre, une paria sage et défigurée, lui affirme que pour guérir elle doit voyager dans le vrai monde et trouver l'enfant dont elle est le jouet. En route vers le monde réel, Barbie trouve Ken allongé sur la banquette arrière de sa Chevrolet rose. Elle ne peut qu'accepter à contrecœur qu'il l'accompagne dans son périple.

Arrivés à Venice Beach, Barbie et Ken provoquent l'étonnement le plus total et sont arrêtés par la police, ce qui alarme le patron de Mattel, qui ordonne leur arrestation. Barbie retrouve alors sa propriétaire, une pré-adolescente, appelée Sacha, qui lui reproche d'encourager et de favoriser des normes de beauté irréalistes. Désemparée, Barbie est capturée par le patron de Mattel, mais s'enfuit quand elle comprend qu'il ne veut que l'enfermer pour toujours dans une boîte. Elle se retrouve face à une femme âgée énigmatique puis est sauvée par Gloria, la mère de Sacha, employée de Mattel. Barbie comprend que Gloria est le catalyseur de sa crise existentielle. Gloria a commencé à jouer avec la Barbie de Sacha lorsque celle-ci s'est opposée à sa mère donnant lieu à une véritable crise d'identité, transférant par inadvertance ses préoccupations à Barbie. Gloria et Sacha sauvent Barbie du patron de Mattel et toutes trois voyagent vers Barbieland.

Pendant ce temps, Ken découvre le système patriarcal et se sent enfin important et accepté. De retour à Barbieland, il persuade les autres Ken de prendre le pouvoir. Les Barbie sont alors asservies et deviennent des femmes de chambre, des femmes au foyer ou encore des « potiches ». Les Barbie sont subjuguées après avoir subi un lavage de cerveau. Lorsqu'elle rentre du monde réel, Barbie essaie de convaincre Ken et les Barbie de revenir à la raison et de réinstaller l'ancien système. Face à leur refus, Barbie déprime mais Gloria lui redonne confiance par un discours féministe. Avec l'aide de Sacha, Gloria, Barbie bizarre et Allan, les Barbie se libèrent des Ken. Elles les manipulent pour qu'ils se battent entre eux, ce qui permet aux Barbie de reprendre le pouvoir et de modifier la nouvelle Constitution qui promouvait la supériorité masculine.

Barbie et Ken s'excusent mutuellement et reconnaissent leur échec respectif. Ken déplore qu'il n'ait pas d'identité ou de but sans Barbie. Celle-ci l'encourage à trouver une identité autonome. Barbie, elle, reste incertaine de son propre but et de son identité. C'est alors que l'esprit de la co-fondatrice de Mattel, Ruth Handler, arrive et explique que l'histoire de Barbie n'a pas de fin définie et que son histoire en constante évolution dépasse celle de ses racines. Barbie décide de devenir humaine en ayant conscience que cette décision implique d'aller au final à une mort certaine.

Barbie revient ainsi dans le monde réel. Quelque temps plus tard, Gloria, son mari et Sacha emmènent Barbie, qui s'appelle désormais Barbara Handler, en l'hommage à la fille de Ruth Handler dont le prénom inspira le nom Barbie, à son premier rendez-vous gynécologique.

Le projet de film est ancien et remonte à une initiative de Mattel en 2009 afin de produire un film en prise de vues réelles centré sur la poupée Barbie, l'une des gammes les plus célèbres de la société américaine. Mais il faudra trois distributeurs successifs (Universal Pictures, Sony Pictures et Warner Bros.) et surtout deux femmes aux commandes, la productrice et actrice Margot Robbie et sa société LuckyChap Entertainment ainsi que la réalisatrice et scénariste Greta Gerwig pour que le film se fasse. Celle-ci s'appuie sur les écrits de Mary Pipher pour un discours féministe certes un peu daté mais bien documenté et produit une comédie musicale qui s'inscrit dans l'histoire du cinéma.

Une genèse mouvementée pour deux femmes aux commandes

Le projet initié par Universal Pictures en 2009 ne décolle jamais. En 2014, le studio Sony Pictures s'associe avec Mattel avec trois scénaristes qui auraient été sélectionnés pour un choix qui reviendrait au studio. C'est le scénario écrit par Hilary Winston qui est sélectionné par le studio et l'actrice Amy Schumer pour interpréter une Barbie renvoyée du monde des Barbies et qui se retrouve obligée de s'intégrer dans le monde réel dans le corps d'une femme imparfaite. En 2017, Anne Hathaway signe pour le rôle de Barbie et Alethea Jones est engagée pour réaliser un film qui ne se fait pas. Quand Mattel relance sa division films en 2018, Barbie est placé en priorité. En octobre 2018, Sony Pictures perd les droits et Warner Bros. récupère le projet en tant que distributeur. En janvier 2019, Mattel signe officiellement avec Margot Robbie et sa société de production, LuckyChap Entertainment qui engage Greta Gerwig pour réaliser le film mais également pour l'écrire avec Noah Baumbach. Le studio donne à Greta Gerwig et Noah Baumbach une liberté totale pour l'écriture du scénario du film, qu'ils écrivent pendant le confinement dû à la pandémie de Covid-19.

Un appel aux armes féministe dans le contexte des années 90

Le film est replacé dans le contexte de la fin des années 90 avec la grande photographe de Bill Clinton et où les conseils d'administrations pouvaient être encore exclusivement masculin. Gerwig revendique de s'être inspiré de Reviving Ophelia : Saving the Selves of Adolescent Girls, écrit par Mary Pipher en 1994. Ce livre examine les effets des pressions sociales sur les adolescentes américaines et utilise de nombreuses études de cas tirées de l'expérience de l'auteur en tant que thérapeute. Le livre est un "appel aux armes" qui met en évidence les niveaux accrus de sexisme et de violence qui affectent les jeunes femmes. Pipher affirme que si le mouvement féministe a aidé les femmes adultes à s'émanciper, les adolescentes ont été négligées et ont besoin d'un soutien intensif en raison de leur maturité non développée. Ainsi, pour Gerwin, donner la possibilité d'être autre chose que des mères n'a pas suffit. La panoplie des Barbies s'est étendue mais leur autonomie ne reste que potentielle, soumise à un retour possible du patriarcat. Il faut faire comprendre à tous mais aux femmes en premier les dangers du patriarcat pour qu’elles s’en libèrent, conscientes des effets de la pression sociale qu'elles subissent.

Ce discours féministe encore plein d'espoir a le défaut de ne pas s'attaquer à la situation telle qu'elle est aujourd'hui, vingt ans plus tard, où cet appel a été entendu mais est peut-être passé au second plan. Il en résulte néanmoins un appel aux adolescents (rôle de la jeune Sasha) à se réconcilier avec leur mère qui n'ont pas leur intransigeance mais qui se battent au quotidien pour affronter un patriarcat qui est loin de s’être éteint.

Une comédie musicale dans l'histoire du cinéma

Si le déplacement chronologique perd un peu en impact social, il gagne dans son jeu de massacre burlesque. Le rire provient aussi bien des excès de bêtise du patriarcat (Ken : "Quand j'ai compris que le patriarcat, ce n'était pas seulement les chevaux, j'ai été déçu") que des pastiches visuels. L'esthétique colorée et artificielle évoque Les chaussons rouges et ou Les demoiselles de Rochefort. Mais le film est aussi encadré par deux pastiches de 2001, L'odyssée de l'espace ; au tout début avec la musique du Ainsi parlait Zarathoustra de Richard Strauss aux temps préhistoriques où les petites filles jouaient aux poupons avant que le monolithe noir (Barbie) ne les fasse passer à une aire nouvelle puis, les dépouilles (poupons) cassées et l'os (la poupée) lancé dans le ciel qui se transforme en vaisseau spatial (Barbie).

La célèbre ellipse créatrice est bien évidemment reprise...

...bien que d'une ampleur temporelle moindre !

On notera que la liberté offerte à Barbie de rejoindre le monde humain est plastiquement équivalant à la naissance d'un humain-nouveau, dans la chambre blanche au-delà de Jupiter, où Dave se transforme.

Barbie-Dorothy existant, il n'est guère étonnant de trouver une référence au Magicien d'Oz, explicite avec une affiche du film dans Barbiland et, esthétiquement, avec la montée de Barbie vers la maison de Barbie Bizarre.

On ne manquera pas non plus de relever la référence à Matrix et son choix par la pilule rouge ou bleu (chaussure à talon ou sandalette) entre la douce l’illusion ou la dure réalité.

Abandonner les Barbies, revenir au monde réel avec l'expérience des sens (les images des humains en analogique, frémissantes car usées par le temps) et de la sexualité, alors que les Barbies ignorent tout de la sensation de l'eau ou du thé et n'ont pas d'attributs sexuels, est un message plus moderne que celui des Ailes du désir où un ange revient sur terre pour un amour assez abstrait.

Jean-Luc Lacuve, le 6 août 2023.

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