Victoria Page, une jeune danseuse et Julian Craster, un compositeur, sont engagés en même temps dans la troupe du célèbre Lermontov qui à Ivan pour maître de ballet et Grischa comme répétiteur.
Julian se voit confier la musique du ballet inspiré d'un conte d'Andersen, "Les Chaussons Rouges". Mais la danseuse étoile de la troupe, la grande Irina, Boronskaïa, quitte soudain Lermontov pour se marier. C'est la chance de Vicki Page promue première ballerine et qui danse le ballet écrit par Julian. Le ballet obtient un triomphe à Monte-Carlo où il est présenté pour la première fois.
Mais Vicki, amoureuse de Julian, délaisse la danse, quitte à son tour la troupe et épouse le jeune compositeur. Lermontov, par jalousie, tente de lui faire reprendre le chemin des planches. Il y réussit temporairement. Mais après une entrevue orageuse avec Julian, Vicki dans un ultime sursaut d'amour comprend que sa place est auprès de lui. Elle court à la suite de son mari qui a décidé de la quitter. Dans sa précipitation, elle bascule par-dessus un parapet et tombe sous un train.
Film conçu en pleine gloire par Pressburger et Powell, Les chaussons rouges déçoit tellement son distributeur qu'il en stoppe l'exploitation en Angleterre. Les chaussons rouges deviendra pourtant culte grâce à la passion d'un exploitant américain et à Martin Scorsese.
Une genèse sans concession
Apres le succès du Narcisse noir et d'Une question de vie ou de mort aux USA, Rank est impatient que Les Archers produisent un nouveau film. Emeric Pressburger tient à reprendre un scénario qu'il écrivit pour London Film en 1936 ou 1937. Avant-guerre, Alexander Korda lui demanda une histoire sur une ballerine pour Merle Oberon. G. B. Stern lui suggéra sans doute le conte d'Andersen comme sujet. Le film ne s'étant pas fait avant-guerre, Powell et Pressburger réussissent à racheter le scénario sans éveiller la méfiance de Korda... pour 18 000 livres tout de même. C'est un scénario romanesque avec des extraits de ballets connus mais pas de séquence de ballet proprement dite. Powell exige donc de son partenaire producteur et de Rank, le distributeur, deux conditions pour faire le film : une danseuse devra jouer le rôle sans recourir à une doublure et il filmera un véritable ballet au lieu de simplement en parler.
Pour le rôle principal, un ami lui parle d'une danseuse, Moira Shearer, qui jouait dans un ballet dirigé par Robert Helpmann, ami de Powell, dans la troupe de Mlle de Valois au Sadler's Wells ballet. Powell est immédiatement séduit par Moira, par sa chevelure rousse et lui offre le rôle. Helpmann lui fait remarquer que Mlle de Valois préférerait qu'il engage sa danseuse étoile, Margot Fonteyn. Mais Powell ne la trouve pas assez charismatique et se refuse à engager une actrice avec la danseuse étoile comme doublure. Moira hésite car elle a obtenu la vedette pour La belle au bois dormant et, en s'opposant au choix de Mlle de Valois, elle compromet ses chances de supplanter Margot Fonteyn. Néanmoins, elle accepte, son cachet passant de 1 000 à 5 000 livres pour douze semaines de tournage.
Allan Gray, collaborateur habituel, ne réussit pas à donner une musique convaincante et c'est Brian Easdale qui la compose à trois mois du tournage, alors que le ballet de Helpmann est prêt. Les décors sont réalisés par Hein Heckroth, costumier sorti du Bauhaus. Powell tient bon : son ballet durera dix-sept minutes dans un décor pensé pour maximiser la symbolique. Sur la place, on trouve en effet tout à la fois l'église, la boutique et la maison de la jeune fille.
Après quatre mois de préparation, le filmage débute en juin 47 par quatre semaines d'extérieurs en France puis, brièvement, en Angleterre.
Une métaphore de la création
Le personnage de Boris Lermontov est inspiré de Diaghilev et de la troupe des ballets russes qui, avant la première guerre mondiale, révolutionna la danse par son goût de l'art total. Pour transposer cette atmosphère dans l'après seconde guerre mondiale, Powell et Emeric Pressburger engagent une vraie troupe de danseurs avec le très admiré Léonide Massine qui interprète le répétiteur de la troupe et le cordonnier magiciens fabriquant des chaussons rouges dans le ballet ainsi que Robert Helpmann, le maître de ballet et le danseur- journal du ballet et Moira Shearer pour le rôle de Vicky page.
La vie de cette troupe de ballet que l'on voit souvent répéter ou interpréter quelques classiques de la danse est conforme à ce que vivaient les troupes de danseurs durant les trois quarts du vingtième siècle. Lermontov-Diaghilev est l'artiste visionnaire qui a fait des stars : Nijinski, Balanchine ou Massine au prix d'un renoncement à toute vie privée. Le travail et les longues tournées ne peuvent permettre des relations d'amour, d'amitié ou de haine qu'au sein de la troupe. Monte-carlo était aussi le lieu privilégié de la villégiature d'hiver pour préparer et répéter les pièces qui partiront ensuite dans les différentes capitales du monde. Paris et Londres, avec ses halls à côté de Covent garden, que l'on retrouvera dans My fair lady, sont montrées alors que les autres capitales sont évoquées par des vignettes sur les valises.
Lermontov est inspiré de Diaghilev, l'artiste total, féroce mais fin psychologue, sachant lire une partition et discutant des décors. Il évoque aussi tous les créateurs démiurges, cinéaste ou autre, lorsqu'ils souffrent de toute imperfection dans la construction qu'ils ont imaginée, allant ici jusqu'à briser une vitre de son poing.
La mise en scène de Powell se porte à la hauteur du conte d'Andersen, vision romantique de l'artiste où l'on meurt pour sa passion. L'atmosphère diabolique des ambitions des artistes, constante durant le film, culmine avec les dix-sept minutes époustouflantes du ballet des Chaussons rouges. Si Vicky page ne meurt pas à la fin du ballet, c'est pour mieux enfiler à nouveau les chaussons rouges dans la scène finale de son suicide.
C'est alors moins la magie qui la conduit à la mort que les conditions matérielles et psychologiques de la danseuse. Si le film est un excellent document sur la vie d'une troupe de danse, il est aussi une réflexion amère sur le métier de danseuse, soumise aux humiliations des chorégraphes et dépendant entièrement de leurs décisions. Malgré son travail, Victoria sait qu'elle ne pourra réussir sans Lermontov. Julian se montre tout aussi cruel en la condamnant à renoncer à la gloire pour lui.
Le décor du ballet est dû au directeur artistique, Hein Heckroth qui constitua un story-board à partir de ses peintures et parvint à obtenir du chef opérateur les lumières et les couleurs de celles-ci. La musique est signée Brian Easdale. En 1949 Heckroth obtient l'oscar du meilleur décorateur et Easdale obtient l'oscar de la meilleure musique alors que Pressburger et Reginald Mills sont nominés pour le scénario et le montage.
Le film aurait pourtant bien pu ne jamais sortir en salle. Rank Organisation qui en avait la charge en Angleterre stoppa en effet rapidement la distribution du film, trouvant que ce qu'il croyait être un film de ballet pour jeunes filles ne plairait pas. Le distributeur permit néanmoins à un exploitant new-yorkais en voyage de montrer le film dans sa salle des USA. Le film acquis alors une renommée sans cesse croissante et obtint ainsi ses deux oscars et l'admiration de Spielberg, Scorsese ou Coppola. Celui-ci s'inspire en effet du ballet du film dans Tetro.
Jean-Luc Lacuve le 25/05/2010
Source :
Michel Powell, Une vie dans le cinéma, Institut lumière/ Actes sud. Autobiographie traduite par Jean-Pierre Coursodon, préface de Bertrand Tavernier, 1986 et 1997 pour la traduction française, pages 700 à 766.