Carl Theodor Dreyer

1889-1968
14 films
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histoire du cinéma : abstraction lyrique

Sa mère, Joséphine Nilsson, est la gouvernante d'un gros propriétaire terrien du sud de la Suède qui la met enceinte. Le père ne voulant ni scandale ni mariage, elle part accoucher à Copenhague et y abandonne son fils. Elle mourra deux ans plus tard en tentant de se faire avorter.

L'enfant grandit sans affection dans la famille d'un ouvrier typographe, Carl Theodor Dreyer, socialisant et irréligieux, qui lui donne son nom et ses prénoms. Il reçoit un enseignement technique, étudie le piano. Il déteste ses parents adoptifs. A dix-sept ans, il apprend la vérité sur ses origines.

Tout juste adulte, il refuse le métier de comptable. Il exerce divers métiers entre 1906 et 1912, dont celui de journaliste, qu'il n'abandonnera pas, signant pour la presse des articles où il vante les mérites de Griffith et des cinéastes suédois (Victor Sjöström, Mauritz Stiller) pour mieux fustiger la médiocrité du cinéma danois. Entré en 1912 à la Nordisk Films Kompagni, il y gravit un à un les échelons : rédacteur d’intertitres, scénariste d’une quarantaine de films, monteur. Il commence sa carrière de réalisateur en 1918 avec Le Président (1920), mélodrame construit sur des flash-back avec des personnages proche d'archétypes

En 1926, Dreyer est déjà l’auteur de huit films. Plus tard, il n’attachera aucun prix à ses œuvres de jeunesse si ce n’est à Michael (1924), une comédie mettant en scène le milieu artiste berlinois des années 1900. Ses exigences esthétiques, son intransigeante rigueur, aussi bien que l'exiguïté cinématographique de son pays, feront de lui un cinéaste rare, nomade et plurinational : 14 films en 56 années d'activité, réalisés en 5 pays. Sa période muette fut de loin la plus féconde : un film, en moyenne par an ; au parlant, un film tous les dix ans.

C’est pourtant grâce au franc succès public de l’une de ces comédies, Le maître du logis (1925), que Dreyer est invité à venir travailler en France. La Société Générale de Films lui demande trois sujets. Dreyer propose : Jeanne d'Arc, Catherine de Medicis et Marie-Antoinette. Les producteurs tirent au sort (aux allumettes) et c'est Jeanne d'Arc qui gagne. Madeleine Renaud renonce effrayée par Dreyer qui exige que l'actrice ait la tête rasée, qui oblige à prononcer les paroles car les spectateurs lisent sur les lèvres.

La Société Générale de Films fait faillite et Dreyer se fait financer par le baron Nicolas de Gunzburg et produit lui-même Vampyr. Le tournage s'avère très difficile et la post-production est réalisée en Allemagne. Ramené à Paris, Dreyer est hospitalisé trois mois à la clinique... Jeanne d'Arc.

Tous ses projets français échouent comme le tournage en Afrique pour un producteur italien. Il retourne au Danemark en 1936 et reprend son métier de journaliste. Ce n’est qu’en 1943, en pleine guerre mondiale, que Dreyer retrouva les plateaux pour tourner Jour de colère, une adaptation de la pièce Ann Pedersdotter de Hans Wiers-Jennsen. Comme pour La passion de Jeanne d'Arc, il s’agit d’un film historique (l’action de Jour de Colère se situe au XVIIe siècle) dans lequel une jeune femme est confrontée à l’intolérance et au fanatisme. Le procès en sorcellerie qui ouvre le film est même une reprise évidente de celui de Jeanne. Mais le style et la pensée de l’auteur ont bien changé depuis 1928. Esthétiquement, le cinéaste ne cherche plus ses références du côté d’Eisenstein ou de Griffith, mais tente une fusion du théâtre et de la peinture et compose ses plans comme des tableaux vivants.

Malheureusement, Jour de colère n'est pas bien accueilli et Dreyer passa plusieurs années après la guerre à se consacrer à la réalisation de courts-métrages. Parmi ceux-ci, Ils attrapèrent le bac (1948) un projet "alimentaire" de 1948, se détache par son sens du rythme et du montage

En 1952, le cinéaste reçut de l’État la concession d’un cinéma, le Dagmar Teatret, qu’il administra jusqu’à la fin de sa vie. C’est là qu’a lieu, le 10 janvier 1955, la première mondiale de son nouveau film, Ordet plus de dix ans après Jour de colère et comme celui-ci adapté du théâtre. Le sujet d’Ordet rencontrait directement un de ses plus vieux projets, sur lequel il travaillait plus particulièrement depuis 1949 : celui de tourner une vie de Jésus.

Ordet envisage en effet la possibilité d’un nouvel avènement du Christ, en la personne de Johannes, un fils de paysan, qui tout au long du film s’exprime par paraboles énigmatiques. Ses parents, ses voisins, le prennent pour un simple d’esprit ou pour un fou, jusqu’à ce qu’il réalise à la fin le miracle de ramener à la vie sa belle-sœur, morte en couches. C’est, de tous ses films, celui où Dreyer pousse le plus loin la réflexion qui est au cœur de son œuvre depuis La Passion de Jeanne d'Arc, à savoir la possibilité de la sainteté dans un univers dominé par les tièdes, les fanatiques et les sceptiques. Ordet connut un certain succès et valut à Dreyer au Festival de Venise un Lion d’Or pour son œuvre.

Il n’en fut pas de même avec son dernier film, Gertrud (1964), qui reçut un accueil désastreux. Les critiques furent glaciales, reprochant au film de l’être. Le sujet de Gertrud n’est pourtant pas différent de celui de La Passion de Jeanne d'Arc, de Jour de colère ou d’Ordet, dont il offre la version sécularisée, et le style de Dreyer n’y est que l’aboutissement esthétique des recherches formelles élaborées à partir de Jour de colère. Adapté d’une pièce du dramaturge suèdois Hjalmar Söderberg, le film met en scène le beau personnage d’une femme, Gertrud, prise entre trois hommes : un poète, dont elle fut autrefois la maîtresse et qu’elle n’aime plus, un homme politique austère, qu’elle a épousé mais qu’elle n’a jamais aimé, et un jeune musicien, dont elle tombe amoureuse et qui devient son amant. Tournant résolument le dos au montage et au gros plan qui avaient fait sa gloire en 1928, Dreyer cerne, en de longs plans séquences le sujet qui est au cœur de toute son œuvre, à savoir la tension entre la Vie et l’Idéal (qu’on l’appelle Dieu, Art ou Amour).

Gertrud parut un film de studio terriblement compassé au moment où les cinéastes de la Nouvelle Vague mettaient leur caméra dans la rue. Paradoxalement ce sont les cahiers du cinéma qui défendent le film. Jean-Luc Godard écrit "Gertrud est égale, en folie et en beauté, aux dernières œuvres des Beethoven" et Michel Delahaye part jusque dans le Jutland où Dreyer est venu se reposer après l'accueil désastreux à Paris pour un entretien qui fera date dans Les Cahiers du cinéma n°170 de septembre 1965.

Dreyer meurt le 20 mars 1968, à Copenhague, sans avoir pu réaliser le projet sur la vie du Christ qui lui tenait à cœur depuis si longtemps et qu’il était sur le point de voir aboutir.

Bibliographie :

   
   
 

Filmographie :

Courts-métrages :

1942 : Aides aux mères
1946 : L'eau de notre pays
1947 : La lutte contre le cancer, vieilles églises danoises
1948 : Ils attrapèrent le bac
1949 : Thorvaldsen
1950 : le pont de Stortroem
1954 : Un chateau dans le chateau

Longs-métrages :

1920 Le Président
(Præsidenten). Film danois. Avec : Halvard Hoff. 1h40.

Un magistrat reconnait en une jeune fille accusée d'infanticide sa propre fille née d'une femme qu'il abandonna autrefois. Plutôt que de la juger, il préfère fuir avec elle, et la marier, avant de mourir dans la solitude.

   
1920 La quatrième alliance de dame Marguerite
(Prästänkan). Film suédois. Avec : Einar Röd (Söfren), Greta Almroth (Mari), Hildur Carlberg (Margarete Pedersdotter, papinleski), Olav Aukrust, Kurt Welin (pappiskokelaat), William Ivarson (tuomiorovasti), Lorentz Thyholt (suntio). 1h30.

Dans un petit village de Norvège au XVIIème, un jeune homme, pour devenir pasteur, épouse une veuve dont c'est le quatrième mariage. Avec son ancienne fiancée, il tente de supprimer la veille femme mais elle mourra de mort naturelle en leur pardonnant.

   
1921 Pages arrachées au livre de Satan
(Blade af Satans bog). Film danois. Avec : Helge Nissen (le représentant de satan) Halvard Hoff (Jésus) Hallander Hellemann (Don Gomez). 2h00.

Ange de Lumière, Satan est maudit par Dieu. Sur Terre, il prendra apparence humaine pour tenter les hommes. Jérusalem, en l'an 30. Irrités par les paroles de Jésus, grands prêtres et sages tiennent conseil dans la demeure de Caïphe. Satan prend la forme d'un Pharisien et va convaincre Caïphe de le faire arrêter...

   
1922 Il était une fois
(Der var engang). Film danois. Avec : Clara Pontoppidan (La princesse d'Illyria), Svend Methling (Le prince du Danemark), Peter Jerndorff (Le roi). 1h15.
   
1922 Les déshérités
(Die gezeichneten). Film allemand. Avec : Richard Boleslawski, Vladimir Gajdarov, Johannes Meyer, Polina Pickowska. 1h40.

Russie, 1905. Lasse de l'atmosphère antisémite de son village natal, la jeune Hanne Segal part à Saint-Pétersbourg rejoindre son frère Jacob qui, converti au christianisme, est devenu un riche avocat. Elle y retrouve aussi son ancien ami Sacha, entré dans un groupe révolutionnaire

   
1924 Michael
(Mikael). Film allemand. Avec Benjamin Christensen (Claude Zoret), Walker Slezak (Michael), Nora Gregor (La princesse Zamikov). 1h48.

Bafoué par son maître Claude Zoret qui le trouve sans talent, le jeune peintre Michael est autorisé à rester aux côté du vieil homme pour lui servir de modèle. Un jour la princesse Zamikov demande à Zoret de faire son portrait. le vieil artiste ne parvient pas à peindre les yeux de l'aristocrate. Michale prend le pinceau et fait du tableau un chef d'oeuvre...

   
1925 Le maître du logis
(Du skal ære din hustru). Film danois. Avec : Johannes Meyer (Viktor Frandsen) Astrid Holm (Ida Frandsen).1h47

A Copenhague, Ida Frandy, mère de trois enfants, est tyranisée par un mari égoïste et autoritaire. Malade, Ida part se reposer à la campagne, et c'est Mads, la vieille nourrice de Viktor, qui s'installe en maîtresse dans l'appartement.

   
1926 La fiancée de Glomdal
(Glomdalsbruden). Film norvégien. Avec : Einar Sissener (Tore Braaten), Tove Tellback (Berit Glomgaarden), Stub Wiberg (Ola Glomgaarden), Harald Stormoen (Jakob Braaten). 1h55.
   
1928 La passion de Jeanne d'Arc
Film français. Avec : Renée falconetti (Jeanne), Eugène Sylvain (L'éveque Cauchon) Maurice Schutz (Nicolas Loyseleur).1 h 37.

Accusée de sorcellerie, Jeanne de Domrémy comparait devant ses juges à Rouen le 14 février 1431. Il a lieu d'abord dans l'enceinte du tribunal ; les juges interrogent Jeanne sur son identité, sa vocation, ses visions de saint Michel. Questionnée sur ses habits d'homme, Jeanne dit qu'elle les quittera lorsqu'elle aura rempli sa mission.

   
1932 Vampyr ou l'étrange aventure de David Gray
Film français. Avec Julan West (David Grey). 1h23.

David Gray rentre à son auberge où un veil homme lui confie un paquet à n'ouvrir qu'en cas de décès. La vie déjà somnambulique de Gray bascule alors...

   
1943 Jour de colère
(Vredens dag, Dies Irae, Day of Wrath, Day of Anger). Film danois. Avec : Thorkild Roose (Absalon), Lisbeth Movin (Anne). 1h32

Au début du XVIIème, Marte, une sorcière est condamnée au bûcher. Elle menace l'un des juges Absalon, de se venger sur sa jeune épouse, Anne...

   
1945 Deux êtres
(Två människor). Film suédois. Avec: Georg Rydeberg (Arne Lundell), Wanda Rothgardt (Marianne Lundell), Gabriel Alw (le professeur Sander), Stig Olin (Svenning). 1h18.

Un jeune savant apprend que sa femmea tué son confrère dont elle était la maitresse et qui la faisait chanter. Ils se suicident ensemble.

   
1955 Ordet
Film danois. Avec : Henrik Malberg (Morten Borgen), Emil Hass Christiansen (Mikkel) Birgitte Federspiel (Inger) Preben Lerdoff Rye (Johannes). 2h03.

Dans le Jutland occidental, vers 1930. Le vieux Morten Borgen dirige la grande ferme de Borgensgaard. Son fils aîné Mikkel a épousé Inger, dont il a deux petites filles. Son second, Johannes, ancien étudiant en théologie, s'identifie à Jésus-Christ...

   
1964 Gertrud
Film danois. Avec : Nina Pens Rode (Gertrud), Bendt Rothe (Gustav), Ebbe Rode (Gabriel), Baard Owe (Erland), Axel Strobye (Axel). 1h59.

La cantatrice Gertud quitte son mari Gustav, sur le point d'être ministre, et s'offre à son jeune amant Erland, lui aussi préoccupé par sa carrière. A son ancien amant Gabriel Lidman, poète que fête l'Université, elle explique qu'elle l'a quitté autrefois parce qu'il jugeait l'amour et le travail incompatibles...