Cinéphile, lartiste sest nourri des films de lâge dor hollywoodien des années 1930 et 1940. "Quand je narrivais pas à peindre, disait-il, jallais au cinéma pendant une semaine ou plus". Les deux tableaux qui rendent le mieux compte de son plaisir à fréquenter les cinéma sont The Sheridan theatre (1937) et New York Movie (1939)
Hopper n'a cependant jamais revendiqué la moindre influence particulière du cinéma sur sa peinture. Peut-être Hopper a-t-il utilisé les techniques de la mise en scène et du cadrage des films noirs expressionnistes des années 30 pour concevoir ses toiles. Le jeu des ombres et des contrastes, la construction dune image fortement géométrisée en seraient les paramètres les plus évidents. Mais, au jeu des correspondances, c'est toujours le peintre qui est en avance sur le cinéma.
A/ Hopper et le film noir expressionniste
Les tableaux de Hopper ne contiennent pas vraiment de narration. Les tableaux vidés de leurs personnages ou n'en laissant subsister qu'un, deux ou trois sont plutôt l'esquisse, la possibilité, du drame ; un avant ou un après qui sont une invite de notre imaginaire à inventer une narration.
Ombres nocturnes (Night shadows, 1921) évoque un décor urbain à la Raymond Chandler, à la Dashiell Hammett, proche, par exemple du Scarface de Howard Hawks (1932).
Pour Nighthawks (1942), Hopper affirmait sêtre inspiré dune nouvelle de Hemingway, Les Tueurs, dans laquelle deux tueurs à gages disent vouloir assassiner un ancien boxeur. Lorsque Robert Siodmak portera la nouvelle à lécran en 1946 en le gonflant de onze flashes-back, il s'inspirera probablement du tableau de Hopper pour la séquence d'ouverture et peut-être de Gaz (1940) pour la séquence dans la station-service.
Alfred Hitchcock reconstituera une maison proche de La maison près de la voie ferrée (1925) en studio pour Psychose (1960).
Il est aussi possible que Nuit au bureau (1940) inspire quelques décors de Marnie (1964). En revanche la saisie fugitive de Fenêtres la nuit (1928) n'a vraisemblablement rien à voir avec les cadres fixes de Fenêtre sur cour.
B/ Hopper et les cinéastes du cadre mobile et raréfié
L'œuvre de Hopper propose en effet un constant va et vient entre l'extérieur et l'intérieur, entre un espace sans limites et sa rétractation sur l'individu isolé dans un monde clos. C'est cette dernière caractéristique à laquelle sont attentifs les cinéastes expressionnistes du film noir. Leurs cadres serrés tirent parti des effets condensés dans le cadre pictural. D'autres cinéastes, ceux du cache mobile promené sur le réel vont être davantage sensibles aux possibilités de fuite, voire de nostalgie que contiennent les tableaux de Hopper.
Ce seront les cinéastes du cadre raréfié, des temps morts où l'action est hors champ ainsi Michelangelo Antonioni ou Wim Wenders qui dans La fin de la violence, recrée la scène de Nighthawks dans un sens bien différent de celui de Siodmak
C / Hopper et le cinéma métaphysique
Edward Hopper décrit des personnages immobiles assis ou debout attendant ou ne semblant pas voir la lumière. On serait là assez proche de David Lynch dans son esthétique de l'immobilisme, de la tension immobile, avant le déchaînement des éclats de violence. Lynch disait d'ailleurs que, avec Pollock et Francis Bacon, Edward Hopper était son peintre préféré, qu'il pouvait passer des heures devant une toile afin d'en capter les mystères et les secrets. Ils partagent surtout le même fond d'images, celle de la "Small town america" que l'on voit au début de Blue Velvet, dans Twin Peaks ou Une histoire vraie.
Hopper et Lynch ont tous deux une dimension théâtrale. Ils ne peignent pas tant l'Amérique que ses lieux communs, ses dimensions carnavalesque et symbolique. Ils ont conscience du pouvoir des stéréotypes sur l'imaginaire du spectateur. Il s'agit d'un processus visant à sortir de l'aliénation pour rénover notre regard par ses clichés et non d'un réalisme mimétique. C'est une théâtralisation carnavalesque de l'ordinaire.
Diagonales et perspectives, opposition intérieur / désert, dedans / dehors et surtout la figure du voyeur (Blue velvet, Lost highway) avec ce que cela suppose de violation de l'intimité par le dehors sont des figures communes à Lynch et Hopper.
D / Un hommage d'une précision factice
Shirley, un voyage dans la peinture d'Edward Hopper (Gustav Deutsch, 2013) souhaite rendre hommage à la peinture d’Edward Hopper en fournissant à treize de ses tableaux un hors champ social et politique. Ainsi tous les tableaux, des années 1930 aux années 1960, sont-ils datés du 28 août, date du discours prononcé en 1963 par Martin Luther King.
Si le hors champ des tableaux, politique ou sonore, présente peu d'intérêt, les tableaux eux-mêmes ne sont guère explorés. La date de réalisation est réduite à l'année de sa réalisation et l'heure choisie est tout juste un peu plus plausible que le répétitif 28 août. Chaque séquence reprend, un instant, la pose d'un tableau de Hopper mais sans se confronter au modèle. C'est comme en catimini et sans aucune pédagogie que le tableau est approximativement reproduit, sans qu'un non-spécialiste puisse l'identifier. On est bien loin d'une vraie confrontation avec l'œuvre. Le format du film, 1.85, ne convient souvent que très approximativement au cadre des tableaux de Hopper. Ainsi des parties latérales, monochromes ou architectures (fenêtres, murs ou piliers) complète-t-ils sur la largeur, le cadre choisi par Hopper. Même chose côté lumière. "Dans les rêves, on ne voit jamais le soleil mais les couleurs sont toujours plus vives que dans la réalité" dit Shirley comme en guise d'excuse. Les tableaux sont en effet surexposés, bien loin même de l'état initial où Hopper les avait peints.
Shirley, un voyage dans la peinture d'Edward Hopper | Gustav Deutsch | 2013 | |
La nuit au musée 2 | Shawn Levy | U.S.A. | 2009 |
The end of violence | Wim Wenders | Allemagne | 1997 |
Les frissons de l'angoisse | Dario Argento | Italie | 1975 |
Psychose | Alfred Hitchcock | U.S.A. | 1960 |
Les tueurs | Robert Siodmak | U.S.A. | 1946 |