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Nos souvenirs

2015

(The sea of trees). Avec : Matthew McConaughey (Arthur Brennan), Ken Watanabe (Takumi), Naomi Watts (Joan Brennan), James Saito (Dr. Takahashi). 1h50.

Dans la forêt d’Aokigahara, au pied du Mont Fuji, Arthur Brennan est venu mettre fin à ses jours, comme beaucoup avant lui en ces lieux. S'étant enfoncé loin dans la forêt, alors qu’il a trouvé l’endroit qui lui semble idéal, il aperçoit soudain un homme blessé et perdu. Assailli par un sentiment d’humanité irrépressible, Arthur se porte à son secours. Il tente de lui faire retrouver le chemin du retour mais ils se retrouvent bientôt bloqués devant un mur de pierres.

(1) Arthur se souvent de sa vie difficile avec Joan, sa femme. Lors d'un repas avec des collègues d'université, elle s'était montré indifférente à son travail et agressive et en avait profité pour boire de retour à la maison.

Arthur et Takumi sont repartis sur un autre chemin. Il fait froid. Arthur a donné son imper à Takumi. Celui-ci lui reproche de ne rien comprendre à la culture orientale. L'effet des deux cachets de somnifères pris par Arthur lui fait perdre l'équilibre et il tombe lourdement dans un ravin.

(2) Arthur se souvient être rentré un soir et avoir trouvé Joan endormie. Elle gagne sa vie comme agent immobilier alors qu'il a quitté un poste bien rémunéré pour poursuivre ses recherches en physique en étant mal payé comme vacataire à l'université. Elle lui reproche d'être toujours dans ses recherches, d'être infidèle et de ne pas s'occuper d'elle.

Arthur et Takumi reprennent leur marche alors qu'il fait de plus en plus froid. Ils découvrent une fleur perdue sur un rocher, signe d'une âme partie vers l'au-delà. Ils trouvent un cours d'eau pour étancher leur soif et décident de le suivre, mais le ruisseau devient bientôt souterrain, ne leur laissant plus de piste. Ils déshabillent un pendu pour trouver d'autres vêtements.

(3) A la fin de leur dispute du sang était tombé d'une narine de Joan. Elle passe un scanner. Le chirurgien leur apprend qu'elle devra subir une opération dangereuse où elle risque de perdre la vie.

Il se met à pleuvoir, Takumi se refugie dans une grotte où Arthur le suit. La grotte est bientôt, envahie par l'eau et ils ne doivent leur salut qu'au fait de la violence du courant qui les expulse dehors, projetés avec des rochers. Ils atteignent une tente occupée par un suicidé dont il ne reste plus que le squelette. Arthur fait un feu de camp et explique son sentiment de culpabilité, il n'a pu lui dire qu'il l'aimait. Il est bien seul comme le fait remarquer Takumi en se trompant sur la traduction du conte Hansel et Gretel. Au matin, Arthur repart seul et donne l'alerte avec le portable trouvé à coté du squelette. Il voit l'escalier mais tombe à terre de nouveau.

(4) Il se souvient de n'avoir pas vidé la boite aux lettres et avoir reçu un paquet au nom de Joan.

Arthur se relève et retrouve le chemin de la sortie grâce aux fils mais s'écroule bientôt à nouveau.

(5) Il se souvient : Joan n'avait qu'une tumeur bénigne. Il l'avait suivi l'ambulance qui la conduisait dans une maison de convalescence. Soudain l'ambulance avait été percutée par un camion surgit de nulle part, tuant Joan sur le coup.

Arthur est pris en charge par les secouristes japonais.

(6) Il se souvient de la cérémonie de l'enterrement où, éploré, il se reprochait de ne savoir ni sa couleur ni sa saison préférée

Dans l'hôpital ou il est soigné, Arthur note soigneusement les noms japonais dont il se souvient sur son carnet. La psychologue lui affirme que les gardes n'ont trouvé en douze jours aucune trace de Takumi. Il n'a pas été enregistré sur les bandes vidéo.

Muni dune longue corde, Arthur retrouve le pli postal, le livre Hansel et Gretel. Comme la corde est trop courte, il sème des pages de son journal. Trouvant une orchidée sous l'imper, prés de la tente ,il en déduit que c'est l'esprit de sa femme qui était avec lui.

Apaisé, il revient aux USA. Lors d'une colle avec un étudiant, celui-ci lui fait remarquer que les prénoms de la femme et de la fille de Takumi, notés sur l'unique page rescapée de son carnet correspondent à une couleur de saison; le jaune et l'hiver. C'est décidemment l'esprit de Joan qui l'avait accompagné. Se sentant toujours accompagnée par elle, Arthur dispose des orchidées sur les berges de leur maison de vacances.

Présenté au festival de Cannes en mai 2015, sifflé par le public et sans presque aucun soutien dans la presse, le film change de titre pour sa sortie en salle en France en mai 2016 : La forêt des songes devient Nos souvenirs.

Depuis Gerry (2002), Elephant (palme d'or et prix de la mise en scène à Cannes en 2003), Last days (2005) et Paranoid Park (2007), la tétralogie qui a fait sa gloire, Gus van Sant a abandonné le cinéma expérimental pour retrouver une réalisation plus commerciale. Il avait déjà connu ce retour après l'échec critique et public de Even cowgirls get the blues (1993) pour Prête à tout (1995), le magnifique, Will Hunting (1997) et A la recherche de Forrester, (2000). Plus récemment, Restless (2011) revenait sur le thème de l'adolescence confronté aux thèmes de l'amour et de la mort où apparaissait déjà un fantôme japonais.

Nos souvenirs prolonge cette veine mélodramatique, cette fois appliquée au thème du couple. Incontestablement Gus van Sant appuie trop ses effets : musiques et flashes-back peuvent à juste raison être considérés comme bien trop explicites. La thématique du couple à bout de course se reconstituant dans le malheur avant d'être séparé par la mort est également assez banale. Le film est néanmoins aussi souvent bien plus subtil, travaillant ensemble au moins trois niveaux de mélodrame. Il y a d'abord le survival, type The revenant : Arthur va-t-il échapper à la mort et sortir vivant de la forêt ? Dans les flashes-back se joue le deuxième mélodrame : le couple parviendra-t-il à surmonter ses crises et la maladie de Joan ? Le troisième mélodrame, dont on comprend assez vite qu'il donne la clé des deux précédents, consiste à savoir si Takumi est bien un esprit et de quelle nature : est-il un fantôme quelconque, une projection d'Arthur ou sa femme elle-même ?

Des indices semés tous le long du chemin

Lors du second flash-back, Joan a laissé sur son ordinateur une affiche d'Un Américain à Paris. Dans le retour à la forêt qui suit, Takumi explique qu'un escalier peut conduire vers le paradis comme celui un film avec Gene Kelly et c'est cette indication," Kaiden" qui permettra à Arthur d'indiquer aux secours où il se trouve. Takumi dit que sa souffrance d'avoir été rétrogradé dans un placard et qu'il ne put ainsi faire vivre sa femme et sa fille. Or c'est bien ce retrait social que Joan reproche à Arthur. Le conte Hansel et Gretel est envoyé par delà la mort à Arthur par Joan. La traduction intentionnellement fautive de Takumi lui fait comprendre qu'il est seul mais accompagné désormais de sa Gretel. Les prénoms et noms de la femme et de la fille de Takumi sont traduits "jaun"e et "hiver" par l'étudiant américain, la couleur et la saison préférée de Joan. Ce message laissé à Arthur est d'autant plus beau qu'il a semé les autres pages du carnet comme des miettes de pain abandonnés au vent et qu'il ne lui reste plus que cette page lorsqu'il découvre l'orchidée sous l'imper. Cette fleur, la préférée de sa femme, l'accompagnera désormais symboliquement.

La boussole ne peut permettre à Arthur de retrouver son chemin.C'est donc bien l'esprit de Joan qui l'accompagne dans cette forêt, le temps qu'il retrouve le chemin de la rédemption.

Un survival mental

Les motifs habituels de la tétralogie de Gus van Sant se retrouvent ici : longue marche dans le désert comme dans Gerry, les couloirs comme dans Elephant ou la forêt en ouverture de Last days et le feu de camp libérateur comme dans deux de ces films. Le refus de la psychologie au profit de la saisie de la force de l'instant pouvait faire basculer le film sur une facette claire ou sombre, sur l'espoir ou la mort.Ici, tout ce qui se passe dans la forêt est déterminé par les réminiscences mentales des flashes-back.

C'est à la fois la limite du film mais aussi son intérêt. Les flashes-back ne se contentent pas d'expliquer la situation qui a amené Arthur dans la forêt. Ils déterminent ce qui s'y passe. Juste après la découverte du pendu, tombe la goutte de sang du nez de Joan. Si jusqu'ici l'esprit et Arthur se chamaillaient (querelle scientifique, touriste ou volonté de mort, philosophie occidentale ou orientale), c'est dorénavant la mort qui les accompagne. Arthur revit dans la forêt le calvaire de la maladie avec Joan. La grotte envahie par l'eau succède aux plans du scanner où est enfermée Joan. Arthur cherchant à secourir Takumi dans l'eau rappelle son implication envers sa femme à ce moment là. La proximité de la mort se traduit aussi par ce plan ahurissant du squelette dans la tente. Le plan sur le crâne étant comme un rappel de l'inquiétude d'Arthur après l'opération de Joan dont il ne connait alors pas la fin heureuse.

La rédemption par delà la mort est un thème classique du mélodrame. La tentative de Gus van Sant de lui donner une forme moderne échoue à procurer de l'émotion par la faute de dialogues trop lourds et sans intérêt dans les flashes-back. Presque tous les plans de la forêt sont néanmoins imprégnés de la difficulté à être du couple. Il ne s'en serait pas fallu de beaucoup pour un bien meilleur film.

Jean-Luc Lacuve le 11/05/2016 après le Ciné-club au Café des Images

 

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