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Dans la famille de Justine tout le monde est vétérinaire et végétarien. À 16 ans, elle est une adolescente surdouée sur le point d’intégrer l’école véto où sa sœur ainée et ses parents ont également été élèves. Mais, à peine installés, le bizutage commence pour les premières années. On force Justine à manger de la viande crue. C’est la première fois de sa vie. Les conséquences ne se font pas attendre. Justine découvre sa vraie nature.
"Lorsque j'étais critique, écrivait François Truffaut dans Les films de ma vie (1975), je pensais qu'un film, pour être réussi, doit exprimer simultanément une idée du monde et une idée du cinéma ; La règle du jeu ou Citizen Kane répondaient bien à cette définition. Aujourd'hui, je demande à un film que je regarde d'exprimer soit la joie de faire du cinéma, soit l'angoisse de faire du cinéma et je me désintéresse de tout ce qui est entre les deux, c'est-à-dire de tous les films qui ne vibrent pas".
Grave ne cesse de vibrer entre une assise documentaire sur les fantasmes à l'œuvre dans les écoles de vétérinaire et une joie de céder aux couleurs du film de genre, façon Suspiria de Dario Argento. Il se désintéresse de tout ce qu'il y a entre les deux, d'une intrigue policière vraisemblable ou même d'une recherche d'une scénarisation allant crescendo dans l'horreur. Le film ne cesse ainsi de surprendre; la dérive vers la sandwicherie du kebab et la rencontre avec le camionneur, transporteurs de cochons, la dévoration de blancs de poulets crus et du doigt de la soeur, le mélange de Justine en bleu et de l'élève en jaune qui compte bien profiter de la séance de bizutage qui doit les voir devenir vert, la bataille entre les deux sœurs qu'il est impossible de séparer longtemps tant est forte l'intention d'en découdre mais qui, au final, restent unies.
Si le sang versé sur la tête des étudiants renvoie au Carrie de Brian de Palma, Grave est dépourvu de bagage mystico-terrorisant. Si les élèves rampent, lentement et esthétiquement, dans les sous-sols de l'école, l'humiliation s'arrête assez vite pour enchainer sur une fête où tout le monde à l'air de vivre joyeusement les excès. Plus vivifiant que le film de De Palma, Ducournau se contente d'épingler quelques travers contemporains. Au petit matin, quand la phase d'initiation est levée par les trois sons de la sirène, face à ceux qui vivent leurs pulsions, restent ceux qui les filment et sortent, tels des zombis, morts-vivants n'ayant pas exploré toutes les pulsions tapies en nous.
Le goût de la chair, du sexe, de la merde retirée du cul d'une vache, de l'amour après la mort, évoqué en chanson ou dans l'irréaliste séquence de la morgue, rien ne semble plus arrêter la famille de Justine, des mutants qui doivent vivre avec leur nouvelle condition, la découvrir et l'assumer tels les héros modernes de J. G. Ballard dans Crash (David Cronenberg,1996).
En 1927, André Breton écrit Nadja, portrait dune jeune femme dont il a été amoureux et qui a sombré dans la folie. Louvrage sachève sur laffirmation désormais célèbre : "La beauté sera convulsive ou ne sera pas". Grave, oeuvre surréaliste à souhait, en donne une belle illustration contemporaine.
Jean-Luc Lacuve le 18/03/2017