Sur la banquette arrière d'une voiture roulant sur la rocade de Marseille, une petite fille imite le bruit du moteur. Cela irrite son père d'autant qu'elle vient d'enlever sa ceinture de sécurité. Il se retourne et c'est l'accident. Alexia, neuf ans, survit grâce à une prothèse incrustée au-dessus de l’oreille, contenant du titane, un métal froid résistant aux hautes températures.
Huit ans plus tard Alexia s'exhibe dans un salon de l’automobile fréquenté par des mâles mal dégrossis. Elle est célèbre dans ce milieu et n'a que faire de l'admiration de la jeune Justine et, pire encore, d'un admirateur qui la poursuit pour obtenir un autographe. Il se montre vite trop pressant et Alexia lui plante violemment sa longue et effilée épingle à cheveux dans l'oreille. Elle se débarrasse ensuite du corps et prend une douche. Elle est alors irrésistiblement appelée par la grosse Cadillac sur laquelle elle s'était exhibée et, attachée sur le siège arrière, semble faire violemment l'amour avec elle.
Alexia rejoint la belle villa de ses parents avec lesquelles elle n'échange pas un mot. La télévision annonce que le nouveau cadavre d’un homme s'est ajouté à la liste des meurtres inexpliqués dans la région puis enchaîne sur le triste anniversaire de la disparition d’Adrien Legrand, il y a dix ans, alors qu’il avait sept ans.
Alexia retrouve Justine sur le port la nuit et semble irrésistiblement attirée par les piercings métalliques de ses bouts de seins qu'elle tente cruellement de lui arracher. Elle s'en va vomir sur la plage. Justine se révolte mais l'invite néanmoins dans une grande maison pour y passer la nuit. Alexia découvre par un test de grossesse qu'elle est enceinte. Et soudain, alors qu'elle embrasse Justine sur le canapé, Alexia la tue avec son épingle à cheveux effilée. Alexia est surprise de voir descendre de l’escalier un autre invité qu'elle blesse avec le tisonnier puis tue en lui enfonçant le pied d’un tabouret dans la bouche. Une jeune femme, alertée par les cris va se cacher à l’étage et Alexia, éberluée, voit apparaitre d'une autre chambre un jeune homme noir balaize qui semble se réveiller ; elle le tue mais ne peut empêcher la jeune fille de la chambre de fuir.
En entrant chez elle, Alexia met le feu aux vêtements tachés de sang qu'elle a ramenés puis laisse le feu s’étendre au garage puis à la maison. Elle enferme ses parent à clé dans leur chambre afin de les laisser brûler vifs.
Recherchée par la police, Alexia s’enfuit et, remarquant le portrait vieilli d’Adrien Legrand, se métamorphose en garçon, remodèle son visage en se cassant le nez et bande ses seins.
Au commissariat de police, Vincent Legrand est appelé pour reconnaître son fils, mystérieusement réapparu. Adrien/Alexia ne dit pas un mot et Vincent la ramène chez lui au sein de la caserne de pompier. L’extrême gentillesse de "son père" n’empêche pas Alexia d'avoir envie de fuir et même de le tuer mais il la désarçonne en la faisant danser.
Vincent impose "son fils" dans l'équipe des pompiers, gentils garçons vivant dans l’admiration de leur commandant. Lorsque Rayane croit reconnaître Alexia sur le portrait diffusé sur internet, Vincent ne lui permet pas de s'expliquer et, lors d'une mission dangereuse, fait en sorte qu'il soit tué.
Alexia souffre la torture avec l'enfant mettalique et graisseux qu'elle porte en elle. Elle meurt en accouchant avec l'aide de Vincent qui prend l'enfant mutant dans ses bras en le rassurant : "Je suis là"
Le film sidère d'abord plus qu’il ne touche. Julia Ducournau se réapproprie en effet les codes du film de monstres du fantastique mêlés à ceux du giallo ou du slasher, qui avance davantage par variations plastiques que par l'évolution psychologique des personnages. "Love is a Dog from Hell", l’amour est un chien venu de l’enfer, est-il tatoué sur la poitrine d'Alexia. il est probable que ce soit "son père" qui en fera l'expérience dans ce film radical, inventant une nouvelle humanité de métal et de feu bien plus terrible que celle promise à la fin de 2001 l'odyssée de l'espace (1968) et rivalisant avec celle de Alien Covenant (2017).
Titane, sang, feu, huile et danse
Il y a d’abord le métal, celui de la voiture, moteur et carrosserie, lors du générique ; celui de la plaque de titane fixée dans la tête et de l'enfant ; celui de la carrosserie de la Cadillac. Il y a le sang des crimes et du nez fracassé. Il y a le feu de la décoration de la voiture du salon avec laquelle Alexia fera l'amour ; celui qui brûle les vêtements de Justine puis incendie la maison paternelle ; ceux avec lesquels luttent les pompiers. Il y a l'huile de vidange qui suinte du corps d'Alexia. Cinquième motif, aussi important que le fer, le sang, le feu et l’huile, la danse. La danse désarme Alexia quand Vincent met le disque dans la cuisine. La danse heureuse des pompiers après le sauvetage de la vieille femme et de son fils drogué (sur l’air de La Macarena) avant que Rayane ne découvre l'identité d'Alexia. La danse semble même faire oublier aux pompiers la disparition de l'un des leurs. Purs moments de joie et d'énergie, la danse devient pour eux gênante quand Adrien / Alexia leur offre sur le camion une danse trop féminine et sensuelle pour ce groupe des pompiers, ilot d'innocence et d’énergie, apôtres bienheureux de leur commandant.
Ces motifs structurent le film. Si on comprend la répulsion d’Alexia à être embrassée et le meurtre pour y mettre fin, rien ne vient justifier qu'elle tue Justine si ce n'est qu'elle est une mutante et que l'embryon semi-métallique qu'elle porte en elle la pousse au crime. Elle est l’élue parce qu'elle a déjà tué. Mais cela ne suffit pas. Le mutant de titane pourrait reprendre ce verset de l'Apocalypse 3:15 :« Ainsi, parce que tu es tiède, et que tu n'es ni froid ni bouillant, je te vomirai de ma bouche. » Si Dieu vomit les tièdes, le mutant aussi lorsque Justine ne va pas jusqu'au bout de l’arrachage des piercings. Enceinte, Alexia a envie de métal comme d'autres ont envie de fraises.
Love is a Dog from Hell
Au corps de plus en plus meurtri par sa maternité monstrueuse d'Alexia fait écho le corps de Vincent meurtri par la vieillesse. La caserne semble protégée du monde et pourtant le vieillissement menace Vincent qui n'arrive plus à faire l'exercice de la planche. Il tente en vain de grimper à la force des bras sur une planche située à 2,40 et ce malgré les piqûres d’amphétamine. Il veut survivre au traumatisme de la vieillesse comme il a voulu survivre à la disparition de son fils en conservant dans une chambre sanctuaire toutes les affaires d’Adrien. Avec Alexia, il croit de nouveau l’incarnation de sa paternité et la naissance de l'enfant mutant lui donne raison.
Julia Ducournau a vu Christine (John Carpenter,1983), Mulholland drive (David Lynch,2001) Crash (David Cronenberg, 1996) et même, 2001, L'odyssée de l'espace (Stanley Kubrick, 1968) pour le final avec naissance d'une nouvelle humanité. Mais la saga des Alien l'a certainement marquée aussi pour son déluge de transformations douloureuses qui ne présage rien de bon pour l'humanité. Les chiens de l'enfer sont lâchés. Qui saura les aimer ?
Jean-Luc Lacuve, le 15 juillet 2021