Ajami
2009

Ajami est un quartier de Jaffa où cohabitent Juifs, Musulmans et Chrétiens.

Le jeune Nasri, âgé de 13 ans crayonne une bande dessinée. Il se souvient. Il a vu soudainement son voisin du même âge être abattu par un gang en moto. C'est son grand frère Omar qui était visé. Leur oncle à Ramleh a en effet tiré sur un membre important d'un autre clan, le bédouin Abul Zen venu chercher l'argent de la protection. Le clan cherche à se venger et Nasri s'en va avec sa soeur pour Jérusalem. Il a confiance dans son grand frère, Omar, qui tente de trouver une solution pour réparer ce drame.

Chapitre un. Omar, avec son ami Shata, va voir Khamis dans le quartier de Dahmash à Lod pour chercher un revolver. Anan le conduit ensuite chez Abu Elias qui connaissait son père, Samih le menuisier, et qui promet de l'aider.

Deux jours plus tard Omar et sa mère viennent chez Abu Elias. C'est Hadir la fille de Abu Elias qui les reçoit. Celui-ci arrive et leur déclare qu'il a négocié avec un chef musulman, Haj Krayem qui accepte de les prendre sous sa protection. Il demande 2 000 dinars pour une trêve de trois jours. L'argent est la seule solution pour ne pas se venger en tuant toute la famille.

Nasri revient de son exil et, avec Omar, ils s'en vont dans un village bédouin du sud d'Israël. La négociation est la suivante : 3 000 dinars pour trois premiers jours puis 500 dinars x 37 jours, 100 chameaux, 100 000 dinars moins un tiers, moins un tiers plus 7000 pour Allah soit 47 000 dinars en tout, répartis en 42 000 pour les victimes et 5 000 pour Allah. Finalement la dette est ramenée à 38 000 puis, après embrassades à 35 000 dinars.

Après ces quinze jours de souffrances Nasri dessine donc sa bande dessinée. Il s'entraîne au tir avec Omar et Shata. A épuisement des quarante-cinq jours, la dette doublera pour atteindre 80 000 dinars et il n'est pas question de déménager comme l'espère sa mère. Pourtant après vingt jours il n'a récolté que 2 700 Shekel avec ses vols d'auto radio et son arnaque à l'essence. De plus Shata refuse qu'il devienne dealer. Nasri est inquiet.

Chapitre deux. Malek, 16 ans, quitte Naplouse en territoires palestiniens avec un mini bus de clandestins. Ceux ci franchissent à pied la frontière avec Israël, avant de reprendre le mini bus qui les conduit dans la banlieue sud de Tel Aviv à Jaffa, quartier d'Ajami. Malek retrouve Omar qui travaille comme livreur avec Anan dans le restaurant de Abu Elias. Plus tard Malek s'inquiète de ne pas voir Benj dont le frère a des ennuis avec la police. Mais Abu Elias lui a fait la surprise de fêter son anniversaire. Il peut voir sa mère dans un hôpital israélien en vidéo.

Plus tard, un soir, Malek ne peut faire admettre un clandestin palestinien chez Abu Elias. Celui-ci l'informe que sa mère est rentrée chez elle et qu'il faudra 75 000 dollars pour procurer à sa mère la greffe de moelle osseuse dont elle a besoin. Le gouvernement palestinien fournira 25 000 dollars et lui tentera de donner le restant.

Le soir Malek se rend chez Binj où est Omar et son ami Shata. A cinq heures, il s'est endormi et voit Benj manier de la cocaïne : 200 Grames 150 000 shekels qu'il cache dans une enceinte. En partant, il se cache car il entend parler hébreu, Il voit trois israéliens entrer chez lui.

A neuf heures, Anan réveille Malek qui lui présente le cadeau pour Abu Elias : une montre. Anan trouve qu'elle ressemble à celle de sa mère et conseille à Malek d'acheter un autre cadeau.

Anan le fait rentrer quand deux passants annoncent que Benj a été tué. Omar vient le lui dire. Malek lui révèle alors que ce sont trois juifs qui l'ont tué pour une affaire de drogue. Malek emmène Omar chez Benj. Ils récupèrent la drogue et Omar décide de la vendre.

Le jour du rendez- vous ce n'est pas de la drogue qui se trouve dans le paquet et Dando abat Malek.

Chapitre trois. Quartier d'Ajami à Jaffa. Une dispute entre deux voisins, juif et arabe, dégénère, l'Arabe poignarde le Juif. Dando arrive sur les lieux. Dans le quartier juif orthodoxe, Dando et sa mère collent des affiches. Dans un petit village juif à l'Est de Tel-Aviv, Dando va voir sa mère et parle de la disparition de son frère.

Dando patrouille quartier arabe. Il tente d'arrêter le dealer, Salam Abed. Chez sa soeur, il apprend qu'à Zêta, au sud de Naplouse, un soldat israélien a été enterré. C'est bien Yoni, le frère de Dando.

Chapitre quatre. Benj, dans le restaurant d'Abu Elias fait rire Omar et Malek. Il laisse celui-ci le laisse partir voir sa mère qui vient de revenir à l'hôpital

Dans la soirée, Benj est dans une boite à Tel-Aviv avec sa copine Shelly quand il apprend que son frère, Nizar, a poignardé le juif. Il se rend chez son père, ils sont arrêtes et libérés au matin. Sisse, le frère de l'ami de Nizar, emmène 200 grammes de cocaïne de sa part. Rabih reproche à Benj de partir pour Tel Aviv

Benj cache la drogue et dit à Malek de partir. Des policiers entrent chez Benj Hanna pour chercher des infos sur son frère. Ils s'en vont, appelés pour un de leur collègue, agressé. Il jette la drogue s'en garde un peu et fait des paquets facétieux qu'il sème un peu partout dont dans l'ancienne planque; il se fait un trip et meurt d'overdose.

Dans le garage, Dando tue à nouveau Malek et Omar s'enfuit. Nasri raconte sa bande dessinée et voit les jours heureux avec son père.

Dernier chapitre. Nasri dans la chambre d'Omar fouille son sac. Omar et Hadir se disputent à Tel-Aviv.

Shata et Omar découvrent qu'on a tué Benj. Abu Elias vient dans son restaurent et demande à Omar de raccompagner Hadir. Ils se réconcilient

Abu découvre que Hadir aime Omar. Elle nie. Le soir il lui dit que, chrétienne, elle ne peut épouser un arabe, pauvre qui plus est.

Avec Anan, Omar reçoit un appel d'un vendeur de drogue. Anan veut l'empêcher d'aller avec Malek. Malek est renvoyé par Aman puis accepte de participer au piège. Il prend la montre qu'il comptait offrir en cadeau.

Le soir de la vente de la drogue, Nasri tient à accompagner Omar. Lorsque Malek regarde sa montre, Dando découvre sur son écran de contrôle qu'il s'agit de celle de son frère et se précipite dans le garage. Alors qu'il va abattre Malek, c'est Nasri qui lui tire dans le dos. Nasri est ensuite abattu par un policier. Omar, qui n'a pas compris l'origine des coups de feu s'enfuit. Il arrive à la voiture et constate que Nasri n'y est pas. Celui-ci chantonne le décompte mortuaire qu'il avait prononcé lorsqu'il dessinait la mort de Benj et se souvenait de la mort de son père... laissant peu d'espoir quant à sa survie après le coup de feu.

Ajami décrit les relations israélo palestiniennes en temps de paix comme La Visite de la fanfare, Les citronniers ou Jaffa. Le scénario est extrêmement complexe car faisant débuter le récit des trois derniers chapitres au milieu de la narration classique relatée durant les deux premiers mais à partir d'évènements de plus en plus reculés dans le temps et selon des points de vues différents et, qui plus est divergents, sur la situation. Le but de cette structure est de ménager un fort encrage documentaire (chapitre un et deux avec notamment la négociation de la dette), de permettre une narration proche parfois du film de gangster qui pourrait faire penser au Parrain III (demande de protection, amours contrariés, piège, mort du personnage le plus innocent) et de délivrer un message sur la violence proche de celui de la métaphore de l'éléphant qui donne son titre aux films d'Alan Clark ou de Gus van Sant.

Un fort ancrage documentaire...

Scandar Copti et Yaron Shani ont réussi ce tour de force de faire jouer ce film très dialogué par des acteurs non professionnels ce qui permet non seulement un indéniable accent de vérité mais permet aussi un contrôle de l'interprétation, neutre et sobre qui évite el cabotinage d'acteurs si dommageable dans jaffa. La séquence de la négociation de la dette dans le village bédouin est aussi extrêmement vraisemblable que pittoresque et aussi chaleureuse que terrible puisque, finalement, à la base du drame qui va se nouer.

La tension directe entre arabes et juifs se mesure aux deux traversées des "frontières" des territoires occupés. De jour, cette traversée est presque bonhomme lorsque Malek part de Naplouse à Tel-Aviv (Jaffa ancienne prestigieuse ville arabe est rattachée à la grande ville juive depuis 1950). De nuit, elle est plus inquiétante quand Dando s'en va à Zêta, au sud de Naplouse, où il craint que l'on ait découvert le corps de son frère.

Est évoquée aussi la politique intensive de destruction des habitations arabes du centre ville historique de Lod où Omar s'en va chercher l'arme au chapitre un qui abattra Dando. Le travelling en voiture sur les grandes zones désolées de Lod avec le "génial" exprimé par Shata rend compte ironiquement de la politique de la municipalité qui tente de chasser les Arabes et d'effacer la trace de leur présence en combinant trois dispositifs : La loi dite "de l'absence" faite sur mesure pour exproprier les Arabes de leur habitation dès lors qu'ils ne peuvent justifier un an et demi de présence continue. La non-délivrance d'autorisation de travaux sur les habitations existantes (d'entretien de la toiture, de remplacement des fenêtres...) rendant ces travaux illégaux et punis par l'expulsion. La nature forcément illégale des constructions neuves dès lors que l'autorisation de construire n'est jamais donnée à un arabe.

De même le règlement de compte à l'origine du drame à lieu à Ramleh, l'autre grande banlieue de Tel-Aviv, avec Lod, où les Juifs tentent de chasser les Arabes.

...qui n'exclut pas des motifs romanesques et de grande fiction

Le remboursement de la dette, les petites arnaques, le rôle protecteur du parrain Abu Elias qui peut parfois faire penser à Marlon Brando dans Le parrain. L'histoire d'amour enter Omar et Hadir n'est pas très loin de celle vécue par Vincent Mancini, joué par Andy Garcia, et Mary Corleone, jouée par Sofia Coppola, dans le parrain III avec une fin somme toute assez proche. Les scènes de regards et des doigts effleurés dans la première scène du bar ou l'annonce par Omar d 'une demande en mariage lorsqu'il vient, en fait, s'enquérir de la négociation sont très réussies de même que toutes celles avec Hadir.

 

Une violence centripète qui n'épargnera personne.

La structure narrative d'Ajami se compose de cinq chapitres dont les quatre premiers, numérotés, commencent par l'apparition du personnage central du chapitre. Omar, arabe israélien qui doit faire face à une rançon exorbitante réclamée par un autre clan arabe. Malek, un jeune arabe des territoires occupés qui doit travailler illégalement en Israël pour financer l'opération que sa mère doit subir. Dando, un policier juif qui recherche désespérément son jeune frère disparu depuis qu'il a déserté l'armée. Binj, arabe israélien qui rêve d'un futur agréable avec sa petite amie juive. Le prologue et le dernier chapitre s'ouvrent sur la figure du jeune Nasri. Dans le prologue qui précède le générique, il crayonne uen bande dessinée et raconte sous forme de flash-back le règlement de compte qui a abouti à l'assassinat de son voisin. Dans le dernier chapitre, il sera l'instrument du destin qui explique la mystérieuse situation de la vente de la "drogue" dans le garage, épisode final de la diègèse racontée différemment à la fin des chapitres deux, quatre et cinq.

Ce bouclage du film par Nasri, auteur de la bande dessinée et parfois narrateur du film, le désigne comme un pendant des réalisateurs, ceux qui, à la périphérie du film ont construit ce puzzle et qui, pourtant, craignent d'y être englouti. La structure éclatée a comme premier objectif de montrer que personne ne détient les données de l'ensemble du problème. Il s'agit ainsi moins de designer des coupables que de dresser l'état des lieux de conflit extérieurs qui aboutissent à anéantir la cohabitation encore parfois harmonieuse entre Juifs, Musulmans et Chrétiens.

Premier vecteur du drame, la montre. Vraisemblable achetée par Malek pour pas cher avant son départ à des palestiniens qui avait tué Yoni, le frère de Dando. Celui-ci la reconnaît car c'est vraisemblablement celle de sa mère (Anan dira que sa mère en une semblable) offert à son fils avant son départ pour l'armée (il y a une dédicace sur la montre). Cette montre masquée dans le hors champ lors de la première séquence dans le garage vu du point de vu de Omar est ensuite montrée deux fois. Malek la montre à Anan, puis la sorti du papier cadeau avant l'échange. Elle est enfin visualisée sur l'écran de contrôle de Dando. La mise en scène sophistiquée de cet objet dit son importance symbolique comme cause de l'importation dans Jaffa de la violence de l'ensemble des conflits israélo palestiniens. Le trajet de la drogue est l'autre vecteur du drame, cause de la mort de Benj, l'heureux le facétieux qui avait décidé de se moquer ironiquement des policiers lors d'une fouille prochaine et dont tous les Arabes croient qu'il a été tué par les Israéliens.

On retrouve là la métaphore de l'éléphant. Dans cette histoire, dont une version apparait dans les canons boudhistes datant de l'an 2 avant Jésus Christ, plusieurs aveugles examinent différentes parties d'un éléphant - une oreille, une patte, la queue, le corps, une défense, etc. Chaque aveugle est convaincu qu'il comprend la vraie nature de l'éléphant grâce à la partie qu'il a touché : l'éléphant représente pour l'un un éventail, pour l'autre un arbre, ou encore une corde, un serpent, ou une lance. Mais aucun d'entre eux ne le voit dans sa globalité. Le thème de cette parabole semblait pour Gus van Sant, correspondre au contexte des fusillades dans les écoles quil décrit adns Elephant comme à la violence sectaire en Irlande du Nord mise en scène par le Elephant d'Alan Clarke.

Jean-Luc Lacuve le 11/04/2010 (Merci à tous les intervenants du ciné-club du mardi 6 avril ).

 

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Avec : Shahir Kabaha (Omar), Ibrahim Frege (Malek), Fouad Habash (Nasri), Youssef Sahwani (Abu Elias), Ranin Karim (Hadir), Eran Naim (Dando), Scandar Copti (Binj), Elias Saba (Shata), Hilal Kabob (Anan). 1h58.

 
Thème : conflits israélo-palestiniens