2008-Madrid. L'écrivain Mateo Blanco a décidé de vivre sous le nom de Harry Caine, pseudonyme ludique sous lequel il signe ses travaux littéraires, ses récits et scénarios. Harry Caine serait un aventurier alors que lui est aveugle après avoir, quatorze ans auparavant, eu un violent accident de voiture dans lequel est morte Lena, la femme de sa vie. Le temps où Mateo Blanco dirigeait des films n'existe plus, aujourd'hui Harry Caine est un scénariste de renom.
Harry Caine, aveugle très actif et scénariste de renom, écrit sous la protection bienveillante et assidue de sa fidèle directrice de production, Judit García, et du fils de celle-ci, Diego. Harry est aussi très attractif et met à profit la moindre occasion de séduire les femmes, notamment celles qui l'aident à traverser la rue. Ainsi en est-il de la belle jeune fille blonde aux yeux verts qu'il a fait monter chez lui sous prétexte de lui servir de lectrice. Juste avant de lui faire l'amour, il a cependant incidemment appris que le journal annonçait la mort de Ernesto Martel. En consultant une vidéo nécrologique sur internet, il se souvient malgré lui d'un passé oublié.
En 1992, Lena est l'assistante du puissant financier Ernesto Martel. Elle est bouleversée par le cancer de l'estomac de son père qui a été jeté sans soin de l'hôpital sous prétexte que, mourant, il n'entrait pas sur le planning d'un médecin qui s'apprêtait à partir en vacances. Pour le faire hospitaliser dans une clinique, Lena avait eut recours aux services d'une femme dirigeant un réseau de prostitution recrutant des actrices débutantes. Lena avait cependant refusé le client qui l'appela au téléphone ayant reconnu son patron Ernesto. Celui-ci, depuis longtemps amoureux de son assistante, avait fait enquêter sur sa vie et espérait ainsi pouvoir coucher avec elle. Il se montra très empressé auprès d'elle lorsqu'elle lui révéla être désespérée du manque de soins donnés à son père. Ernesto fit hospitaliser le père de Lena dans la meilleure clinique privée et... parvint ainsi à ses fins en faisant de Lena sa maîtresse.
2008. Mateo reçoit la visite de Ray X, un jeune homme qui se prétend réalisateur après avoir réalisé un seul documentaire quatorze ans auparavant. Mateo lui demande de passer par son assistante. Judit l'incite un peu plus tard à le recevoir étant donné la somme qu'il est prêt à dépenser. Elle lui envoie Diego pour l'aider durant l'entretien. Ray X annonce que son père vient de mourir et il demande à Mateo un scénario contant comment son père l'a humilié et empêché de faire ce qu'il voulait et l'a contraint à faire deux mariages malheureux avant de pourvoir vivre au grand jour son homosexualité mais en étant détesté de son fils comme lui-même détesta son père.
Mateo refuse et demande à Diego de sortir des photos de 1994 afin de voir s'il ne reconnaît pas Ray X. Et, effectivement, sur l'une d'elles, figure bien le jeune homme.
1994. Lena est la maitresse de Ernesto Martel. Celui-ci est séparé de sa femme qui ne sait comment contrer l'homosexualité de leur fils de 19 ans, Ernesto-fils. Lena incite son amant et protecteur à inviter son fils quelques jours.
2008. Judit, inquiète du retour du fils Ernesto Martel, hésite à partir en repérage à Barcelone et confit la protection de Mateo à son fils Diego. Celui-ci invente alors une histoire, Don du sang, qui ferait un excellent scénario dans la veine jeune et horrifique qu'attend le public et Judit. Mateo, séduit, lui propose de signer lui-même le scénario dont il se contentera d'être le coauteur. Diego en est très heureux mais dans la discothèque où il travaille est victime d'un mélange de drogue qui le conduit aux urgences. A son chevet, Mateo lui raconte pourquoi sa mère a peur d'Ernesto-fils
1994. Mateo écrit son premier scenario de comédie, Des filles et des valises.Il en tomba immédiatement amoureux lorsqu'elle vint demander à faire un bout d'essai. Celui-ci s'avéra un échec tant les deux jeunes gens étaient nerveux par leur désir réciproque. Ernesto prit mal ce désir d'indépendance de sa compagne d'autant plus que le lendemain Lena était convoqué pour un second essai, concluant celui-ci. Ernesto pour ne pas perdre celle qu'il aimait décida de produire le film. Mateo aurait préféré un financement classique mais Ernesto lui permettait de gagner trois mois et il accepta. Il accepta aussi que Ernesto fils réalise une sorte de making of en vidéo sur le tournage.
Le making of d'Ernesto fils était mauvais et la bande-son inaudible mais Ernesto père engagea une spécialiste du langage sourd-muet pour lire sur les lèvres de Mateo et Lena. Il ne tarda ainsi pas à découvrir leur passion mutuelle. Ceux-ci étaient devenus amants quelque temps plus tôt dans la loge de Lena.
Ernesto père, sentant Lena lui échapper, la contraignit à interrompre le tournage un week-end pour l'emmener dans une villa au bord de la mer. Lena dû faire l'amour de façon répétée et en vomit de dégoût. Elle espéra que Ernesto soit mort d'une crise cardiaque mais celui-ci ne fit que mimer cette mort. Devant le soulagement apparent de Lena, il conçût des soupçons redoublés d'infidélité.
Lena rencontre en effet Mateo quotidiennement chez lui sous prétexte de leçons de yoga. Ernesto fils filma ainsi l'une de ces rencontres. L'accusant de voyeurisme Lena déclara face caméra à Ernesto père qu'elle aimait follement Mateo et le quittait. C'est ce qu'elle lui dit lorsqu'elle rentra à l'improviste découvrant Ernesto père visionnant ce même passage.
Mais Ernesto père était décidé à garder Lena avec lui. En colère, il poussa malencontreusement Lena dans l'escalier. L'ayant emmené aux urgences, on constata que celle-ci avait une jambe cassée ce qui compromettait le tournage. Lena accepta de vivre sous le même toit qu'Ernesto s'il acceptait de financer les modifications du plan de tournage dû à son accident. Le tournage du film reprit jusqu'à ce qu'un matin Lena arrive le visage tuméfié sur le tournage. Elle s'était battue comme un chien avec Ernesto. Les deux amants décident alors de fuir tous les deux.
C'est un mois de bonheur sans égal qu'il vécurent à Fermata, prenant des photos ou pleurant devant Voyage en Italie. Ce bonheur pris fin lorsqu'ils découvrirent dans le journal l'annonce de la sortie de leur film : Des filles et des valises. La sortie du film une semaine plus tard et son échec public et critique incita Mateo à revenir sur Madrid. Car ses coups de téléphone à Judit et son monteur restaient sans réponse.
Le dernier soir avant cette séparation annoncée, alors qu'ils rentraient chez eux, ils furent victime de cet effroyable accident qui coûta la vie Lena et la vue à Mateo.
C'est Judit, accompagné de Diego qui vient chercher Mateo à l'hôpital de Fermeta. Mateo refusa de répondre à l'appel de son nom, se considérant comme mort. Il refusa aussi de revenir dans le bungalow où il avait vécu heureux avec Lena. Judit découvrit dans celui-ci des photographies et appris des loueurs que Mateo avait réservé sous le nom d'emprunt de Harry Caine. En l'appelant de ce nom sur la plage où elle l'avait laissé, elle comprit que désormais le passé de Mateo n'était plus. L'homme devant elle qui allait devenir scénariste s'appelait désormais Harry Caine.
2008. Judit est de retour de repérage et revient pour fêter l'anniversaire de celui qu'elle nomme Harry Caine. Elle est interloquée de voir son fils l'appeler Mateo et décide le soir même d'avouer à celui-ci et son fils ce qu'elle cachait depuis longtemps. L'échec du film, Des filles et des valises, était de son fait. Elle avait accepté la proposition de Ernesto père pour se venger de Lena et Mateo plus que pour soigner Diego de son aspergillose. Elle et le monteur l'avaient aidé à choisir les prises les plus mauvaises. Constitué de séquences où les acteurs étaient les plus ternes, le film avait ainsi perdu toute sa saveur humoristique. De plus lorsque Judit avait reçu le coup de fil de Matéo lui demandant des nouvelles sur son film, elle n'avait non seulement pas répondu mais avait donné l'information à Ernesto comme quoi le couple se cachait à Lanzarote. Ernesto avait envoyé son fils enquêter sur place. Il n'avait que filmer l'accident. Après cette série d'aveux, Judit voit avec désespoir Mateo la quitter sans un mot.
Le matin, Judit a retrouvé sa bonne humeur et avoue à son fils que non seulement elle eut une histoire d'amour autrefois avec Mateo, ce dont se doute Diego qui a remarque les croix bariolées dans les deux appartements, mais qu'il est le fils de Mateo.
Mateo retrouve le numéro de téléphone de Ray X et se rend chez lui pour le faire chanter à propos de la manipulation de son père. Judit lui téléphone d'urgence en lui disant que c'est inutile : elle a gardé sous clés tous les négatifs. S'il souhaite maintenant revenir sur le passé, il pourra monter le film pour en faire un succès.
Avant de laisser partir Mateo, Ray X lui confie la fin du documentaire qu'il tourna. Sur celui-ci, on voit nettement qu'après le départ du chauffard, Ernesto fils vint au secours de Mateo qui lui doit ainsi la vie. Mateo peut aussi revoir le dernier baiser qu'il échangea avec Lena et s'en approcher au plus prêt avec les mains. Diego reconstitue pour lui, tel un puzzle géant, les photos que récupéra Judit et qu'il avait déchirées.
La prise choisie par Mateo qui montre la séquence entre Lena et le personnage de Chon s'avère excellente et Mateo décide de remonter le film. Même en aveugle, il faut toujours terminer un film.
L'essentiel de l'intrigue raconte la tragique aventure amoureuse entre Mateo Blanco et Lena. Mais au travers de la figure du flash-back se dessine le vrai sujet du film : la capacité du cinéma à recoudre ce que la vie à brisé pour offrir un nouveau départ vidé de toute rancur et de tout remord.
Ressusciter le mélodrame
Voix off, travelling maniériste sur le long canapé mauve où une jeune femme de passage fait l'amour avec Mateo, puis amorce de flash-back sur l'épisode de 1992 où Lena perd son père; le spectateur est assez vite amené à comprendre que, sous la figure apparemment apaisée de Mateo, se cache un traumatisme qui lui sera progressivement révélé.
La moitié du film est occupé par des flash-back, celui de 1992 racontant comment Lena est devenu la maitresse d'Ernesto (8') puis celui racontant comment Mateo et Lena se sont aimé sur le tournage d'un film, leur fuite dans la station balnéaire de Fermata, l'accident tragique qui la conclu et la lente convalescence de Mateo, devenu Harry Caine en 1994 (50'). On ajoutera aussi la confession de Judit (4') qui raconte comment elle a laissé Ernesto choisir les plus mauvaises prises du film de Mateo (10 plans au présent dans la bar et deux plans du passé visualisé : la route et la caméra fixée) ainsi que, dans l'ordre du récit, le second flash back sur Lena et Ernesto (1') non pris en charge par Diego qui l'amorce en regardant la photo de Lena mais ne peut alors rien savoir de la relation entre elle et Ernesto. Ultime flash-back, composé d'une seule image, celui de la caméra fixée, lors de la visualisation par Mateo et Diego du film fait par Ray X lors de l'accident tragique de Fermata.
Ernesto Martel est rapidement désigné comme le méchant de l'histoire. Le plan qui clôt la séquence de l'hôpital et où la mère semble bénir du regard le couple formé par Ernesto et sa fille s'éloignant dans le couloir est assez révélateur du pouvoir de l'argent de tout acheter sous les apparences les plus nobles et les plus policées.
Pour étouffer sa haine envers le passé, Mateo a décidé de changer d'identité et de refuser toute filiation avec la passé pour se construite un personnage neuf. Son souhait de se réconcilier avec la passé se marque peut être par l'histoire qu'il aimerait adapter du fils trisomique d'Arthur Miller qui aime son père malgré le rejet de celui-ci et les vilenies qu'il a dû subir de sa part. A l'inverse, Ray X s'est enfermé dans la même attitude de vengeance que son père manifesta et est obsédé par l'idée de raconter le cauchemar qu'il a vécu.
C'est cette tension entre le passé de Mateo qui ne peut ressurgir car en garde partie occulté par le silence de Judit et le passé de Ray X qui ne peut prendre forme dans une uvre d'art que va résoudre progressivement le film dans la série des flash-back. Le film atteindra ainsi à une mise en ordre du visible à l'image de son générique, pour une fois très sobre.
Le cinéma recoud les plaies du passé
Ernesto n'a pas voulu tuer Lena et Mateo mais se venger en détruisant leur avenir cinématographique. C'est donc en redonnant tout son éclat au film Des filles et des valises que Mateo parviendra à sortir du cycle de la vengeance et à se réconcilier avec son passé.
Le cinéma comme sauvant le réalisateur des troubles de sa vie a pour figure majeure, Persona le film de Bergman auquel Almodovar fait une nouvelle fois référence après celle dans Tout sur ma mère. Les draps blancs de la séquence d'amour à laquelle se soumet Lena selon les exigences de Ernesto renvoient aux linceuls de Persona sous lesquels se dissimulent de faux morts. Ernesto joue au mort (d'habitude il ronfle quand il dort). Grâce au making of de Ernesto fils, Mateo peut aussi revoir le dernier baiser qu'il échangea avec Lena et s'en approcher au plus prêt avec les mains. Le cinéma sauve de la mort.
L'extrait de Voyage en Italie est uen autre illustration de la capacité de l'art à figuer l'eternité de l'amour au-delà de la mort. Dans Voyage en Italie de Roberto Rosselini, le couple de Pompeï mort dans les bras l'un de l'autre est une image qui ne fonctionne pas pour réconcilier le couple. Ingrid Bergman pleure mais ne se réconcilie pas avec son mari avant la miraculeuse scène finale. Ici le couple amoureux en est bouleversé, pressentant une fin possible pour eux qui s'avérera presque exacte puisque la mort aurait pu les surprendre enlacés. Dans le montage alterné entre l'écran de la télévision et le couple regardant le film, le geste de la tete d'ingid bergam est repris par Lena bouleversée.
La référence au père destructeur est le sujet principal du Voyeur de Michel Powell. C'est elle qui pousse à la pulsion scopique du fils. Ray X est traumatisé par son père comme le fut le fils du film de Michael Powell et ne peut trouve sa place qu'en filmant la vie des autres.
Mateo aveugle est naturellement surtout sensible à la justesse des voix. Il redemande ainsi à écouter celle de Jeanne Moreau dans Ascenseur pour l'échafaud. C'est par la voix de ses actrices qu'il juge également mauvais son film qui passe à la télévision. Il indique à Diego où trouver les films parmi les autres DVD, ceux de Fritz Lang, Jules Dassin, Nicholas Ray et cite Fanny et Alexandre, Huit et demi et Le secret magnifique. On remarque aussi les affiches de Gun crazy (Lewis) et de the big heat (Lang).
Cette référence à la grande forme du cinéma, Almodovar la présente lui aussi en remodelant Femmes au bord de la crise de nerfs en son film dans le film, Des filles et des valises. La scène que remonte, à l'oreille, Mateo Blanco entre Pénélope Cruz (Lena interprétant le personnage de Pepa) et Carmen Machi (Chon) est la réplique de celle entre Carmen Maura (Pepa) et Maria Barranco (Candela). Chon est ici victime de trafiquants de drogue et non de terroristes chiites comme candela mais les deux femmes ont pareillement apprécié l'activité sexuelle de leur amant qui leur a donné la chair de poule même s'ils se sont servis d'elles pour leur activité illicite. Des filles et des valises retrouve non seulement cette scène et les noms d'Ivan et Pepa mais aussi, les motifs de la femme folle d'Ivan, du gaspacho, du téléphone rouge et du lit brûlé et des objets balancés par le balcon. Almodovar va jusqu'à reprendre le format 1.85 dans son film au format Scope.
Penelope Cruz via Mateo-Almodovar retrouve la grâce d'Audrey Hepburn. Les poses photographiques rapprochement sa façon de prendre le thé de celles de My fair lady. La peinture est aussi très présente le Nu bleu de Biskra de Matisse, la femme au pistolet de Julio de Torres, All forms in nature d'Ernst Haeckel, La mela de Enzo Mari, Alba de Francesco Clemente, les pistolets de Andy Warhol.
Cette figure du hasard qui régit toute vie pour le meilleur ou le pire, Almodovar la représente avec le mobile d'acier éclairé dans la nuit qui change de direction sous les caprices du vent. L'uvre d'art donne une forme permanent à l'émotion;"Les films, il faut les terminer, même en aveugle"
Etreintes brisées est le film le plus cinéphile d'Almodovar, une sorte de manifeste de l'importance vitale du cinéma à passer au travers de tous les traumatismes, pour celui qui, dans son premier film sur le cinéma, La loi du désir, ne mit sciemment aucune référence cinéphilique.
Jean-Luc Lacuve le 26/05/2009