Esthétique du cinéma
Principaux cinéastes : Alain Resnais, Stanley Kubrick, Chris Marker, Claude Chabrol, André Téchiné , Benoit Jacquot , Nanni Moretti , Takeshi Kitano , Bertrand Bonello
peinture/cinéma : Abstraction géométrique - cinéma du cerveau : V. Kandinsky - S. Kubrick
L'abstraction géométrique chaude, celle initiée par Paul Klee ou Vassily Kandinsky tire son inspration du réel pour le transformer en une construction qui évoquera autre chose au spectateur. Dans Full metal jackett, le pacifiste qui avait réussit à échapper au conditionnementdes camps, finira par partir en chantant à l'assaut des viet-congs lorque tous ses amis auront été tués.

Il y avait un cinéma intellectuel (Eisenstein) avant le cinéma du cerveau (Resnais) comme il y avait des corps au cinéma avant le cinéma des corps.

Nous avons vu dans le chapitre précédent que ce qui change notre rapport au corps dans le cinéma moderne, c'est que le corps est filmé avant sa mise en action pour résoudre une situation, qu'il est filmé comme un corps qui résiste.

"Donnez-moi un cerveau" serait l'autre figure du cinéma moderne. C'est un cinéma intellectuel où le cinéma refuse toujours la dialectique action-réaction et fonctionne par similitude et contiguïté qui déterminent comment on passe d'une image à l'autre.

Chez Stanley Kubrick c'est le cerveau qui est mis en scène. Les attitudes du corps atteignent à un maximum de violence, mais elles dépendent du cerveau. C'est que, chez Kubrick, le monde lui-même est un cerveau. Il y a identité du cerveau et du monde, tels la grande table circulaire et lumineuse de Docteur Folamour, l'ordinateur géant de 2001 l'odyssée de l'espace, l'hôtel Overlook de Shining.

Chez Alain Resnais aussi c'est dans le temps qu'on s'enfonce. C'est une mémoire du monde explorant directement le temps, atteignant dans le passé ce qui se dérobe au souvenir. Combien le flash-back semble dérisoire à côté d'explorations du temps si puissantes, telle la marche silencieuse sur les tapis épais de l'hôtel qui met chaque fois l'image au passé dans L'année dernière à Marienbad.

Dans ses longs métrages, réalisation vidéos, télévisuelles ou numériques, Chris Marker s'est fait historien, sociologue, ethnologue et poète, manipulant les mots, les idées, les sons et les images, livrant au spectateur une réflexion personnelle, originale, et inspirée sur le monde contemporain, ses problèmes et son avenir.

Dans Sans soleil, les lettres de Sandor Krasna, un cameraman free-lance, sont lues et commentées par une femme inconnue. Parcourant le monde, il demeure cependant attiré par ces deux "pôles" extrêmes de la survie, le Japon et l'Afrique, plus particulièrement, la Guinée Bissau et les îles du Cap Vert. Le cameraman s'interroge sur cette représentation du monde dont il est en permanence l'artisan, et le rôle de cette mémoire qu'il contribue à forger.

L'un de ses amis japonais récupère les images de la représentation, les travaille, les torture par l'électronique et la vidéo.Sur cette situation, un cinéaste réalise un film, suite d'éléments divers : faits importants, d'autres mineurs, images recueillies ou empruntées, images fabriquées ou disloquées au synthétiseur, formant une mosaïque de mémoires juxtaposées qui s'ordonne en une mémoire active.

Les points d'orgue des films d'André Téchiné sont souvent des face-à-face entre deux personnages que tout semble opposer et qui, pourtant, s'attirent. Par leur dialogue, ces personnages cherchent à mettre à nu l'intimité profonde, la psychologie enfouie de l'autre qui est la source de cette séduction paradoxale. Ces ressorts cachés ont souvent trait à l'enfance et à la famille. La construction du film, qui met en scène de nombreux personnages (parents, frères, soeurs, enfants...) vient faire écho à cette préoccupation psychanalytique et donne au film une forte épaisseur romanesque.

Mais c'est surtout l'élection d'un plan qui est le moteur de la mise en scène de Téchiné. Il met mise à distance une situation générale pour en extirper un plan, un moment une situation génératrice d'émotion.

L'un de ces moments est par exemple dans Les témoins, celui où Adrien regarde Manu sur la péniche qui admire l'île de la cité. Il est séparé de lui par la barrière de sécurité que son âge et son poids ne lui ont pas permis de franchir avec l'agilité de Manu. La caméra saisie donc les deux hommes échelonnés dans la perspective du plan puis, après un gros plan sur le visage d'Adrien, saisit celui de Manu se détachant de l'arche du pont et des arbres rendus flous à l'arrière plan. Le visage de Manu est décontextualisé et prend valeur d'icône. Il y a tragédie entre le quotidien d'une relation qui pourrait être normale et la vision de cet amour impossible.

La métaphore du travail artistique par la mise en abîme d'une pratique artistique dans le film participe également de cette mise à distance. Ainsi, la répétition du concert dans Les innocents ou la séquence à L'opéra dans Les témoins. Dans ce film, la représentation des Noces de Figaro avec Barberine errant dans la nuit sous une lune énorme avec pour seul repère sa petite bougie est une métaphore évidente de la fragilité de la vie humaine pour ceux qui dans ces années là sont confrontés au virus du Sida.

Ce n'est pas la seule la proximité de Benoît Jacquot avec Jacques Lacan (Jacques Lacan psychanalyse I et II, 1974) ou d'autres grandes figures intellectuelles : Freud (Princesse Marie), Marguerite duras (La mort du jeune aviateur anglais / Ecrire,1993), Nathalie Sarraute (Pour un oui ou pour un non) qui en font un cinéaste mental.

Avec ses personnages repliés sur eux-mêmes, comme étrangers au monde, et auxquels le cinéaste refuse tout éclairage psychologique, les premiers films de Benoît Jacquot de L'assassin musicien (1975) aux Mendiants (1988) auraient suffit à justifier cette appellation.

Pourtant en 1990 avec La désenchantée, Benoît Jacquot change de registre. "Je fais des films pour être proche de ceux qui font les films : les acteurs. Parfois les jeunes metteurs en scène voudraient ériger les acteurs en signe de leur monde. Je ne cherche pas à montrer mon monde propre. Je cherche bien davantage à travailler le monde du film. C'est une connerie de dire que l'acteur rentre dans la peau de son personnage. Ce sont les personnages qui ont la peau de l'acteur".

Dans la troisième partie de A tout de suite, celle qui succède au départ de l'amant, Lili est pris en charge par un libanais puis suscite la concupiscence d'un quinquagénaire libidineux qui lui permet, en fait, de retrouver la logique de la fuite. Ensuite c'est le réveil du corps : sur la plage, dans un lit avec sa compagne de chambre ou dans une boite de nuit avec deux garçons. Puis l'acceptation de la vie comme elle est : triste pour qui ne connaît plus l'amour. Lili ne dessine plus. Reste alors le soleil, celui du club Med, pour repartir du vide.

Dans L'intouchable, Jeanne est contrainte à un détour mental de grande envergure pour retrouver l'identité qui soudain lui fait défaut. Sa quête passe par une longue rêverie auprès de ce qu'elle croit d'abord être sa proche famille : un rêve de richesse, de douceur et de compréhension. La réalité plus simple qu'elle découvre avec son vrai père n'a pas à s'opposer à ce premier rêve.

Source : L'image temps : chapitre 8 cinéma, corps et cerveau, pensée.

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