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Benedetta

2021

Avec : Virginie Efira (Benedetta Carlini), Daphne Patakia (Bartolomea), Charlotte Rampling (Félicita), Lambert Wilson (Le nonce de Florence), Olivier Rabourdin (le prévôt Alfonso Cecchi), Louise Chevillotte (Soeur Christina), Clotilde Courau (Midea Carlini), Hervé Pierre (Le père Paolo Ricordati), Jonathan Couzinié (Jésus). 2h06.

Vers 1600 en Toscane. Benedetta Carlini, fille unique d'un riche villageois de Vellano, préparée à une vie monastique dès sa naissance, est conduite à l'âge de 9 ans au monastère proche des Théatines de Pescia. Sur la route, son escorte est menacée par des mercenaires que sa foi naïve désarçonne. Ils se retirent quand un oiseau vient chier sur l'œil du soldat qui s'était emparé du collier de la mère de Benedetta.

Au monastère, la famille est accueillie par Félicita, la mère supérieure, qui fait vite comprendre au père qu’il ne parviendra pas à échapper à la dot attendue par des cadeaux de fruits et légumes et des mots mielleux. Pendant ce temps, la petite Benedetta comprend que sa vie va devenir nettement plus austère. Pour se réconforter elle va prier la Vierge ; la lourde statue se descelle et tombe sur elle mais l'épargne à la stupéfaction de toutes les sœurs accourues sur les lieux. Est-ce un miracle ?

18 ans plus tard, Benedetta joue Marie dans Le mystère de la mort et de l’assomption de la Vierge devant la communauté de religieuses et des parents invités. Alors que les poulies vont soulever le lit sur la scène, Benedetta a la vision de Jésus, berger, l'appelant à elle. Elle court vers lui et ses pieds s'agitent encore aux yeux de tous avant qu'elle ne reprenne conscience.

Avant que ses parents ne repartent, Bartolomea, une belle paysanne, que son père et ses frères utilisent de toutes les façons, vient demander protection. Devant les suppliques de Benedetta, son père offre la dot de Bartolomea.

Félicita s’interroge est-elle une folle envoyée par Dieu pour accomplir ses mystérieux dessein ? Au regard des prodiges qu’elle accomplit, Benedetta supplante bientôt l’abbesse – religieuse entièrement soumise à la hiérarchie politique de l’Eglise –, laquelle, aiguillonnée par sa sœur préférée, Christina la soupçonne depuis toujours de simulacre. Tandis que Benedetta multiplie les signes visibles de son élection christique et vit clandestinement avec son amante des moments d’exultation charnelle de haute intensité, une terrible épidémie de peste ravage la Toscane.

Le père Paolo Ricordati et le prévôt Alfonso Cecchi soutiennent Benedetta par intérêt alors que Félicita s’en va la dénoncer à Florence. Bientôt le nonce la condamne au bûcher. Mais la foule convaincue à juste titre que la peste vient de Florence se retourne contre lui et le lynche. Benedetta s’enfuit mais, après une dernière nuit d’amour avec Bartolomea, revient à Pescia au risque d’être brûlée vive. Le martyre lui sera refusé. Elle sera emprisonnée parmi ses sœurs jusqu’à ses 74 ans.

Le film prend pour base de départ l’ouvrage Sœur Benedetta, entre sainte et lesbienne (Gallimard, 1987) de l’historienne américaine Judith C. Brown, spécialiste de la Renaissance italienne et de l’histoire de la sexualité, qui mit au jour les minutes du procès en saphisme d’une nonne. Verhoeven se détache cependant de l'ouvrage universitaire en inventant la transformation de la petite statuette en godemichet, nécessaire à la condamnation au bûcher en ce début du XVII, déjà un peu moins violent en matière de sorcellerie. Benedetta fut en effet condamnée mais comme il est relaté à la fin du film seulement à être internée au couvent. Verhoeven dramatise ainsi le parcours de la nonne tout comme le fit Marco Bellocchio en 2015 dans la première partie de Sangue del mio sangue. Par ses séquences saphiques, de bûcher et de torture, on croit ainsi par instant retrouver Les diables (Ken Russel, 1971) ou La chair et le sang que Paul Verhoeven signa lui-même en 1985.

Une nonne puissante

Benedetta est toutefois assez éloigné du genre du giallo et de son sous-genre des films de la "nonnexploitation", tels Lettres d’amour d’une nonne portugaise (Jesus Franco, 1977) ou Le couvent de la bête sacrée (Norifumi Suzuki 1974) ou des films fantastiques faisant intervenir le diable tel L’exorciste (William Friedkin, 1973) même si la voix rauque du Christ sortant convulsivement de la bouche de Benedetta l'évoque immanquablement. Le film n'est pas non plus centré sur la dénonciation de l'obscurantisme de Mère Jeanne des anges (Jerzy Kawalerowicz, 1963), La religieuse (Jacques Rivette, 1966), Au-delà des collines (Cristian Mungiu, 2012). Il na pas non plus la sobriété de Thérèse (Alain Cavalier, 1986)

En effet, au lieu de subir la domination des hommes, de la folie ou de l'inquisition, Benedetta s'affirme comme maîtrisant les excès qu'elle provoque. C'est, terme à la mode, une femme puissante dont la foi mystique autant que l'intelligence se révèle dès l'enfance. De ce singulier attelage naît sa capacité à comprendre, mieux que son père encore, celle affutée et politique de Félicita ou ses propres pulsions érotiques. Loin de se laisser dominer par elles, elle apprend à jouir d'elle-même avec la statuette transformée en godemichet ou en regardant les seins de Bartolomea. Intelligence et sensualité ne lui font en effet pas oublier sa grande affaire : tenter d'accéder aux pouvoirs conféré, le croit-elle, à l'épouse du Christ, jouissance plus grande encore qui mérite tous les sacrifices, toutes les douleurs, fût-ce celui de l'amour de Bartolomea.

L'intelligence seule ne peut résister à la vague immense de la foi. C'est ce qu'apprennent à leur dépend Christina, Félicita et le nonce de Florence alors que le brave père Paolo Ricordati ou le Prévôt Alfonso Cecchi sont prêts à profiter de cet emballement de la raison, si bien contrôlé dans son exaltation par Benedetta : les pieds qui continuent de courir après le rêve du Christ berger, l'avancée vers le christ en croix, sous le ciel rouge de la comète, annonçant aux habitants de Pescia que le Christ lui a promis d'épargner la ville; sa mansuétude au moment de leur mort de Christina, Félicita ou du nonce.

Intelligence, foi en elle-même, grandeur d'âme, générosité, sensualité, humour : c'est bien davantage un portrait de femme que dresse Paul Verhoeven qu'une resucée du genre giallo, même s'il en tire parti dans les belles séquences oniriques et violentes ; les seules à échapper à Benedetta.

Jean-Luc Lacuve, le 11 juillet 2021.

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