Jean Renoir né à Paris le 15 septembre 1894, est le deuxième fils du peintre Auguste Renoir (1841-1919), auquel il consacrera en 1962 un livre de souvenirs. Son frère aîné Pierre (1885-1952) sera acteur de théâtre et de cinéma (il incarnera notamment, sous sa direction, Maigret dans La nuit du carrefour et Louis XVI dans La Marseillaise ; un troisième frère, Claude (1901-1969), s'orientera vers la production; il ne faut pas confondre ce dernier avec Claude Jr (né en 1913), fils de Pierre, qui fera carrière comme opérateur de prises de vues, souvent aux côtés de son oncle mais aussi d'autres réalisateurs tels que Clouzot, Astruc, Vadim.

Entre 1895 et 1910, Jean, d'abord avec sa nourrice Gabrielle Renard, puis seul, inspire au peintre une soixantaine de peintures, dessins et pastels.

 

Andrée Heuschling / Catherine Hessling

Il envisage un moment une carrière militaire (à l'école de cavalerie de Saumur) mais une grave blessure au cours d'un engagement en Alsace l'en détourne. Permissionnaire, il a la révélation des premiers films de Charlot et des Mystères de New York, qui précisent sa vocation. Celle-ci sera définitivement affirmée, alors même que son père, eût préféré le voir s'orienter vers la céramique

Renoir, durant sa permission, rencontre Andrée Heuschling, d'origine alsacienne, réfugiée à Nice pendant la guerre, dotée d'une beauté incomparable, "dernier cadeau de ma mère à mon père", fut, en fait, envoyée à Auguste Renoir en 1917 par Henri Matisse qui trouvait qu'elle "ressemblait à un Renoir". "Dédée" (surnom donné à l’académie de peinture) pose pour le maître (souvent nue), de 1917 jusqu’à la mort de Renoir, le 3 décembre 1919. Renoir la peint notamment dans La blonde à la rose, de dos dans Le concert ou offerte dans Les Baigneuses. Jean tombe amoureux de la jeune fille, qu’il épouse le 24 janvier 1920. Elle donne naissance à un fils, Alain, le 31 octobre 1921.

Jean Renoir dans l'atelier de son père

Andrée Heuschling adore le cinéma et particulièrement les films américains où s’illustrent, à l’époque, des stars comme Gloria Swanson, Mae Murray et Mary Pickford. « Dédée copiait leurs manières, s’habillait comme elles. Dans la rue, les passants l’arrêtaient pour lui demander s’ils l’avaient vue dans tel ou tel film, américain bien entendu. » De cette passion commune sont nés un pseudonyme à consonance anglaise, Catherine Hessling. Avec quelques amis, dont le futur producteur Pierre Braunberger, Renoir se lance dans le cinéma, en commençant par écrire un scénario pour sa jeune épouse Catherine Hessling que réalise Albert Dieudonné (Catherine ou Une vie sans Joie , 1924)

« Moi, je n’ai jamais voulu être vedette de cinéma, jamais; C’est Renoir qui disait : j’userai s’il le faut de mon droit marital pour te faire tourner ». Jean Renoir confirme ces dires dans ses mémoires en insistant sur le fait qu’il n’a mis les pieds dans ce métier que dans l’espoir de faire de sa femme une vedette. Jean Renoir lui impose un maquillage très prononcé et vif, peu commun pour l'époque : la bouche et les yeux, d’un noir pénétrant, se détachaient violemment sur le visage recouvert d’un fond de teint blanc. Catherine Hessling qui avait l’air d’un clown noir et blanc, joue des rôles de servantes niaises, en butte à la galanterie des hommes et à la médisance du sexe faible.

Loin d’être découragés par l’échec commercial de ce premier essai, Renoir et sa femme recommencent avec La fille de l'eau, mélodrame fluvial où Catherine, interprète une jeune fille martyrisée par un oncle marinier. Avec Nana, d’après l'œuvre d'Émile Zola, Renoir est son propre producteur. Pour lancer son film, Jean Renoir vend plusieurs toiles héritées de son père. Le grand public va découvrir Catherine Hessling, grâce aux affiches qui couvrent les murs de Paris; Dans les salles, en revanche, les spectateurs sont peu nombreux pour amortir l’énorme budget d’un film qui vaut toutefois à son auteur un début d’estime du milieu intellectuel, et à sa vedette Catherine Hessling d’être comparée à Asta Nielsen et à Greta Garbo.

Catherine Hessling tourne ensuite, en 1927, avec Alberto Cavalcanti, cinéaste et ami du couple La P'tite Lili, bref mélodrame qui illustre une chanson populaire. Catherine retrouve Renoir pour La petite marchande d'allumettes, un conte d’Andersen, et Tire-au-flanc (1928), où elle ne fait que deux apparitions. Sa carrière est, déjà, pratiquement terminée. Séparée de Jean Renoir en 1931, leur divorce n'est prononcé qu'en 1943. Toute cette période de 1924 à 1931 est dionysiaque, agressive, ludique et anarchisante.

 

Partie de campagne

Avec son sens de la nature et du plein air, ses scènes de canotage, une scène fameuse où Sylvia Bataille fait de la balançoire, Partie de campagne (1936) est certainement le film de Jean où il semble afficher ses liens avec la peinture de son père. Tourné à l'été 1936, le film réunit des familiers du cinéaste : le directeur de la photographie n'est autre que son neveu Claude, son propre fils Alain apparaît à plusieurs reprises dans le film, ainsi que Marguerite Houllé, sa compagne, qui en assure le montage. Jean adapte une nouvelle de Guy de Maupassant, Une partie de campagne (1881), contemporaine des canotiers et parties de campagnes peints par Pierre-Auguste. Jean, qui a fait l'acquisition d'une maison à Marlotte en 1922, installe sa caméra non loin, sur les bords du Loing. Son père a fréquenté les environs, l'ami Alfred Sisley y a travaillé de nombreuses années.

 
 
 
 
La yole, 1875
 
 
 
 
 

Tourné à Kolkata (Calcutta), en Inde, entre décembre 1949 et avril 1950, Le Fleuve est la première réalisation en couleurs de Jean Renoir.

Le scénario est une adaptation d'un roman de l'écrivaine Rumer Godden et met en scène la jeune Harriet, adolescente anglaise expatriée, et sa famille. Si Jean a décrit ce film comme "un morceau de la vie d'un groupe humain", les références autobiographiques abondent. Ainsi le marin John, comme Jean, a été blessé à la jambe au combat, et le thème de l'harmonie familiale n'est pas sans rappeler certaines peintures de d'Auguste. Le motif du fleuve, la balançoire, l'éveil du désir chez la jeune fille, ramènent aussi aux sujets abordés dans Partie de campagne.

Le fleuve, 1951

Enfin, la beauté des couleurs appelle également la comparaison avec certains tableaux tardifs de d'Auguste. Au Bengale, Jean trouve les accords de couleurs pures et simples qui selon lui conviennent au cinéma : "Les couleurs n'y sont pas vives tout en n'étant pas mélangées. Leur légèreté fait penser à Marie Laurencin, à Dufy, et j'ose l'ajouter, à Matisse".

Paradoxalement, c'est peut-être par la découverte de la culture indienne et la contemplation des eaux du Gange, que Jean se rapproche au plus près de son père et de sa philosophie de l'existence : "Il faut se laisser aller dans la vie comme un bouchon dans le courant d'un ruisseau", disait Pierre-Auguste. A la fois émerveillé par le spectacle de la nature et désenchanté de la condition humaine, Jean fait sienne sa pensée : "Il y a une force à laquelle j'aime à sacrifier dans mes films et à laquelle je crois beaucoup, c'est la fatalité. Je crois très sincèrement qu'on ne remonte pas le courant, que nous sommes pris dans une espère de rivière qui nous pousse, et que les hommes ne sont pas ou méchants ou bons ou traîtres ou pas traîtres, simplement ils sont les jouets d'une espèce de destinée".

Pour son retour en France après 15 ans d'exil aux Etats-Unis en Inde et en Italie, Renoir choisit un sujet typiquement Français : le French-cancan. French cancan (1955) puis Elena et les hommes (1956) se situent dans le Paris de la Belle Epoque. Pour Jean, cet heureux retour prend ainsi la forme d'une évocation nostalgique du Paris des impressionnistes et d'un hommage au Montmartre fin-de-siècle, qui le vit naître. La famille Renoir s'était en effet installée en 1889 au "château des Brouillards", rue Girardon. Montmartre, ses ruelles, ses habitants et ses "castes" qui se côtoient sans se mêler, selon les mots de Jean, apparaissent comme l'un des thèmes majeurs de French Cancan. Si Jean s'inspire de l'esprit des peintures de son père, et notamment du Bal du Moulin de la Galette (1876), pour les scènes de bal l'esthétique puise dans une culture visuelle plus large.

Des affiches de Jules Chéret apparaissent au générique et en arrière-plan de plusieurs scènes et la séquence finale d'inauguration du Moulin Rouge avec son frénétique cancan, point d'orgue du film, est un vibrant hommage à Henri de Toulouse-Lautrec. Il ne s'agit d'ailleurs pas de l'ancien cancan mais du French-cancan revu avec un nom américain pour les bourgeois parisiens. On sent souvent le goût du spectaculaire hollywoodien (ses couleurs, son allant, l'esprit de revue) et sa morale du spectacle. "Le spectacle avant l'amour" tel pourrait bien être le message du film. Nini renonce au prince, un bel arbre sans fruit, au mariage avec Paulo, qui l'aurait gardé enfermée dans sa boulangerie, et même à l'amour exclusif de Danglard (scène du champagne à l'hôtel).

Avec ses multiples figures d'artistes, ses stars montantes (Nini) ou déchues (Prunelle), celle de l'entrepreneur de spectacle, Danglard, et son joyeux esprit de troupe, French Cancan est surtout, selon Jean, "un hommage à notre métier, j'entends le métier du spectacle", et au caractère collectif de la création cinématographique. Cette définition de l'art comme un métier, qui valorise la maîtrise d'un savoir-faire, fait écho à celle de Pierre-Auguste qui préférait se définir comme un artisan, jugeant le terme d'artiste emphatique.

Jean Renoir renoue avec l'impressionnisme pour Le déjeuner sur l'herbe (1959) qui valorise pleinement le tournage en plein air. Redonnant vie à ses souvenirs, Jean tourne au domaine familiale des Collettes, à Cagnes, et réalise les trois quarts du film en extérieur. Dans une longue séquence, il multiplie les plans sur les oliviers centenaires aimés et peints par son père.

Nénette, vêtue de blanc et de rouge, brune et sensuelle, évoque Gabrielle et les couleurs des figures qui peuplent les paysages cagnois de Pierre-Auguste. La célébration de la nature et des mythes méditerranéens face au progrès scientifique et technique constitue aussi un point commun avec l'hédonisme des derniers tableaux de Renoir.

Le déjeuner sur l'herbe (Jean Renoir, 1959)