Paris, été 1891, Armand Roulin est chargé par son père, le maître de poste Joseph Roulin, de remettre en mains propres une lettre, qu'il n'a pas ouverte, au frère de Vincent van Gogh, Theo. En effet, la nouvelle du suicide du peintre vient de tomber. Armand, peu enchanté par l’amitié entre son père et l’artiste qu'il secourut pendant son séjour provençal, n’est pas franchement ravi par sa mission. Il se souvient de combien van Gog était maltraité jusque par les enfants du village. Joseph rappelle son enfance malheureuse, le traumatisme de devoir remplacé l'enfant idéalisé mort avant lui, son incapacité à devenir pasteur comme son père. Si van Gogh était revenu guéri après son séjour à Arles c'est la dispute avec Gauguin qui l'avait traumatisé.
À Paris, le frère de Van Gogh est introuvable. Le jeune homme apprend alors par Père Tanguy, le marchand de couleurs du peintre, que Theo, visiblement anéanti par la disparition de son frère aîné, ne lui a survécu que quelques mois. Comprenant qu’il a sans doute mal jugé Vincent, Armand se transformant en détective part pour Auvers-sur-Oise, où le peintre a passé ses derniers mois, pour essayer de comprendre son geste désespéré.
Armand souhaite remettre la lettre au docteur Gachet qui a soigné Vincent jusqu'à sa mort. Le comportement de Marguerite Gachet et de la gouvernante bigote, Louise Chevalier, lui fait suspecter quelque chose d'étrange. Le docteur étant absent pour quelques jours, Armand préfère attendre son retour pour remettre sa lettre et enquêter sur les lieux mêmes de la mort de Vincent, l'auberge des Reboux. C'est Adeline, leur fille qui l'accueille. Bientôt, Armand acquiert la certitude que le peintre ne s'est pas suicidé. Il aurait été tué, accidentellement ou intentionnellement, par les frères Secrétan, deux adolescents d'une grande famille parisienne qui lui cherchaient des ennuis depuis des semaines. En effet l'arme du "suicide" a disparu et la blessure de Van Gogh décrite par le médecin Mazery disqualifie la thèse d'un tir à bout portant que se serait administré Vincent.
Le docteur Gachet lui révèle pourtant qu'il s'agit bien d'un suicide dans lequel il a hélas une part de responsabilité. Artiste raté, le docteur Gachet s'était senti humilié par Vincent. Dans un moment de colère, lui aurait dit qu'il était une charge insupportable pour son frère, tout nouveau père d'un enfant. Armand lui remet la lettre de Vincent ce dont le remercie le docteur, promettant de la remettre à Jo, la belle sœur de Vincent, qui s'apprête à publier ses lettres.
De retour à Arles, Armand se saoule de nouveau. Joseph le console en lui disant sa satisfaction pour avoir accompli la mission qu'il lui avait confiée. D'ailleurs Jo lui a fait la copie de cette lettre. Vincent regrette de n'avoir pas su mieux vivre avec les hommes car comme un artiste, "On ne peut s’exprimer que par nos tableaux".
377 tableaux ont servi de décors incrusté au jeu des personnages puis les 1009 plans du film ont nécessité la composition de 62 450 tableaux peints à la main par 90 artistes professionnels à partir des rushes du tournage. Des techniques numériques ont ensuite permis de corriger les variations lumineuses et chromatiques d’une image à l’autre. Le tout donne un biopic vu par Armand Rolin et la peinture de Van Gogh.
Un film performance
Chacun des 1009 plans du film a nécessité la composition de 62 450 tableaux peints à la main par 90 artistes professionnels. Tous les personnages sont campés par des comédiens qui ont joué dans des décors sur fonds verts. Des tableaux de Van Gogh ou "à la manière de Van Gogh" y ont ensuite été incrustés par compositing, puis animés en infographie.
En amont du tournage, l’équipe de peintres-animateurs a consacré une année à réinventer l’œuvre picturale de Van Gogh sous une forme cinématographique. On retrouve ainsi dans le film 94 toiles du maître presque à l’identique et 31 autres reproduites en grande partie ou partiellement. Au total 377 tableaux ont été peints pendant la phase de préparation. Si la peinture immortalise un instant bien particulier sur la toile, le cinéma se définit par la fluidité d’un mouvement qui se déploie dans le temps. Par conséquent, les peintres-animateurs ont ensuite peint directement sur les rushes en s’appuyant sur le style défini au départ – traits de pinceau, couleurs, textures. Ils ont ainsi peint le premier plan sur une toile de 67 sur 49 cm, puis, pour les parties du plan censées être animées, peint de nouveau le même plan en respectant les codes stylistiques. Au bout du compte, ils se sont retrouvés avec un tableau du dernier plan, sachant que chaque plan peint différemment a été photographié avec un appareil photo numérique Canon D20 de résolution 6K. Au total, les 1009 plans du film se composent de 62 450 tableaux peints. La production considère que le tableau final du plan est le plus représentatif de celui-ci. Autrement dit on peut admirer 1009 «tableaux» constitués du dernier photogramme de chaque plan.
Les peintres-animateurs ont planché sur des "Stations de travail de peinture-animation (PAWS)", conçues par BreakThru Films, pendant les deux ans qu’aura duré le développement du projet. Ce dispositif, sorte de rotoscopie industrialisée, permet au peintre de fixer son attention sur la peinture et l’animation, sans se préoccuper de l’éclairage et des questions techniques, et assure une cohérence parmi l’ensemble des photos prises sur 85 PAWS, réparties dans 3 studios et 2 pays. Chaque seconde du film est composée de 12 photos haute résolution. Une fois que la totalité des photos ont été prises, il ne reste que quelques ajustements de luminosité à apporter – en fonction des variations de température des ampoules électriques se produisant pendant l’animation – et des corrections chromatiques à faire pour équilibrer les couleurs d’une prise de vue à l’autre. Le spectateur découvrira donc 62 450 photos haute-résolution d’authentiques peintures à l’huile. On vérifie d'ailleurs que 62 450/12 = 5204" = 1h27, soit génériques compris, les 1h35 du film).
Un biopic vu par Armand Rolin et la peinture de Van Gogh
Les films en rotoscopie (Waking Life, A scanner darkly, Téhéran Tabou...) transforment d’ordinaire des sujets filmés en sujets dessinés pour les plonger au seins de décors plus ou moins psychédéliques qui sont le principal angle d'approche du réalisateur. L'originalité de La Passion Van Gogh est de tenter exactement le contraire : non d'atteindre un univers imaginaire inventé mais de retrouver une manière de peindre ; passer de l’image photographique à l’image peinte. Le mouvement qui anime continuellement chacun des plan accentue la touche expressionniste du peintre et rend cohérent ce film performance qui peut servir d'introduction à l'œuvre comme ravir le connaisseur qui tentera d'y retrouver 94 toiles reproduites presque à l'identique et 31 partiellement. Les tableaux de Van Gogh sont de tailles et de formats divers, si bien que les peintres-animateurs ont dû trouver le moyen de les adapter au cadre imposé par le cinéma.
La crédibilité du film doit beaucoup au fait que les personnages ont tous été peints d'après un tableau célèbre, à commencer par Armand Roulin, beau jeune homme, fils du facteur arlésien qui secourut Van Gogh pendant son séjour provençal.
Des tableaux célèbres (Ponts sur la Seine à Asnières, L'église d’Auvers, Marguerite Gachet dans son jardin, Portrait du docteur Gachet, Champ de blé avec corbeaux...) viennent ensuite redonner de l'intensité à ce qui pourrait devenir un robinet de peinture tiède, réductrice d'une "manière à la Van Gogh" trop académique.
Le scénario s'appuie d'abord sur la vie de Van Gogh, résumée dans des flashes-back en noir et blanc d'animation classique, puis, lors du déplacement à Auvers en partie sur la thèse des Américains Steven Naifeh et Gregory White Smith. Dans un livre publié en 2011, Van Gogh, The Life, ils avancent que Van Gogh ne s'est pas suicidé. Le peintre aurait été tué, accidentellement ou intentionnellement, par les frères Secrétan, deux adolescents d'une grande famille parisienne qui lui cherchaient des ennuis depuis des semaines. Cette thèse repose sur trois éléments principaux : la disparition de l'arme du "suicide", la blessure de Van Gogh décrite par un médecin, et un dessin de l'artiste montrant l'un des frères Secrétan jouer au cowboy avec une arme. Cependant, en 2016, un pistolet rongé par la rouille a été mis au jour dans le champ où Van Gogh se serait donné la mort et exposé depuis à Amsterdam. D'ailleurs, Dorota Kobiela et Hugh Welchman en reviennent sagement à la thèse sociale du suicide, celle du Van Gogh de Pialat : la douleur d'être à charge pour son frère, tout nouveau père d'un enfant. Tout juste, les scénaristes continuent-ils de faire de Gachet "le méchant", l'artiste raté et le messager du drame pour une phrase malheureuse prononcée.
Sixième film majeur consacré à Van Gogh et sa peinture après Van Gogh (Alain Resnais, 1948), La vie passionnée de Vincent Van Gogh (Vincente Minnelli , 1956) Les corbeaux, 5e rêve de Rêves (Akira Kurosawa, 1990), Vincent et Théo (Robert Altman 1990) et Van Gogh (Maurice Pialat, 1991), La Passion van Gogh est néanmoins modeste. Elle prolonge le segment des Corbeaux de Kurosawa où Martin Scorsese jouait Van Gogh courant dans les paysages de ses tableaux.
Le film n'a pas d'ambition quant à la réflexion sur la peinture. La peinture est dans le cinéma au point d'y faire corps. C'est bien plus réussi que Shirley, un voyage dans la peinture d'Edward Hopper (Gustav Deutsch, 2013) où le cinéma se voulait plus ambitieux, prétendant explorer la peinture en la replaçant, au moins par le son, dans son contexte d'époque. En revanche, le film dont le poids industrieux se fait parfois sentir, n'atteint pas au charme, à l'humour et la poésie de l'artisanale Maesta, la passion du Christ (Andy Guérif, 2015).
Jean-Luc Lacuve, le 4 novembre 2017 après l'intervention de Jean-Christophe Perrier au Café des Images le 1er novembre 2017.