La vie passionnée de Vincent van Gogh


1948

Voir : Les tableaux de Vincent

(Lust For Life). Avec : Kirk Douglas (Vincent Van Gogh), Anthony Quinn (Paul Gauguin), James Donald (Theo Van Gogh), Pamela Brown (Christine). 2h02.

1878. Le jeune Hollandais Vincent Van Gogh arrive en Belgique dans la région minière du Borinage. Il apporte aux mineurs une instruction religieuse et une aide spirituelle. Mais son ardeur trop grande et son dévouement trop intense inquiètent ses supérieurs. Écœuré, il abandonne son sacerdoce.

Son frère Theo le persuade de rentrer en Hollande, pour mener une vie plus saine. Vincent découvre alors les arts et commence à peindre. Vincent est amoureux de sa cousine Kee que son ardeur écœure. Lors d'un voyage à Amsterdam les parents de Kee l'éconduisent définitivement. Il accepte alors l'affection de Christine Hoornik, Sien, une blanchisseuse, prostituée parfois et s'en va peindre à La Haye. Il accepte d'abord l'aide de son oncle Mauve, peintre reconnu, puis rompt avec lui. La petite fille de Christine naît, lui apportant d'abord le réconfort d'une famille mais Vincent dépense tout son maigre argent en peinture. Lorsqu'il doit retourner à Nuenen pour la mort de son père, Sien l'avertit qu'elle ne le retrouvera pas à son retour.

A Nuenen, il peint avec ferveur mais son attitude asociale, la peau de mouton dont il est vêtu, suscitent la désapprobation des villageois. Vincent comprend la position de sa sœur qui souffre pour leur mère. Il se rend à Paris où son frère le présente aux "nouveaux" peintres, les impressionnistes. Il s'initie à leurs théories et travaille beaucoup, mais n'arrive pas à vendre ses toiles.

Il se rend en Provence, où sa production est intense et son génie évident. Gauguin le rejoint, mais ils s'opposent bien vite. Après le départ de Gauguin, Van Gogh se coupe une oreille. Interné à l'asile de Saint-Rémy, sa santé se rétablit quelque peu. Mais il travaille trop et une nouvelle crise survient. A Paris, il retrouve son frère qui le fait soigner à Auvers par le docteur Gachet. Il travaille et peint fébrilement tandis que les crises se succèdent. Alors qu'il peint le " champ de blé aux corbeaux ", il se suicide.

Film biographique flamboyant, Lust for life s'articule en trois grandes parties : l'échec pastoral et sentimental en Hollande puis les années de formation à La Haye, Nuenen et Paris et enfin la révélation du midi avec le séjour de Gauguin à Arles et le suicide.

Nul tableau n'est montré dans la première partie. Van Gogh dessine seulement parfois. Lorsque Théo vient le chercher en Belgique, la narration est soutenue par les échanges épistolaires entre les deux frères. Les premiers tableaux qui apparaissent (excepté un étrange tableau de Sien dans les dunes) sont ceux de 1884-85 à Nuenen.

L'œuvre de Van Gogh ponctue alors le film. Les toiles sont saisies par la caméra, souvent en gros plan juste avant ou après la scène réelle qu'ils représentent. La peinture transmet son exaltation colorée au film et celui-ci en accentue le lyrisme en faisant, souvent avec l'aide de la musique, une victoire vers la maîtrise par l'artiste de son métier.

Minnelli pousse le souci de reconstitution en respectant scrupuleusement les silhouettes entourant Vincent. Anthony Quinn campe un Paul Gauguin inoubliable et les silhouettes de Pissaro, Emile Bernard, Signac, le père Tanguy, le facteur Roulin, le surveillant Trabuc ou le docteur Gachet sont très proches des peintures qu'en a fait Van Gogh sans qu'il soit nécessaire de les montrer. Il en de même de la célèbre maison jaune, des rues de Arles, des champs de blé d'Auvers-sur-Oise ou de La terrasse du café le soir d'Arles où se termine la discussion sur la peinture entre Gauguin et Van Gogh.

La réflexion sur la peinture

Le dialogue entre Van Gogh et Gauguin exprime fort bien la différence entre le tempérament expressionniste du premier et celui, symboliste, du second.

- S'il y a une chose dont j'ai horreur Vincent, c'est le désordre, moral ou matériel (...) J'ai tout sacrifié : l'exécution, l'effet, pour le style. Un style qui convient à mon inspiration : l'idée, sans tenir compte, au besoin, de la réalité concrète.

- Bon, mais qu'est-ce que vous peignez alors ?

- Ce qu'il y a dans ma tête. L'art est une abstraction. Ce n'est pas de l'imagerie. Le tableau, c'est une surface toute plane, couverte de lignes et de couleurs disposées dans un certain ordre.

- Vous oubliez l'agencement qu'il y a dans la nature.

- Je ne tiens aucun compte de la nature. Moi, je veux obtenir des harmonies ; des harmonies de couleurs pures, d'une composition délibérée et soigneusement calculée aussi émouvante que la musique est émouvante.

- Mais alors vous reniez les plus grands artistes de tous les temps : Rembrandt, Rubens, Delacroix, Millet..

- Millet !!! Le roi du calendrier avec ses tons sans éclats et son insipide sentimentalité.

- A comment osez vous dire ça ! Millet compte parmi les rares artistes qui ont vraiment su comprendre l'âme humaine et la dignité du travail

- Ce que je méprise, c'est la sentimentalité en peinture. Vincent, la peinture est réservée au peintre.

- Je n'ai pas peur du sentiment. Lorsque je peins le soleil, je veux vraiment que l'on éprouve les sentiments de mouvement, de vie, de lumière, de chaleur. Lorsque je peins un paysan au travail, je veux que l'on voie le soleil pénétrer en lui, comment il le pénètre.

- Vous croyez que c'est ce que vous faites en surchargeant vos pinceaux, en étalant la peinture ainsi que du mastic, en faisant se tordre les arbres comme des serpents et le soleil exploser sur toute la surface. Malgré votre discours sur le sentiment, moi ce que je vois quand je regarde vos toiles, c'est que vous les peignez trop vite

- Vous les regardez trop vite (...) Lorsque j'ai peint Le café la nuit, j'ai chercher à exprimer avec le rouge et le vert les terribles passions humaines. La salle est rouge sang et jaune sourd, un billard vert au milieu, quatre lampes jaune-citron à rayonnement orangé et vert dans une atmosphère de fournaise infernale de souffre pâle. J'ai essayé de montrer qu'un café est un lieu où l'on peut se ruiner, devenir fou, commettre des crimes.

Van Gogh foudroyé par la lumière

La vision Minnellienne de Van Gogh ne doit pas grand chose au roman qui sert de base au scénario. Dès le générique, l'orientation est donnée. En choisissant de cadrer le haut du Semeur au coucher du soleil puis de zoomer sur le soleil balafré par la branche de l'arbre, Minnelli met en scène la fêlure du peintre solaire qu'est Van Gogh.

En choisissant un tableau symboliste de la période du travail en commun avec Gauguin, il semble aussi annoncer l'événement le plus célèbre, l'oreille coupée et la tragédie de celui qui restera toujours un solitaire. La musique tonitruante de Miklos Rosha ponctuera ensuite chaque attaque nerveuse de Van Gogh qui survient toujours en plein soleil alors que l'artiste ne peut s'arrêter de peindre frénétiquement.

En empathie avec le destin de son personnage, on ne peut s'empêcher de penser que Minnelli préfère la stabilité de Cezanne dont Le vase bleu, tel le mistigri de son oeuvre, est ici présent pour la première fois avant de resurgir dans Thé et sympathie (1956) et Les quatre cavaliers de l'apocalypse (1961).

Jean-Luc Lacuve le 28/08/2010