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Useless

2007

Genre : Drame social
Thème : Ouvriers

(Wuyong). Avec : Ma Ke. 1h20.

Canton, des ouvriers s'activent sur des chaînes textiles. Dans des ateliers de couture, des ouvriers armés de gros ciseaux éliminent les bavures des tissus. Dans un autre atelier, ouvriers et ouvrières s'activent sur des machines à coudre. Dans un entrepôt, une jeune femme vérifie le nombre de robes produites.

Ma Ke, la styliste de l'usine, a d'abord créé une ligne de prêt-à-porter pour imposer une marque chinoise. Elle l'a fait pour calmer sa colère de savoir la Chine incapable d'intervenir sur le marché des textiles autrement que par sa main d'œuvre à bon marché. Imposer une marque chinoise était pour elle, une façon de rendre de la dignité à son pays.

Dans les ateliers textiles, c'est la pause de midi. Pour rejoindre la cantine, ouvriers et ouvrières passent au travers des barreaux d'une grille fermée. Sans doute s'agit-il d'un raccourci pris par certains pour éviter la pluie. Chacun récupère sa gamelle et la fait remplir par les cuisiniers.

Dans le dispensaire près de l'usine, les ouvriers se plaignent de petits bobos : toux, yeux irrités, fatigue. Le médecin les ausculte avec, pour tout instrument, un stéthoscope et une lampe. Il leur distribue quelques médicaments. Un jeune homme se repose sur une civière.

Dans les usines, le travail sur les machines à coudre a repris.

Ma Ke veut passer à l'étape supérieure et imposer une marque de haute couture. Ce sera Useless : de grands costumes lourds, imposants et raffinés qui rappellent les vêtements impériaux ancestraux. Le soin apporté à ces vêtements est inutile selon les normes capitalistes mais Ma Ke pense que celui qui portera le costume saura qui l'a fait et quel soin aura été pris. Un peu comme un enfant sait que sa mère à pris soin de repriser son vêtement.

Dans les quartiers chics de Canton ne sont toujours présentes que les marques occidentales : Vuitton, Dior et autres qui chouchoutent  leurs riches clientes désœuvrées.

Paris. Ma Ke est venue présenter sa collection Useless à la semaine de la mode automne/hiver 2007. Elle enfouit ses créations dans la terre pour que la nature et le temps y laissent leur empreinte. Une part de hasard interviendra aussi. Elle prend bien soin de choisir ses lumières. Dans les coulisses, les modèles discutent et rient des nouvelles contraintes que ces modèles particuliers leur imposent. La présentation est un succès : les nombreux spectateurs l'applaudissent.

Ma Ke est de retour en Chine. Dans son luxueux 4x4, elle parcourt la province du Shanxi jusqu'à la ville minière de Fenyang.

Un ouvrier sur le bas-côté voit passer Ma Ke. C'est lui que nous suivons dans les faubourgs de la ville. Il pénètre dans une petite échoppe de tailleur où des ouvrières viennent pour des travaux de raccommodage.

Jia Zhang-ke s'intéresse particulièrement à l'une d'elle dont le mari fut autrefois couturier et qui, faute d'un capital suffisant pour acheter des machines, est devenu mineur. Leur interview par Jia Zhang-ke est entrecoupée de vues sur des mineurs à l'extérieur de l'usine s'apprêtant à y rentrer ou se douchant après le travail.

L'ouvrier accepte cette impossibilité de faire le métier qu'il souhaitait. Il se réjouit d'avoir pu acheter une robe pour sa femme. La voir porter cette robe la lui rend la plus belle de toutes ; aussi belle que s'il l'avait fabriquée lui-même.

Useless est un documentaire sur les deux faces de l'industrie chinoise : l'une en phase avec la modernité et l'autre abandonnée à une extraction minière moribonde dans les régions reculées entre Pékin et le Sud. Mais c'est aussi un formidable éloge de tous les protagonistes où, comme dans Still life, les individus subissent l'évolution du monde, tout en continuant à porter en eux une liberté de choisir et d'être heureux.

La haute-couture : une fleur posée sur la terre de Chine

Dans la première partie à Canton, Jia Zhang-ke a éliminé toute voix off. Le travelling latéral qui ouvre le film pourrait rappeler celui de Paysages manufacturés (Jennifer Baichwal, 2006) filmé dans les provinces voisines du Sud de la Chine. Le propos de Jia Zhang-ke vise aussi à montrer un progrès inéluctable sans le dénoncer au-delà de l'exposé de cette aliénation qui consiste pour l'homme à accepter les mutations industrielles plus qu'à les choisir. Les nombreux travellings qui parcourent l'usine ne disent sans doute pas autre chose qu'il y a ici un progrès technique en marche qui embarque hommes et femmes.

Probablement aussi est-ce le sens de la chanson romantique qui vient ponctuer l'un d'eux et qui s'arrête sur la nuque d'une ouvrière au travail. La lumière magnifique dans laquelle elle baigne permet aussi de voir défiler le fil de sa machine dans la profondeur de champ. Difficile de voir là une dénonciation du travail en usine et ce d'autant plus que les normes de travail semblent acceptables avec des ouvriers habiles et concentrés au milieu de machines qu'ils maîtrisent.

Les propos de Ma Ke, la styliste, sont économiquement et artistiquement intéressants ; bien plus en tous les cas que le discours convenu du peintre dans Dong, le documentaire précédent de Jia Zhang-ke. S'il écorche quelqu'un dans son film, ce ne sera que ces riches clientes chinoises des boutiques de luxe filmées au ras des pieds, à la hauteur de leur discours creux de bourgeoises désœuvrées.

Les épisodes de la cantine et du dispensaire montrent un environnement attentif aux individus même si les standards de cantine et de soin semblent encore archaïques.

Xiao Jia rentre à la maison, le documentaire de Damien Ounouri consacré à Jia Zhang-ke, révélait que celui-ci s'avérait partisan de la modernité et qualifiait Shanghai de "fleur posée sur la terre de Chine". Il réservait son indignation à l'état d'abandon qui caractérisait sa province de Shanxi.

Fenyang ville natale de Jia Zhang-ke

Par un coup de force du scénario, on abandonne soudain Ma Ke, revenue, dit-elle, dans la province du Shanxi pour se ressourcer. Et c'est un vieil ouvrier que l'on suit alors jusqu'à une boutique de raccommodage de Fenyang.

Jia Zhang-ke s'intéresse particulièrement au couple dont le mari fut autrefois couturier et qui, faute d'un capital suffisant pour acheter des machines, est devenu mineur. L'interview est entrecoupée de vues sur des mineurs à l'extérieur de l'usine s'apprêtant à y rentrer ou se douchant après le travail.

Les dures conditions de vie de ce couple qui garde le sourire semblent alors s'étendre à toute la province. Elles sont bien plus dures qu'à Canton. La séquence de la douche des ouvriers aux corps sales et épuisés contraste avec l'animation des jeunes modèles dans les loges parisiennes de la première partie.

Toutefois, là encore, la critique sociale se fait discrète et prédomine le sentiment que le choix du costume à un sens. Le couturier contrarié se réjouit d'avoir pu acheter une robe pour sa femme. La voir porter cette robe la lui rend la plus belle de toutes ; aussi belle que s'il l'avait fabriquée lui-même.

Jia Zhang-ke réunit ainsi dans un diptyque deux régions de la Chine plus éloignées encore dans le temps que dans l'espace. Dans les deux cas cependant, il s'attache surtout à montrer la même force des sentiments esthétique et éthique et la persistance du courage. L'écart des conditions de vie semble aussi, par contre coup, prôner une évolution économique plus juste pour tous.

Jean-Luc Lacuve, le 15/02/2008

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