Editeur : Mk2, novembre 2007. Durée du film : 1h47. Durée du DVD2 : 2h50.

Suppléments sur DVD 2:

  • Dong (1h07, 2007) de Jia Zhang Ke. Le réalisateur suit son ami peintre Liu Xiaodong sur le plus grand barrage du monde, les Trois Gorges, où celui-ci va réaliser une série de toiles géantes et figuratives sur des ouvriers.
  • Xiao Jia rentre à la maison (1h52). Documentaire de Damien Ounouri sur le retour de Jia Zhang Ke dans sa ville natale, Fenyang. Échange sur ses origines, ses inspirations, sa vision du cinéma, ponctué d’extraits de ses premiers films.

Chine. Ville de Fengjie en amont du barrage des Trois-Gorges. San Ming fait le voyage dans la région pour retrouver Mâ, la petite qui habitait là il y a une vingtaine d'années.

Aujourd'hui, l'immeuble, la rue, le quartier où elle a vécu ne sont plus qu'une tache verte, engloutie sous les eaux du barrage des Trois-Gorges. Le guide un peu escroc qui l'a accompagné propose de le conduire dans les locaux des autorités administratives qui pourront le renseigner sur la nouvelle adresse de Mâ. L'ordinateur est hélas hors service...

Still life et The world, son film précédent, ont en commun un titre aussi sobre que lyrique qui résonne avec un décor symbolique de la métamorphose du capitalisme chinois. Dans les deux films, Jia Zhang-ke parle du changement à travers le destin d'individus qui subissent l'évolution du monde, mais qui portent en eux l'espoir d'un monde meilleur.

L'intérêt et l'émotion constante du film tiennent à une dramaturgie minimale, qui permet à Jia Zhang-ke de glisser dans les creux du récit des symboles inattendus. La surprise finale de l'histoire d'amour qui se renoue entre San Ming et son ex-femme se trouve alors liée avec la dimension symbolique présente dès le début du film où les travellings sur les passagers dans le bateau pour remonter jusqu'à San Mingassis à l'arrière se fait à contre-courant de la marche du navire dont on apprend bientôt qu'il se nomme "The world".

 

Natures mortes : des symboles incertains entre la vie et la mort.

Si le film fait montre d'une extrême sobriété dans l'utilisation des décors naturels et dans l'expression des sentiments, il ne se prive pas de quelques effets où le metteur en scène vient nous rappeler son sujet : la fragilité et l'ambivalence du temps présent.

Sur un gros plan de cigarette, d'alcool, du thé ou de bonbons, les effets d'incrustations soulignent la révélation d'un regard, d'un don qui, peut-être, ne se reproduira plus. Nature morte cette cigarette plus volée qu'offerte, nature morte que ces bouteilles d'alcool refusées par les beaux-frères, nature morte ce sachet de thé découvert dans un placard abandonné, nature morte enfin ces bonbons (grand lièvre blanc) offerts par frère Mark avant de partir pour son dernier voyage ou reçu par son ex-femme par San Ming en haut d'un immeuble délabré. Les natures mortes dans leur destin fragile, entre ce qui est encore en vie (traduction anglaise) ou tout juste mort (ressenti français) sont encore une médiation possible dans un monde qui menace d'être englouti.

La beauté n'est pas acquise en soi par la beauté du décor naturel mais résulte de l'appropriation des symboles figés dans une éternité vide de sentiment. Ainsi, la beauté des Trois Gorges n'est jamais mieux ressentie que vue au travers du billet de banque montré par un ami pour qui s'interroge que la disparition d'un des décors emblématiques de la Chine mais qui symbolisera désormais pour San son histoire avec ces homes.

Le symbole le plus attendu est celui concernant le barrage. Jia Zhang-ke y vient comme à regret laissant le louche Guo Bin entraîner sa femme au pied du barrage dans un très artificiel pas de deux pour essayer de la reconquérir. Mais alors que l'on croyait Shen Hong revenue pour récupérer son mari, elle lui, elle nous annonce brutalement sa décision de divorcer. Et chacun d'eux de s'en repartir de son côté. Guo Bin s'est leurré : sa position au pied du barrage n'a rien arrête du tout.

Si le signe est toujours là, disponible, il dit surtout la force de l'instant et ne s'interprète que dans sa relation aux autres. La dimension métaphorique du dernier plan où un funambule marche sur un fil entre deux bâtisses dit l'équilibre précaire d'une vie fragile. La métaphore va sans doute au-delà du cas personnel du personnage, partagé entre espoir de retrouver sa femme et la crainte de mourir d'un accident à la mine.

La construction du film sous la forme de deux histoires relève de la même volonté de tendre un fil entre deux rives. L'une raconte la reconstitution d'un couple, l'autre son échec, l'une est vue par un homme et l'autre par une femme, l'une concerner un homme plutôt âgé, l'autre une jeune femme.

S'ils ne se rencontrent pas San Ming et Shen Hong croisent quelques personnages en commun. Le mari de la prostituée au bras amputé après un accident de travail quitte le domicile conjugal pour que sa femme reçoive San Ming. Cet homme viendra se plaindre au propriétaire de l'usine et le menacera avec sa famille d'un procès dans l'usine que Shen Hong visite en premier pour retrouver son mari. Amenée à traverser le fleuve, elle croise le jeune garçon qui finit de beugler sa romance amorcée dans une séquence avec San Ming. Guo Bin est aussi le dernier nom prononcé par frère Mark. C'est en ordonnant une action d'intimidation envers un mauvais payeur que le mari de Shen Hong provoque la mort de l'ami de San Ming.

La liaison entre les deux histoires, Jia Zhang-ke la souligne d'un effet numérique. Une sorte d'ovni blanc sonore part de San Ming sur la droite avant de rejoindre dans le plan suivant le regard de Shen Hong qui l'aperçoit sur sa gauche et le regarde disparaître derrière la montagne dans son dos à droite.

Le fantastique social est un engagement politique

La dimension fantastique transparaît aussi dans la référence au Metropolis de Lang. Lorsque Shen Hong se rend dans l'usine désaffectée, elle croise des ouvriers occupés à la détruire. Leurs gestes machinaux frappant sur les cercles boulonnés rappellent ceux des ouvriers de la cité sur leur machine-horloge. Les ouvriers en acceptant les ordres de la fausse Maria contribuaient à engloutir leur propre citée. N'est-ce pas aussi le destin de ces hommes en blanc comme surgit l'imaginaire de San Ming venant, étrangement, désinfecter les ruines qui seront englouties ? San Ming pourrait alors être l'ouvrier 11811 qui s'échapperait de cet enfer pour construire son destin personnel.

L'immeuble qui décolle sous le regard de Shen Hong est d'abord incompréhensible sauf si l'on admet qu'il s'agit d'un flash mental, équivalent à une décision d'en finir, de "décoller" de là de Shen Hong, qu'elle retrouve ou non son mari pour lui dire sa volonté de divorcer. A l'immeuble qui décolle répond en effet, dans l'histoire de San Ming, celui qui s'écroule après l'offrande du bonbon. Un amour qui s'en va et l'autre qui s'installe, tel pourrait être aussi un autre lien tissé par Jia Zhang-ke.

Ces liens entre histoires personnelles, ces liens qui relèvent de la symbolique humaine crânement assumés rendent dérisoires les objets de la modernité : la sonnerie de téléphone ne servira qu'à retrouver l'ami mort sous un tas de pierre, le pont qui s'éclaire comme un jouet lorsque des VIP arrivent tardivement, la jeune fille et son habit marqué "Mickey" qui demande du travail à Shen Hong. L'opinion de Jia Zhang-ke sur la Chine moderne s'y lit autant que dans la tristesse du relogement du propriétaire bon enfant sous le pont ou dans le drame du couple de la prostituée abandonnant son mari au bras amputé.

 

J.-L. L.

 

Dong (1h07, 2007) de Jia Zhang Ke

Films tournés en même temps, Dong pourrait être le contrechamp de Still life. Il en reprend certains plans notamment l'épisode du mur qui s'écroule et qui est donné là comme l'origine de la mort de Quingsong. La séquence de l'enterrement de frère Mark dans Still Life se transforme en faux documentaire sur la mort de l'ouvrier dans Dong.

Cet entre deux fiction-documentaire est hélas bien vite abandonné pour la mission de Liu Xiaodong qui se rend dans la famille de son modèle.

L'excursion à Bangkok, pendant féminin du monde masculin des trois gorges est ponctué de remarques sans intérêt sur les tourments de l'artiste : La maîtrise pour plus de vigueur expressive ; attention à la simplicité des visages ; pas de décors, juste des fruits quand on ne connaît pas le pays.

Liu Xiaodong se dit inspiré par David, l'art romain et l'art chinois. Il reconnaît avoir un travail joyeux et heureux parce que libre mais c'est aussi, dit-il, un travail plus angoissant qu'un travail routinier car il n'a aucun critère pour évaluer son travail. Il conclut en disant espérer que sa peinture restitue quelque chose, la dignité que porte chaque être humain.

 


Xiao Jia rentre à la maison (1h42) de Damien Ounouri

Documentaire passionnant où Jia Zhang Ke se livre avec chaleur et sincérité sur l'ensemble de son parcours.

Les premières séquences débutent avant le festival de Venise 2006. Jia Zhang-ke attend alors la réponse de la censure, pas même pour un accord de distribution mais seulement pour envoyer son film au festival. Il obtient l'un et l'autre et son film remporte la récompense suprême, Le lion d'or.

Accompagné de l'équipe légère de Damien Ounouri, il revient alors dans sa ville natale de Fenyang. Il échange sur ses origines, ses inspirations, sa vision du cinéma alors, qu'en contrepoint, sont présentés des extraits de ses films.

Les travaux dans les trois gorges sont une métaphore de la Chine contemporaine. Depuis la fin des années 70, la Chine change énormément. On a abandonné l'économie planifiée pour le capitalisme. La construction du barrage est une métaphore de ces changements.

Jia a toujours voulu filmer des vrais gens dans des vrais lieus. En 1995, il existe seulement 13 lieux de tournage autorisés. Il découvre avec un livre de Fassbinder le terme indépendant et, avec onze collègues, il fonde le Youth experimental group dont le premier film est Xiao Shan rentre à la maison, tourné pour 1 000 euros pour 45 mn à Pékin.


En 1997, il revient à Fanyang et tourne un film dans sa ville natale. Le personnage principal devait être un artisan, quelqu'un qui travaille de ses mains. Le scénario se modifie lorsqu'on lui raconte l'histoire de deux amis, l'un est policier, l'autre pickpocket. Et l'un a arrêté l'autre, le pickpocket avait un monde spirituel : "Pourquoi vit-on ?" s'interrogeait-il. Normalement le policier et le pickpocket menotté disparaissant dans la foule. En observant les attroupements autour de lui, Jia trouve cette fin où tous regardent Xiao Wu.

Faire des films sans autorisation c'était ça le cinéma indépendant. Maintenant c'est aussi comme en occident : filmer en dehors des majors. Avant on disait "nous" : "nous les ouvriers, nous avons la force, nous les successeurs des communistes". Avec l'arrivée de la musique populaire, c'est devenu "je". Platform c'est le nom de la première chanson de rock que nous avons pu écouter, c'est un quai de gare avec l'image du destin.

Le sujet est la vie difficile des Chinois avec l'arrivée des spectacles juste après la révolution culturelle qui apportent une joie éphémère. Les sujets d'amour et de romantisme ont remplacé les spectacles de propagande avec drapeau. La musique rock a fait progresser la liberté. Dans les années 80, Jia avait entre 10 et 20 ans, ce sont donc les vies de ses amis plus âgés qui sont filmés.

In public tourné à Datons une ville du Shanxi qui produit du charbon dans les années 50 60. Du temps de l'économie planifiée, c'était une ville très dynamique avec une architecture industrielle liée au charbon. En 2002, le capitalisme était arrivé, ouvriers au chômage et usines abandonnées tristesse comme devant un tableau intitulé échec de l'économie planifiée ou une personne délaissée. L'idée est venue de l'endroit. J'aime beaucoup les arrêts de bus ou de train. J'ai filmé plus l'état d'un lieu public plutôt que des gens en particulier. Le sujet c'est le lieu public et la caméra ne doit pas interférer d'où la discrétion du miniDV filmer un personnage et un lieu dans la rue c'est comme draguer une belle fille dans la rue : ça demande de la patience.


La Chine c'est 1,3 milliards de personnes dont 1,2 vit dans des villes comme Fenyang. Shanghai, c'est une fleur posée sur la terre de Chine. Elle est à l'image du pays tout entier. Si chaque époque invente une technique moderne, c'est qu'elle en a besoin. MiniDv pour filmer cette rue grise, ce contraste entre les choses anciennes et modernes ; filmer l'espace intime époque individualiste.

Jia Zhang Ke revendique l'aspect théâtral de ces jeunes solitaires filmés dans Plaisirs inconnus. Ces marginaux reliés par Internet, le téléphone portable vivent dans un monde de vanité qui n'existe pas, qui ne change pas leur vie. Ils y mettent toute leur énergie et leur solitude se renforce.

The world lieu très ouvert et pourtant les personnages enfermés. Facile de passer d'un pays à un autre, d'une architecture à une autre, pas besoin de visa ou de passeport, petit monde idéal sans frontière comme les SMS qui permettent de communiquer. Avant, quand on avait un problème entre deux personnes, on se rencontrait, maintenant on s'envoie un SMS.


Indépendant : ne pas dépendre de grosses structure, échapper à une censure irrationnelle. Continuer à filmer même si l'on est interdit.


Mk2
 
présente
 
Still life de Jia Zhang Ke