Chengdu, mégalopole et capitale de la province du Sichuan, aujourd'hui. Une masse compacte d'ouvriers sort de l'usine 420, complexe militaro-industriel qui va bientôt être démantelé.
Assis sur une chaise, dans une partie désaffectée de l'usine un ouvrier se souvient de son travail de maintenance au temps de la splendeur de l'usine. Il était alors sous les ordres d'un contremaître qui poussait le respect de l'outillage à son maximum, ne remisant les outils qu'au moment de leur usure extrême.
L'ouvrier retrouve son ancien maître ; celui-ci ne l'aurait pas reconnu. D'ailleurs il perd un peu la mémoire. Il est content de la visite de son ancien collègue.
Tous les ouvriers applaudissent le discours de l'officiel annonçant le démantèlement de l'usine qui va poursuivre son activité dans un nouveau lieu.
Le secrétaire du parti raconte que la première usine 420 fut autrefois implantée près des montagnes pour échapper aux bombardements japonais. En arrière plan, deux jeunes jouent au babington devant une toile peinte à la gloire de l'armée chinoise.
Une femme qui a fait partie des premiers licenciées raconte comment sa mère n'a pu revoir qu'une seule fois ses parents lorsqu'elle travaillait dans l'usine. Le voyage était long et chèr et tous pleuraient de savoir qu'ils ne se reverraient jamais plus.
Des ouvriers s'affairent au sein de l'usine enlevant ici ou là un câble ou un luminaire.
Hao Dali marche dans la rue avec une perfusion au poignet. Elle monte s'installer chez elle et raconte le déménagement de l'usine alors que l'on croyait imminente l'attaque de Changkai chek. Tout le monde avait pris place dans le bateau dans une atmosphère de fête. Elle son mari et son jeune fils descendirent avec tous les autres pour une courte escale permettant d'acheter quelques spécialités locales. Au moment de partir l'enfant avait disparu. Sollicitée par tous pour remonter sur le bateau, elle perdit à jamais son enfant.
Un jeune homme joue au basket sur une place. Le terrain de sport est livré aux pelleteuses. Dans un bar un responsable de l'usine raconte cette vie d'autrefois où la vie privée était grandement contrôlée par l'usine. Il allait à l'école de l'usine, aux magasins de l'usine qui, en été faisait sa propre limonade. Les contacts avec les habitants de la ville limités au minimum. Sauf les bagarres. Un jour, il faillit être pris. Libéré car Zhou en lai était mort. Plus tard il du renoncer à son amour de jeunesse car l'usine n'offrait plus de perspective.
Des ouvriers dans l'usine se font photographier.
Petite fleur raconte sa vie. A l'étroit à Shanghai au retour
de ses frères et sur de l'exil du à la révolution
culturelle, elle demande à aller au Sichuan. Dans l'usine on la surnomm
la "pièce standard ", c'est à dire "la plus belle
fille", puis "petite"fleur" du nom de l'héroïne
du film que tous voient à ctet époque. Elle ne s'est jamais
mariée. Après être tombée amoureuse d'un homme
mort dans un accident d'avion pour cause de mauvaises pièces fabriquées,
elle repousse tosu ses prétendants.
Une petite fille fait du patin à roulettes la nuit.
Zhao Gang, l'animateur télé pose des questions pour savoir d'où le complexe "24 City" tire son nom. Il raconte ensuite son parcours. Autant il avait apprécié d'étudier à Pékin autant le retour comme ouvrier pour un travail répétitif l'avait fait démissionner de son poste.
Su Na, conduit sa voiture dans un champ de colza, derrière lequel, au loin, on aperçoit le complexe de 24 City. Su Na est une jeune fille chic et ambitieuse qui gagne sa vie en achetant des produits de luxe pour de riches clientes qui lui reversent une commission.
Ses parents l'avaient sorti du mauvais collège de l'usine pour un bon lycée de la ville mais elle n'avait pas les moyens intellectuels de réussir en faculté. Elle est cependant certaine de ne pas vouloir d'un travail à l'usine. D'avoir vu une fois sa mère y travailler sans la reconnaître tant ce travail l'avait déshumanisée l'a, une fois pour toutes, dégoûtée de ce travail. Elle espère devenir la gérante d'un restaurant au sommet d'une tour qui domine la ville. Si elle n'obtient pas ce travail, les gens riches qu'elle rencontre quotidiennement lui en proposeront peut-être un autre.
Huit personnages de trois générations successives racontent leur vie au sein de cette usine de 1945 à 2008. La première génération a connu la première usine et le déménagement à Chengdu en 1958 : c'est le vieil ouvrier et son apprenti, le secrétaire du parti, la fille de cette mère qui ne revit qu'une fois ses parents et la mère qui perdit son enfant lors du déménagement. La seconde génération est représentée par Petite fleur qui a fait sa vie de femme à l'usine. La troisième génération, ce sont les enfants élevés dans l'usine et qui vont en partir : l'adjoint du responsable de l'usine, le présentateur TV et Su Na.
Un film parlé
C'est probablement pour falsifier le moins possible la réalité que Jia Zhang-ké s'est glissé dans la forme documentaire. Quatre des témoignages répondent à la définition minimum du documentaire : être joué par des acteurs qui interpretent leur propre rôle. Cependant quatre des cinq derniers, souvent parmi les plus émouvants, sont joués par des acteurs professionnels. Il s'agit donc, à l'image des Bureaux de Dieu, d'un drame social très inspiré de la réalité mais totalement reconstruit par son metteur en scène.
Il y a certes la volonté, comme chez les plus grands documentaristes qui font rejouer leurs témoignages à ceux qu'ils filment, d'obtenir une image dans laquelle le personnage réel se reconnaisse.
Mais la forme parlée du film vaut moins par son pesant de réel mesuré à la stricte adéquation entre l'acteur et le personnage que par sa capacité à porter ces témoignages individuels à la hauteur de l'histoire collective d'un pays. Symbole de cette transformation revendiquée : le fait de faire jouer Petite fleur, ouvrière de l'usine réelle, par celle qui jouait le rôle de Petite fleur, personnage collectif dans lequel chacun s'était soit reconnu soit avait reconnu "la pièce standard de l'usine", soit plus généralement, l'être aimée.
Porter l'histoire sur la grande scène du cinéma
La succession des huit témoignages raconte de manière chronologique la vie de l'usine en commençant par les veilles générations et en terminant par ceux qui se disent soulagés de quitter l'usine. Ce sont toujours les douleurs personnelles qui sont mises en avant alors que la critique sociale se fait discrète. Aucune plainte n'est émise ni par la première des licenciées qui vit difficilement de ses ménages et travaux de couture ni par les ouvriers qui applaudissent la délocalisation de leur usine. Pas de trace de mauvaise conscience non plus chez ces ouvriers d'une usine d'armement qui constatent que les temps sont devenus difficiles après la fin de la guerre du Vietnam.
Les témoignages parmi les machines, dans les salles de repos ou au sein de l'espace domestique, sont sobrement mis en scène avec une grande attention aux décors et un éclairage soigné. La progression dramatique porte le film d'une société structurée vers une société qui change, quitte à connaître le déséquilibre. Le dernier plan, vu depuis la tou,r cadre non plus l'usine mais l'immensité de Chengdu selon un angle qui exprime autant l'inquiétude de Su Na que sa possibilité d'y trouver sa place.
La condamnation d'un système en bout de course par les jeunes est en effet sans appel. Ce que Jia Zhang-ké avait suggéré par la mise à égalité du secrétaire du parti communiste et ces jeunes jouant au badminton devant une toile peinte à la gloire de l'armée chinoise, par ces salles de culture occupées par de vieux ouvriers jouant aux dominos ou, surtout, par ce chant de l'internationale qui résonne alors que l'usine s'écroule.
Mais ce sont aussi les moments de transitions entre les témoignages qui portent le film sur la scène de l'histoire. Les chansons, les poèmes (chinois ou de l'irlandais W.B. Yeats qui s'inscrivent à l'écran), l'extrait d'opéra, la scène de patin à roulette la nuit, les portraits photographiques, la voiture joliment perdue au milieu des champs de colza, tout comme les nombreux travellings latéraux ascendants convoquent un lyrisme en adéquation avec le souffle historique porté sur soixante ans de vie ouvrière en Chine.
Jean-Luc Lacuve le 04/05/2009