Un homme astique un lion de bronze avec un chiffon. C'est un employé de la Banque des télécommunications. Devant le bâtiment s'étalent des gravats et, plus loin, de vieilles maisons que l'on détruit.
Shanghai 2009. Des ouvriers et des employés traversent la rivière HuangPu sur le bac. Zhao Tao marche à travers la ville en chantier.
(1) Chen Danquing (peintre et écrivain), né à Shanghai en août 1953, son père est venu du Guangdong pour ses études. Il connaît, très jeune, les combats de rues entre bandes qui continueront du temps de la Révolution culturelle qui l'a marqué, entre ses 9 à 16 ans, car tout le monde dénonçait tout le monde.
(2) Yang Xiaofo, en juin 1933 alors âgé de 14 ans, il est dans la voiture de son père, Yang Xingfo, lorsque celui-ci est abattu par quatre hommes armés. Né à Qingjiang, son père était un pionnier du mouvement chinois des Droits de l'Homme dès 1910. Il est assassiné par Tchang Kaï-chek. Soong avait déjà échappé de peu à la mort alors que Tang, son secrétaire, avait été tué. Le mouvement des droits de l'homme s'éteint avec ces assassinats.
(3) Zhang Yuansun né à Shanghai en 1930 est le petit-fils de Zhang Yiyun (1871-1933), fabricant de pâtes de soja puis du glutamate, pionnier industriel créant l'ensemble d'une filière depuis la fabrication de la matière première jusqu'au traitement des résidus. Son fils aimait l'opéra et donnait du glutamate et de la pommade à qui venait l'écouter. Il accepta avec philosophie la ruine due à la révolution culturelle. Zhang Yuansu danse sur la musique de I wish I knew du crooner Dick Haymes (someone like you could love me. I wish I knew you place no one above me. Did I mistake this for a real romance. I wish I knew but only you can answer. If you don't care why let me hope could love me)
Extrait du film de Lou Ye, Zuzhou river (1999) avec les mêmes images de Shanghai dix ans plus tard. Quartier Shiliupu, dock n°16, des dockers, filmés au ralenti, avec des incrustations de textes : "Le traité de Nankin du 29 août 1842 entre la Chine et l'Angleterre ouvre Shanghai au commerce international. Le 17 novembre 1843, Georges Balfour prend ses fonctions, le premier consul britannique à Shanghai. Les concessions étrangères sont créées, les gangs se multiplient".
(4) Du Mei-Ru (fille aînée de sa mère, Du Yuesheng) est née à Shanghai en 1930. Elle a habité à Hong Kong, Taiwan puis en Jordanie. Elle dirige actuellement un restaurant chinois à Amman. Du Yuesheng (1888-1951), née à Shanghai, était membre de la triade du "Gang Vert" et l'une des gangsters les plus réputées du Shanghai moderne. Du Yuesheng, Huang Chin-jung et Zhang Xiaolin étaient connues sous le nom des "Trois magnats de Shanghai".
Pudong, Le Bund, décors des studios Chedun, Avenue de Nankin
(5) Wang Peimin née à Shanghai en 1948 est la deuxième fille de Wang Xiaohe (1924-1948), militant du Parti Communiste Chinois clandestin. Il rejoint le Parti Communiste Chinois en mai 1942. En 48, le Kuomintang bat en retraite. En avril, il est arrêté et en septembre. A 24 ans, il est exécuté à la prison Tilanqiao de Shanghai. La mère de Wang Peimin est au bord du suicide. L'armée de Libération entre le 27 mai 1949 dans Shanghai. Sa mère, folle, pense que son mari en fait partie. Extraits de La bataille de Shanghai (Wang Bing, 1959) et des Kakis rouges (Wang Toon, 1996)
Taiwan 2009
(6) Wang Toon (ou Wang Tung), né en 1942, est l'un des fils de Wang Zhonglian. Après avoir quitté Shanghai pour Taiwan avec sa famille en 1948, il est devenu l'un des plus célèbres réalisateurs taïwanais. Wang Zhonglian (1903-1991) est admis, au printemps 1924, à l'Académie Militaire de Whampoa. Après le déclenchement de la guerre Sino-japonaise, il devient le 85ème Commandant de l'Armée, puis est promu Lieutenant Général de l'Armée en 1939.
(7) Lee Chia-Tung, né à Shanghai in 1939, son père était à l'arrière durant la guerre contre le Japon refusé la corruption du système. Il a connu le siège de Shanghai.
(8) Chang Hsin-I née à Shanghai en 1916 (écrivain et traductrice reconnue, femme de l'ancien ministre des finances taïwanais Fei Hua fille de Zhang Qihuang (1877-1927), chef de cabinet du seigneur de la guerre Wu Peifu. Elle raconte sa rencontre avec son mari.
(9) Hou Hsiao-Hsien, né dans le Comté de Mei, province de Guangdong en 1947, a immigré à Taiwan avec sa famille en 1948. Il est la figure principale de la nouvelle génération de réalisateurs taïwanais. A appris à connaître Shanghai par Les fleurs de Shanghai. Il était impossible d'y tourner car la ville est un immense chantier. Il a tourné en intérieurs à Taiwan d'après Chroniques des maisons de fleurs qui décrit les relations amoureuses entre hommes et femmes après 1911.
Extrait des Fleurs de Shanghai, au milieu du XIX a la fin de la dynastie Qing des commerçants riches fuyant la révolte des Taiping, s'installent dans les concessions étrangères. Shanghai prospère et devient une cité cosmopolite.
Shanghai 2009
(10) Zhu Qiansheng (membre de l'équipe shanghaienne de La Chine de Michelangelo Antonioni en 1972) qui raconte dans les pavillons du traditionnel jardin Yuyuan, là où, en 1972, Antonioni filmait La Chine, invité par Zhou Enlai. Le deuxième jour de tournage, avenue de Nankin, Antonioni ne s'intéresse qu'aux aspects les plus arriérés. Zhu Qiansheng subit ensuite des séances de critiques publiques. Il avait 30 ans.
(11) Huang Baomei, née à Shanghai en 1931, a été ouvrière à la 17ème Usine de Coton de Shanghai. Ouvrière modèle de l'industrie textile nationale et 7 fois ouvrier modèle chinois. En 56, elle assiste avec Mao et le maire de Shanghai à un opéra dans une salle de cinéma. En 59, festival mondial de la jeunesse à Vienne. En rentrant tourne un film, Huang Baomei (Xie Jin, 1958). L'usine où elle est entrée à 14 ans s'appelait Yufeng et appartenait aux japonais. Apres 49, elle devient Textile 17. Elle part étudier à l'étranger en 60 puis a travaillé ici jusqu'à la retraite en 87.
Déclin du textile mais splendeur du port où les ouvriers en vélo sont surpris par la pluie. Dans une salle de cinéma, Zhao Tao regarde un extrait de Soeurs de scène.
(12) Wei Ran était venu à Shanghai en 69 pour apprendre de sa demi-soeur que sa mère s'était suicidée en novembre 68. Celle-ci, Shangguan Yunzhu, née en 1920 à Jiangyin, province du Jiangsu, avait fui les Japonais jusqu'à Shanghai en 1938. Elle voulait faire du cinéma ce qui compliqua sa vie sentimentale. Wei Ran est ainsi le fils de son troisième mari, Cheng Shuyao. Shangguan Yunzhu devint l'une des actrices chinoises les plus connues et interpréta Soeurs de scène de Xie Jin en 1964. Devenue ennemie de la société lors de la révolution culturelle personne n'a essayé de la sauver lorsqu'elle rata son suicide en se jetant du haut d'un immeuble. Elle mourut sur le chemin de l'hôpital. Zhao Tao marche sous la pluie. La soeur de Wei Ran, l'avait donc fait venir pour lui annoncer cette mauvaise nouvelle. Elle-même devait quitter le conservatoire pour une ferme éducative. Son fiancé mourut à 24 ans, en 1971 pour ultra gauchisme. Elle rencontra alors un jeune homme de dix ans plus jeune qu'elle. Enceinte, elle tenta une fuite ratée à Hong-Kong. Plus tard son enfant lui fut enlevé et elle mourut d'un accident de bicyclette. (Interlude triste avec Lim Giong et Zhao Tao).
Hong-Kong 2009
(13) Wei Wei, née à Zhongshan, province de Guangdong en 1918, a joué le rôle de Zhou Yuwen dans Printemps dans une petite ville, de Fei Mu. Son vrai nom est Miao Mengying, fini ses études en 42 Pearl Harbour joue dans la troupe de théâtre de Fei Mu un grand producteur de Shanghai, monsieur Wu dirigeait la Wenhua mais n'avait pas de film prêt. Fei Mu prépare Printemps dans une petite ville. Il demande à Wei Wei de se faire aimer de Li Wei mais celui-ci l'aime en dehors des plateaux. Elle part pour Hong Kong
(14) Barbara Fei, qui fut une célèbre soprano ,est la nièce de Fei Yimin, directeur du Ta Kung Pao, quotidien de Hong Kong et la fille du célèbre réalisateur Fei Mu né en 1906 à Shanghai. Printemps dans une petite ville reçoit des critiques négatives. A l'époque, en pleine tragédie nationale, on lui reproche sa frivolité. Son oncle, appelé à diriger l'édition de Hong Kong d'un journal de Shanghai, les invite à partir pour peu de temps, pense-t-il. Fei Mei, laisse sa fille, retourne à Shanghai puis Pékin pour faire du cinéma mais reçoit des réponses négatives. Il retourne à Hong-Kong et y meurt en 51. Sa fille regagne Shanghai puis Pékin. On lui demande de rédiger une confession pour entrer au conservatoire. Elle fuit par Canton pour rejoindre Hong-Kong.
(15) Nos années sauvages (Wong Kar Wai, 1990). Rebecca Pan, née à Shanghai en 1931, est chanteuse et actrice. Elle a souvent joué la femme de Shanghai dans les films de Wong Kar-Wai. Elle refuse la pratique des concubines en Chine jusqu'en 49 sa mère quitte Shanghai.
Hong-Kong 2010- Shanghai 2010
(16) Yang Huaiding, né à Shanghai en 1950 surnommé Yang le Millionnaire. En 1988, à 38 ans très pauvre, il gagne 72 yuans par mois avec sa femme, il gagne son premier lingot d'or en négociant des bons du Trésor. 20 000 Yuans en rapportent 2 800 un million en liquide sur lui, engage deux gardes du corps.
(17) Han Han, né à Shanghai en 1982, est un écrivain célèbre et coureur automobile. tees trois portes 30 000 exemplaires 30 000 Yuans pas pour une voiture Fukang 200 000
Shanghai world financial center, 100e étage 474 mètres, le plus haut panorama du monde puis train de banlieue où les travailleurs anonymes rentrent chez eux.
Documentaire lyrique, I wish i knew, histoires de Shanghai, rentre davantage dans les canons du documentaire que 24 city où plus de la moitié des témoignages étaient joués par des acteurs. Son propos est aussi plus ample, il s'agit certes là aussi de confronter le passé et le présent d'une capitale de province chinoise. L'histoire de Chengdu était néanmoins beaucoup moins tumultueuse que celle de Shanghai qui fut la dernière détenue par Le Komuantang, parti nationaliste dirigé par Tchan kei Cheik, avant de s'embarquer pour Taiwan.
Le défi de Jia Zhang-ke est ainsi de raconter l'histoire sensible de Shanghai par les seuls témoignages individuels. Non seulement aucun des témoins n'a occupé un rôle stratégique dans la grande histoire de la ville mais Jia Zhang-ke ne se permet aucun discours surplombant ou explicatif et rejette ainsi la voix off.
La succession des dix-sept témoignages risque ainsi d'apparaître confuse lors d'une première vision où le spectateur sera surtout attentif à la somme de douleurs d'humour et d'énergie dont fait preuve chacune des personnes interrogées. Une deuxième vision est probablement nécessaire pour être sensible à la grande histoire que raconte Jia, pleine de souffrances et de mystères, mais emportée par un souffle épique qui la rend bouleversante et en fait une pièce unique dans l'histoire de la Chine et du cinéma.
Le cinéma recoud la fracture de 1949
La structure narrative du film est d'une grande limpidité, une fois que l'on en a perçu la logique géographique et historique. Les dix-sept témoignages s'organisent en cinq parties, Shanghai-1 (5), Taiwan (4), Shanghai-2 (3), Hong-Kong (3) et Shanghai-3 (2). Chacune des parties sur Shanghai est consacrée à une époque différente : avant la prise de pouvoir de Mao, le temps de la révolution culturelle et le Shanghai d'aujourd'hui.
La première partie regroupe les cinq premiers témoignages à Shanghai, décrivant chacun l'atmosphère de la ville avant la prise de pouvoir des communistes en 1949 : les combats de rue, l'assassinat du défenseur des droits de l'homme par Tchan kai check, l'aventure du pionnier industriel et la nostalgie qu'en garde son petit-fils dansant sur I wish I knew, l'histoire de la femme gangster, l'éxécution du communiste par les militaires de Tchang kai-check juste avant 1949.
L'extrait des Kakis rouges sert alors de transition pour se rendre à Taiwan où se succèdent cinq témoignages dont le dernier, celui de Hou Hsiao-hsien, nous fait revenir à Shanghai grâce à son film, Les fleurs de Shanghai.
Les trois extraits de Shanghai-2 comportent tous un extrait de film. La Chine d'Antonioni, Huang Baomei de Xie Jin et Soeurs de scène du même Xie Jin. Ils décrivent la vie sous Mao. Celle d'un assistant insouciant, celle d'une ouvrière modèle, celle d'une actrice martyre. Sa fuite ratée à Hong-Kong génère un interlude triste joué par Zhao Tao et le déplacement à Hong-kong.
Le témoignage de l'actrice Wei Wei, installée aujourd'hui à Hong-Kong ouvre les trois témoignages consacrés à cette ville. Wei Wei décrit son histoire d'amour avec l'acteur de Printemps dans une petite ville dont il est montré une extrait qui l'obligea à fuir. Barbara Fei décrit la succession de petits incidents qui, cumulés, conduisirent à la mort prématurée de Fei Mu et l'amenèrent, elle, à opter pour Hong-Kong. Rebecca Pan, l'actrice de Wong Kar-wai, met en évidence une autre raison conjoncturelle, les multiples concubines, qui conduisit sa mère à opter pour Hong-Kong.
Shanghai-3 débute par la juxtaposition des inscrustations "Hong-Kong 2010" avec "Shanghai 2010", unis dans le même élan immobilier autour d'une rivière. Les témoignages de deux hommes enrichis laissent sans doute perplexe Jia sur l'avenir du pays.
Un discours politique en phase avec celui du régime actuel, la grandiloquence en moins, la douleur en plus.
Ce n'est pas Jia qui interroge chacune des personnes mais, le générique nous l'apprend, Lin Xudong, cinéaste, monteur et mentor de la jeune génération du cinéma chinois. Jia, en refusant cette place centrale du documentaliste, la déléguant à un artiste de Shanghai, montre qu'il s'est choisi une autre place, celle de l'ange de l'histoire, celui qui la surplombe et lui donne sens. Jia Zhang-ke s'attache aussi à relier témoignage face caméra et lieux de la ville en usant de miroirs dépolis, d'extraits de films et surtout de Zhao Tao, son actrice fétiche et alter ego. Elle joue ici, fantôme revenu du dernier épisode de 24 city, l'ange de l'histoire, celle qui fait entrer toute la Chine, Taiwan et Hong-kong compris, le passé et le présent, les artistes et les héritiers de l'économie, les gens et les lieux dans un même ruban de cinéma.
Ce discours unificateur n'est sans doute pas pour déplaire au régime de Benjing. Lorsque Jia surplombe Taipei ou Hong-Kong, certainement relie-t-il ces grandes villes à la mégalopole du continent. Il les relie cependant dans le concret de la douleur, la corde qui unie les deux enfants dont Wang Tong, les larmes de Rebecca Pann. Ces douleurs concrètes n'ont pas grand chose à voir avec la ville toute blanche et aseptisée de Shanghai, prête à l'exposition. Au slogan, "Tous unis pour réussir l'exposition qui fera la grandeur du pays", Jia répond par la danse d'un jeune ouvrier.
Jia Zhang-ke réfute ainsi l'idée que son film lui ait été commandé par le gouvernement chinois même si, au départ, le film est bien né d'une commande. Pour l'Exposition universelle de 2010, la Ville de Shanghai avait en effet commandé à Jia Zhang-ke un bref portrait filmé de la cité qui accueillait cet événement faisant la fierté de tout le pays. Ce court métrage devait accueillir les visiteurs à l'entrée du pavillon chinois, fleuron de l'Expo. Etait ainsi adressée une prestigieuse commande à celui qui avait longtemps été perçu par les autorités chinoises comme le chef de file de la dissidence cinématographique, récompensé dans les festivals et interdit dans son pays. Le film terminé a été refusé pour le pavillon chinois. Jia Zhang-ke et son producteur ont juste obtenu l'autorisation de le projeter, à leurs frais, dans un cinéma de la ville.
Une interrogation sur le rôle de l'histoire et de la mémoire
Jia Zhang-ke s'interroge comme dans 24 city sur ce que la jeune génération peut retenir du passé. Dans son précèdent film, l'usine s'écroulait dans la poussière avant d'entendre le dernier témoin, interprété par Zhao Tao, qui criait sa haine du régime qui avait asservi ses parents et sa volonté d'en sortir au plus vite. Zhao Tao qui revient ici contempler Shanghai du haut d'un gratte-ciel comme elle contemplait Chengdu prévient sans doute que les deux derniers témoignages vont s'inscrire dans la même veine.
Les huit extraits de films : Zushou river (Lou Ye, 1999), La bataille de Shanghai (To liberate Shanghai, Wang Bing, 1959) Les Kakis rouges (Wang Toon, 1996), Fleurs de Shanghai (Hou Hsiao-hsien, 1999) Huang Bao mei (Xie Jin, 1958), Soeurs de scène (Xie Jin, 1964), La Chine (Antonioni, 1972), Printemps dans une petite ville (Fei Mu, 1948), Nos années sauvages (Wong Kar-wai 1993) disent aussi que, seul, le cinéma permet cette vision sensible de l'histoire.
Jean-Luc Lacuve le 11/02/2011 après le Ciné-club du jeudi.