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Lumière, L’aventure continue !

2024

Avec : Thierry Frémaux (Le narrateur). 1h45.

Les Lumière ont produit plus de 1 428 films dûment référencés dans leur catalogue de vente ainsi qu'un millier de vues dites « hors catalogue » entre 1895 et 1905. Les négatifs de ces films, presque intégralement conservés, sont principalement détenus par l’Institut Lumière, la Cinémathèque française et la Direction du patrimoine cinématographique du CNC, et sont conservés par cette dernière, après le recensement et le rassemblement de l’œuvre Lumière initiés à l’occasion du centenaire du cinéma en 1995. En 2015, l’Institut Lumière a lancé la restauration d’environ 130 films Lumière (les plus célèbres) avec l’Immagine Ritrovata pour les scans et Éclair pour la restauration, financée majoritairement par le CNC dans le cadre de son plan d’aide à la restauration et par un partenaire privé : la Fondation pour le patrimoine. C’est à partir de ces restaurations que Thierry Frémaux, directeur de L'institut Lumière, avait réalisé son documentaire Lumière ! L’aventure commence, valorisant ce travail.

Actuellement, ce sont 300 nouvelles restaurations 4K qui sont en cours, supervisées par Maelle Arnaud et Thierry Frémaux, toujours effectuées au laboratoire l’Immagine Ritrovata (Bologne, Italie). Sur ces 300 œuvres, Thierry Frémaux en sélectionne 120 avec  pour mission de "remettre les vues Lumière sur grand écran". Il réalise ainsi "un unique film Lumière" sur la musique de Gabriel Fauré, contemporain des Lumière.

Sur des vues où la caméra est installée à l'avant d'un bateau, d'un train, d'un téléphérique. Thierry Frémaux raconte les premiers pas de l'invention en 1894 lorsqu' Antoine Lumière se rend à Paris et découvre le kinétoscope d'Edison puis revient à Lyon persuadé "qu'il faut faire sortir le film de la boîte"; que la chrono-photographie doit être projetée sur grand écran. Il est confiant : ses fils en trouveront le moyen. Début 1895, le cinématographe est prêt. Louis Lumière aurait trouvé le principe en une nuit d'insomnie et s'est procuré du film 35 mm aux Etats-Unis. Pour éviter d'être accusé de contrefaçon, le film avance dans le cinématographe avec une perforation ronde de chaque côté d'un photogramme contre deux, de format carré, chez Edison.

Pour la première présentation le 22 mars 1895, Louis Lumière tourne La sortie des usines lumières dont trois versions sont conservées mais probablement pas celle tournée le 19 mars. Durant l'été 1895, Louis Lumière tourne les vues qui seront présentées lors de la projection payante du 28 décembre 1895. Elles sont présentées ici le temps de les nommer puisque déjà vues dans L'aventure commence puis sous forme d'un split-screen. Seules les deux vues nouvellement restaurées, Voltige et Le saut à la couverture sont présentées dans leur intégralité des 50 secondes.

En 1986, il faut "Inventer le public" c'est-à-dire "plaire au public". Ce sont ainsi les militaires qui sont mis en valeur (L'alarme, arrivée face caméra de la cavalerie au grand galop puis une autre arrivée où le groupe de cavaliers dépasse la caméra et laisse vide le champ), "plan-séquence" de la Batterie dans la montagne avec l’avancée des soldats de l’arrière-plan au premier plan où ils vont se coucher au sol entre rochers et le cours d'une rivière. Mais sont aussi beaucoup représentés les enfants, la campagne (les foins fauchés par une famille bien alignée) les villes (Paris et Lyon). Mais aussi aux petites gens, les professions manuelles : des pêcheurs sur le port de Marseille aux lavandières.

La montagne n'est pas oubliée avec une vue de Chamonix et une descente de la mer de glace.

Il faut aussi proposer des vues des "Terres lointaines". C'est ce à quoi vont s'employer les opérateurs Lumière, envoyés aux quatre coins du monde : au Japon, en Algérie, au Vietnam.

Avec le cinématographe, "La mort cesse d'être un absolu"

Avec les 120 vues magnifiquement restaurées, Thierry Frémaux se propose de réaliser "un unique film Lumière". Son commentaire et la musique enrobent en effet de manière parfois un peu chargée le travail des Lumière et de leurs opérateurs. Directeur de l'institut Lumière, Thierry Frémaux se fait aussi propagandiste des Lumière comme metteurs en scène du cinéma, leur en attribuant tous les mérites et les désignant comme les précurseurs de tout le cinéma; ce qui est un brin excessif.

La grande histoire du cinéma

Le film est découpé en onze chapitres, précédés d’un prologue historique et suivi d’un épilogue, le tournage par Francis Ford Coppola de sa sortie d'une séance du Hangar du premier film avec une caméra proche du cinématographe Lumière. La musique issue de l’œuvre de Gabriel Fauré a été choisie, comme Camille Saint-Saëns précédemment pour Lumière, l’aventure commence !, parce qu’elle est contemporaine de Louis et Auguste Lumière. Mais, bien plus lyrique ou élégiaque, elle embaume parfois les images, en contradiction avec la phrase, par ailleurs très contestable d'Agnès Varda, qui feraient des personnages filmés par les Lumières nos contemporains.

Le commentaire érudit et souvent humoristique de Thierry Frémaux, permet de remettre chaque vue dans son contexte. Le directeur de l’Institut Lumière en souligne certains détails et tisse des liens avec les réalisateurs qui viendront ensuite : Yasujiro Ozu pour la caméra à hauteur de tatami, John Ford, pour un attelage militaire immobilisé au creux d'un large fossé, Jean Renoir pour un paysage, Luchino Visconti, Maurice Pialat. Au delà de ces remarques un peu anecdotiques, le plus pertinent et inattendu est la référence à Chantal Akerman pour l'usage du plan long dont font largement usage les cinéastes modernes et la nécessité documentaire de tout grand film revendiquée par Jean-Luc Godard.

La mise en scène des Lumière

Thierry Frémaux détaille les qualités des prises de vues Lumière, les nombreuses possibilités de mise en scène au travers du cadre. Ainsi les jeux sur la géométrie du cadre où la mise en scène s'étage sur plusieurs plans de l'image ou qui le sépare en deux par la grande attention portée à la diagonale. La profondeur de champ est continuellement louée, notamment avec Batterie dans la montagne. L'utilisation de vues en plongée donne aussi "l'impression que la caméra est toujours au bon endroit".

La saisie de l'incident fait aussi l'objet de remarques pertinentes même quand cela est raté comme l'arrivée sur un navire d'un amiral qui part du mauvais sens. L'attention au clair obscur est bien mise en évidence avec une vue de Chamonix et les vues qui montrent un opérateur en filmant un autre rappellent avec justesse que chaque film est aussi un reportage sur son tournage.

Les Lumière, dit fort justement Thierry Frémaux, c'est l'exaltation du plaisir de vivre mais peut-être seulement celui à disposition de ceux qui en ont les moyens. Cet art de vivre des bourgeois ou des ouvriers qualifiés exclut les classes pauvres. Ainsi Les joueurs de billes dans L'aventure commence ou, ici, une morne sortie d'usine d'ouvriers exploités au Vietnam en sont-ils les maigres témoignages.

Jean-Luc Lacuve, le 9 avril 2025.

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