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Le deuxième acte

2024

Avec : Léa Seydoux (Florence), Louis Garrel (David), Vincent Lindon (Guillaume), Raphaël Quenard (Willy), Manuel Guillot (Stéphane), Françoise Gazio (Rose). 1h20.

A l'aube, à quelques kilomètres d'un grand axe routier, Stéphane, quadragénaire à la forte corpulence, conduit sa voiture usagée devant un restaurant, Le second acte. Les mains de Stéphane tremblent. Il ouvre fébrilement les portes du restaurant, allume les lumières et avec le sourire se met à passer l'aspirateur dans la salle encore déserte.

Sur la route, deux hommes discutent. David demande un service à son ami Willy : il voudrait qu’il séduise Florence, une femme sublime qui s'est amourachée de lui et qui ne cesse de le harceler. Willy pense qu’il y a anguille sous roche. Pourquoi son ami, grand séducteur, refuse-t-il les avances de Florence ? Est-elle vieille, moche ou, pire, est-elle un travelo ? Dans son langage décomplexé, il affirme que les travelos, ça le dégoûte. David l'interrompt immédiatement. Il ne peut pas dire ça, ils ne sont pas seuls ; ils sont filmés. Interloqué, Willy regarde la caméra et comprend qu'il doit s'exprimer plus convenablement. Mais les circonvolutions alambiquées qu'il utilise pour exprimer une même répulsion ne font qu'aggraver son indécrottable machisme et l'énervement de David. Willy tente alors une nouvelle supposition : Florence serait-elle handicapée ? Il suscite évidemment un nouveau rappel aux convenances de David. Willy décline à nouveau l'offre : comment pourrait-il séduire Florence alors qu’il n'a pas le capital de séduction et surtout financier de son ami, acteur célèbre connu pour fonctionner à la voile et à la vapeur. David remet une nouvelle fois Willy sur les rails et assume être bi. C’est alors qu’il reçoit un appel de Florence.

Florence est en effet dans une voiture non loin de là et s'enquiert de savoir s'il est comme elle, toujours impatient qu'ils se voient. Elle est aux côtés de son père, Guillaume, qu’elle est impatiente de lui présenter. Une fois son appel terminé, Florence se tourne vers Guillaume en lui déclarant qu’elle souhaite qu'il aime David car c'est l'homme de sa vie. Guillaume explose, déclarant cette réplique inepte et décide de quitter le tournage. Florence lui court après le rappelant à son professionnalisme. Mais Guillaume en a marre de ces petites histoires sentimentales qui n'intéressent plus personne alors que le monde est au bord de l'explosion du fait du changement climatique, des guerres et de la pénurie d'eau sur le globe. Florence réplique qu'elle fait ce qu'elle sait faire comme les musiciens du Titanic ont continué de jouer jusqu'à ce qu’ils meurent de froid, engloutis sous les eaux. Guillaume réfute son argument, elle croit à la fiction du film de Cameron, plaidoyer pro domo pour les artistes, mais la réalité est autre. Florence s'énerve affirmant que les témoignages de survivants corroborent sa version. C'est aussi vrai que, dans la réalité, il est toujours agité de tics. Ce que conteste Guillaume. Il lui affirme que la fiction c'est du faux avec de la musique et de la postsynchronisation. Si elle continue de jouer, c’est pour son cachet qui lui permet d'acheter robes et bijoux; qu'elle n'accepterait pas de tourner pour rien dans ce film inepte. C'est alors qu’il reçoit un appel. Il en est tout chamboulé. Florence s'en inquiète mais Guillaume lui explique que son agent l'a informé que Paul Thomas Anderson le voulait pour son prochain film. Enfin ce qu’il attendait depuis tant d'années va se produire, il est appelé à Hollywood par le plus grand des metteurs en scène. Florence, étonnée de cette réaction, lui demande alors de reprendre leur texte, ce que, ragaillardi par sa perspective hollywoodienne, Guillaume accepte maintenant de bonne grâce.

Les deux couples d'acteurs se retrouvent devant le restaurant, Le deuxième acte, où ils jouent leur rôle du père et de la fille rencontrant l'amoureux de celle-ci et son ami. Mais Guillaume interrompt la scène pour mener David à l'écart, demandant aux deux autres de s'attabler en les attendant. Guillaume n'y tient en effet plus d'annoncer son engagement par Paul Thomas Anderson, déçu que David ne trouve pas de lui-même le nom de ce plus grand des metteurs en scène hollywoodiens et le soupçonnant alors d'être jaloux; ce que David réfute. Les deux acteurs rejoignent alors Willy et Florence. Celle-ci est impatiente d'en finir avec leur scène et initie le dialogue où le père se répand sur lui-même tout en faisant l'éloge de sa fille. Willy l’interrompt alors. Il trouve qu'il surjoue comme s'il venait de se prendre un rail de coke. Guillaume n'apprécie pas du tout que ce jeune acteur parvenu lui coupe la parole et le soupçonne de prendre de la coke lui, l’acteur très professionnel de reconnu depuis quarante ans et bientôt hollywoodien. Willy ne s’en laisse pas compter et, excédé, Guillaume lui cogne la tête contre la table le faisant saigner du nez. Florence le conduit dans les toilettes pour le nettoyer tout en regrettant bientôt son geste secourable car Willy, profitant de la proximité, tente de l'embrasser. Elle le menace de 'l’accuser d'agression sexuelle et de briser sa carrière s'il recommence. Willy, penaud, prétend que c'était dans la continuité de son rôle, ce que réfute Florence, experte des approches déplacées des hommes sur les plateaux.

Quand les quatre se retrouvent à table, le patron, Stéphane, amène en tremblant le beaujolais commandé par David. Le tremblement s'accentue quand il sert, répandant plus de vin sur le plateau que dans les verres. Stéphane explique qu'il a le trac depuis le matin pour ce rôle de figurant. D’abord plutôt encourageants, les quatre acteurs finissent par se moquer gentiment du figurant. Excédée, Florence sort de table et va téléphoner dehors pour s'en pendre bientôt à son agente, Rose, qui ne lui donne que la solution de se déclarer enceinte pour rompre son contrat. Florence téléphone ensuite à sa mère, chirurgienne en pleine opération à cœur ouvert, qui la trouve mauvaise dans ses rôles. Florence appelle alors sa fille qui l'égratigne sur ses larmes toujours recommencées et son incapacité à exercer un vrai métier comme la mère de son amie, marchande de légumes. Elle ne sait rien faire, à part imiter les métier des autres. David s'est éclipsé aux toilettes pour demander à son agente, la même que celle de Florence, de tenter de détruire la réputation de Guillaume auprès de Paul Thomas Anderson pour se faire engager à sa place.

Pendant ce temps, Guillaume et Willy sympathisent alors que le serveur est de plus en plus fébrile. Willy raconte qu'il a choisi son pseudonyme en hommage au "nain" de la série américaine Arnold et Willy dont il a vu les près de 200 épisodes durant sa jeunesse. Guillaume n'en croit pas ses oreilles car le plus jeune des enfants s'appelle Arnold et non Willy. Quand David revient des toilettes, il va discuter de la scène avec deux clientes du restaurant, reconnaissantes d'en apprendre sur les petits secrets de la fabrication des films et se faisant confirmer que les acteurs suivent le scénario écrit par une Intelligence Artificielle (IA).

Après que Stéphane aie, sur les conseils de Guillaume, bu la moitié de la bouteille, il explose de colère et de frustration et va dans sa voiture pour se tirer une balle dans la tête. Une fois Guillaume et Florence ayant constaté le suicide, une voix s'élève et crie "coupez". Un homme apporte alors un ordinateur sur lequel s'agite une figure humaine incarnant l'Intelligence Artificielle (IA) à l'origine du film. Elle les félicite pour leurs jeux. Guillaume trouve bancale la séquence du suicide, trop peu motivée d'apres lui. L’IA répond que son avis personnel ne sera pas pris en compte, pas plus d'ailleurs que celui de Florence, pourtant plus positif. David est lui aussi remercié de son jeu ainsi que Willy. L'IA reproche toutefois à ce dernier quelques dialogues infidèles qui seront retouchés et dont le coût (460 € HT) sera retiré de son salaire. L'IA félicite aussi Stéphane mais lui indique que sa prise de poids rapide a modifié la perception de son personnage et que sa silhouette sera retouchée par ordinateur pour un coût assez onéreux qui sera retranché de son salaire.

Les acteurs endossent leur vrais habits et Guillaume remet même une fausse moustache qu'il a vraisemblablement rasée pour le rôle. Il enfile aussi un costume de cuir rouge. David et Florence repartent ensemble. Le premier essaie d'expliquer que la fiction est la seule réalité et que s'il trompait dans celle-ci sa femme cela n'aurait aucune mportance puisque cela n'aurait pas la réalité d'une fiction. Guillaume repart avec Willy, son amant et compagnon, se félicitant mutuellement pour leur rôle avant de s'embrasser. C'est alors que surgit Stéphane en voiture qui s'arrête à leur hauteur pour leur parler. Ils le félicitent pour son rôle, techniquement difficile. Mais quand Stéphane propose d'échanger leurs numéros pour rester en contact, ils éludent la demande, indiquant que ce n'est pas dans leur pratique de s'appeler. Stephane, meurtri par ce refus, les salue sèchement. Rentré chez lui, devant son triste pavillon, il se tire une balle dans la tête.

Avant le générique de fin, un très long plan en travelling-arrière découvre les rails du travelling utilisé pour le film.

C'est la première fois au cinéma qu'est mis en abyme un film dans le film, superposant trois niveaux de réalité. La fiction de Dupieux met ainsi en scène "un film dans le film" réalisé par une IA avec un prologue puis deux actes constitués, d'une part de deux grands dialogues en travelling, et poursuivi par un second acte dans le restaurant du même nom et se terminant par le suicide du figurant. La fiction de Dupieux se poursuit par un troisième acte, révélant qu'il s'agissait d'un film tourné par une IA ayant pour sujet, non le film inepte d'une fille présentant son amoureux à son père, mais le sujet classique du méta-film, révélant les dessous pas bien reluisant des petites vanités, gros défauts et frustrations des acteurs. Mais La force considérable du film et son humour décapant vient du fait qu'il s'appuie sur un quatrième niveau : après celui des personnages du film (niveau 1), celui des acteurs du film dans le film (niveau 2), celui des acteurs du troisième acte (niveau 3) vient celui de notre réalité de cinéphile ou d'amateur de potins (niveau 4).

Ainsi, s'il s'agit déjà d'une performance de mettre en abyme un film dans le film, il est encore plus extraordinaire de jouer sur un quatrième niveau sur lequel repose une grande part de l'humour du film. Enfin magistral est l'épilogue, en forme d'art poétique.

Quatre stars dont l'IA sait tout

Dans le film de l’IA, les personnages portent les mêmes prénoms que les acteurs, procédé assez classique de l’autofiction ou du documentaire. Pourtant on reconnaît sans peine dans ces personnages ce que l’on croit connaître des acteurs célèbres qui les incarnent. Il s’agit donc moins pour Dupieux de se payer un casting quatre étoiles mais de les utiliser dans un quatrième niveau de réalité, faisant sans cesse surgir des pointes de réel cocasses au sein d'une mise en scène d'IA pas plus sophistiquée que ce que l'on a déjà vu au cinéma dans les procédés de film dans le film.

L’IA, à la fois scénariste, réalisatrice et productrice du film, a recueilli tout ce qu'elle a pu collecter sur internet des travers des acteurs dont la dénonciation est l’objet principal de son film. Si c'est la partie la plus drôle de la fiction de Dupieux, c'est parce qu'elle renvoie à des acteurs réels. Dans un monde sans acteurs, totalement virtuel, un tel film de l'IA serait impossible, ou du moins beaucoup moins drôle.

L'humour ne repose en effet pas sur le jeu emboité des quatre niveaux : trop d'intelligence tuerait le rire. Si l'humour du niveau 3 repose sur la surprise vis à vis du niveau 2 celui-ci s'appuie les hypocrisies que l'on pourrait prêter aux acteurs que nous connaissons par le niveau 4.

La palme de l'autodérision revient à Vincent Lindon qui semble toujours endosser le même costume, au propre comme au figuré, dans chacun des films d'homme responsable, aimant de bonne conscience de gauche qu'il incarne souvent (niveau 4). Là il sert le dialogue des tenants du cinéma social qui jugent hors-sol les fictions sentimentales post-nouvelle-vague. On lui ressort les ritournelles de ses tics dont il est agité dans la réalité qui ne sont jamais présents quand il joue. Ce discours stéréotypé ne serait qu'une façade derrière laquelle se cache une prétention frustrée à conquérir Hollywood qui, une fois dévoilée, dégénère en prétention ridicule (niveau 2).

Léa Seydoux que l'on sait issue d'une grande famille, sollicitée pour de très nombre rôles et dont on moque un peu la propension à pleurer (niveau 4) est issue d'une mère chirurgienne qui s'avoue avec son mari honteuse de son jeu si mauvais et dune fille qui la voit encore pleurer et incapable de faire autre chose que de faire semblant (niveau 2)

Louis Garrel, dont les amours font la une des journaux et également très sollicité pour tout type de rôle (niveau 4), est ici une icône sexuelle des garçons comme des filles qui cache un impitoyable chasseur de rôles, capable de démolir un collègue pour prendre sa place et très attentif à apparaître comme sans faute (niveau 2).

Raphaël Quenard, en pleine ascension médiatique (niveau 4), se révélerait peu respectueux de ses ainés, délivrant le même discours décomplexé que ses personnages  dont la sensibilité exacerbée (Chien de la casse) laisse parfois libre cours aux manipulations populistes (Yannick) conduisant ici aux pires clichés, qui plus est révélant une culture fragile, celle d'Arnold et Willy... qu’il confond (niveau2).

Manuel Guillot enfin, qui interprète Stéphane, a un vrai rôle comique, une performance technique comme le remarquent Willy et Guillaume. Mais il ne peut jouer que sur ce registre de premier niveau. Le monde du cinéma est beaucoup moins ouvert pour lui.

Une fin crépusculaire

Dans le film dans le film de l'IA, les voix post-synchronisées sont plus chaudes et accompagnées de musique qui amplifient l'émotion. L’intervention de l'intelligence sous la forme d'un ordinateur donnant ses instructions aux comédiens ouvre sur une troisième réalité, la seule donnée comme réelle du film, les comédiens délaissant leurs costumes de scène pour endosser leurs vrais habits. Ce troisième niveau de réalité, donné comme plus vrai que la satire du milieu du cinéma par l'IA, est bien entendu une nouvelle fiction. Elle donne d'abord les signes d'une réalité augmentée. L'acteur que joue Vincent Lindon a repris sa moustache qu'on lui a demandé de raser pour jouer Guillaume afin d'apparaitre comme plus homo dans son costume de cuir rouge face à l’acteur qui jouait Raphaël Quennard et qui s'avère être son amant; bien loin de l'homophobe qu'il jouait dans la fiction.

Néanmoins, la fin est tout aussi tragique. Mais cette fois plus motivée comme le souhaitait Guillaume. Stéphane se tue pour avoir tout sacrifié, jusqu'à être quitté par sa femme, pour obtenir enfin ce rôle qui ne lui aura finalement rien rapporté. En effet, il a compensé en mangeant et buvant et l'IA, productrice sans pitié, le sanctionne pour cet écart avec le scénario. Les acteurs célèbres, sans empathie et égocentrés, achèvent de convaincre Stéphane qu'il n'y a plus d'espoir pour lui dans le cinéma et donc dans la vie.

La fiction de Dupieux  se clôt par un épilogue l’inscrivant dans le réel du tournage. Il filme en travelling arrière les rails du travelling qui ont filmé les  deux grands plans-séquence initiaux du premier acte et ceux plus courts avec des couples différents dans le troisième acte. Une sorte de réponse post-moderne au célèbre générique initial du Mépris ?

Jean-Luc Lacuve, le 18 mai 2024.
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