Incroyable mais vrai

2022

Avec : Alain Chabat (Alain), Léa Drucker (Marie), Benoît Magimel (Gérard) Anaïs Demoustier (Jeanne), Stéphane Pezerat (L'agent immobilier), Roxane Arnal (Marie à 19 ans), Grégoire Bonnet (Le docteur Urgent). 1h14.

Alain et Marie ont rendez-vous avec un agent immobilier pour acheter leur première maison. La visite du pavillon se passe bien et ils se voient ayant emménagé et fêtant d’un verre de mousseux tiède leur installation. L'agent immobilier leur indique toutefois que le clou de la maison se trouve plus bas dans la maison. Dans la cave se trouve une trappe qui ouvre sur un conduit qu’il les invite à descendre à sa suite. En bas du conduit, ils se retrouvent au niveau du jardin ce qui les stupéfie Alain et Marie. L'agent leur explique alors qu'il s'agit d'une boucle temporelle qui les déplace dans le temps 12 heures après leur descente. Et ce n'est pas tout, dit-il encore plus mystérieusement.

Au premier jour de leur emménagement, Marie réveille Alain à cinq heures, pressée d'expérimenter le conduit temporel. Alain, dont l'action n'est pas la première qualité, laisse Marie descendre seule. Celle-ci est surtout excitée par la seconde potentialité du conduit que l’agent immobilier avait expliqué; non seulement on se retrouve douze heures plus tard mais le corps lui rajeunit de trois jours.

Alain, agent d’assurances fainéant et inefficace a invité pour dîner son patron et ami d'enfance, Gérard et Jeanne, sa jeune compagne qui tient une boutique de sous-vêtements. Celle-ci est impatiente d'annoncer la grande nouvelle à Alain et Marie, pendant que Gérard s'énerve que toutes les conditions soient réunies avant de révéler enfin qu’il s’est fait greffer une « bite électronique ». Alain estomaqué voudrait en contrepartie révéler le pouvoir du trou dans la cave mais Marie s'y oppose fermement laissant repartir les invités sur un léger froid. 

Gérard, inquiet de savoir si son subordonné et ami est bien envieux de sa bite électronique, l'invite pour une activité entre hommes, le stand de tir. En s'emparant d'un gros calibre, Gérard ne mesure pas le recul et se retrouve par terre. Cette humiliation ne suffisant pas, il se rend compte que sa bite électronique ne fonctionne plus. Effondré et en larmes, il décide de partir tout de go pour trois jours au Japon se faire réparer son engin. Il charge Alain de faire un cadeau à Jeanne pour son anniversaire. Lorsqu'il lui emmène, Alain constate que Jeanne s'est vite consolée du départ de Gérard avec un jeune homme. Gérard doit prolonger son séjour car le médecin japonais échoue une première fois à le réparer. Il revient néanmoins en France soutenu par une hôtesse de l’air. Il se marie ensuite avec son infirmière japonaise qui découvre une infidélité avec sa secrétaire, qu'il épouse avant d'essuyer échec sur échec auprès de nouvelles conquêtes. Dans sa fuite en avant, il achète toujours de nouvelles voitures. Un jour qu'il va trop vite, il voit sa bite s'enflammer et meurt en perdant le contrôle de son véhicule.

Marie est décidée à rajeunir et emprunte sans cesse le conduit. Un jour qu'elle doute du pouvoir du conduit tant le miroir qu'elle a accroché ne lui renvoie aucun signe de rajeunissement, elle emporte avec elle une pomme pourrie. Le matin, elle se réjouit de voir la pomme devenue intacte. Alain, placide, croque la pomme mais découvre, dégoûté qu'elle est remplie de fourmis à l'intérieur.

Marie, décidée à devenir mannequin passe outre l'avertissement et, au fil des mois, devient nettement plus jeune mais à 30 ans comme à 19, stressée, sans aura et sans naturel, elle ne perce pas comme mannequin. Ayant perdu tout goût à la vie, elle déprime et est conduite dans un hôpital psychiatrique. Alain condamne fait sceller le conduit et va pêcher avec son chien. Marie s'ouvre la main avec le verre qu'un infirmier a oublié de reprendre. Devenue psychotique, elle constate que des fourmis sortent de sa main.

La mise en scène discrète et relâchée de Dupieux est en adéquation avec sa satire sociale sur la vacuité de la lutte à tombeau ouvert contre le temps pour préserver un corps performant. Le mythe de la fontaine de jouvence s'incarne ici, plus prosaïquement, plus vulgairement, plus psychanalytiquement enfin, par un trou béant et une verge artificielle. La boucle temporelle ne peut mener qu'à la folie. Le gain de temps au corps qu’il promet est amputé des douze heures perdues à attendre le raccord avec le temps des autres. Dès lors, l'une s'enfonce dans la pourriture intérieure et l'autre fonce vers la mort aux grès de nouveaux accessoires virils : fusil et voitures puissantes.

Le montage provoque des sauts vers l’avant ou vers l’arrière mais sans excès et de façon plutôt variée. La séquence initiale est un flash-forward avec la tentative d'explication avec le docteur Urgent dont une suite, très courte, est donnée plus tard, après la révélation de la pomme pourrie à cœur. Ce sont ensuite les anticipations de l'aménagement lors de la visite, puis le flash-back racontant la fin de l’explication par l'agent immobilier. La fin du film utilise d'autres moyens encore : les effets d'accélérations itératives, cigarette et miroirs pour Marie, nouvelles voitures et nouvelles femmes pour Gérard.

Dupieux revendique un surréalisme à l’ancienne : une photographie surexposée et laissant du flou à l'arrière-plan, une affiche à la Magritte et une image finale qui cite un plan célèbre d’Un chien andalou (1929) : une main envahie de fourmis. Le plus beau plan, que l'on ne comprend qu'à retardement, est néanmoins celui où Marie, suite à la visite, regarde longuement deux enfants revenir de l'école : cette jeunesse est hors de portée et celle qu'elle se choisira ne pourra être que frelatée.

Le quatuor d'acteurs est extrêmement juste dans le burlesque léger qui en font des personnages marionnettes et têtes à claques : machisme et suffisance du patron, arrivisme sexuel de la vendeuse, espoir de changer de vie de la quinqua. Alain Chabat en fainéant assumé (jeu électronique, dossier jamais terminé, cadeau sans moindre effort pour Jeanne) ne s'en tire un peu mieux que par défaut du excès des autres. Au moins s'accorde-t-il avec la nature (la pêche) et les animaux : le chien mais surtour le chat qui, comme lui, accepte la mort à venir et se pose sagement sur la trappe pour en signaler le danger. Tout ce beau monde donne son plein effet comique dans les séquences dialoguées, au tempo parfait.

Jean-Luc Lacuve, le 21 juin 2022