Judith, ex pharmacienne devenue journaliste, a obtenu une rencontre avec Salvador Dalí dans un grand hôtel parisien pour une interview, hélas réduite à 15 minutes. Mais dès que Dali s'aperçoit qu'il n'y aura pas de caméra pour le filmer, il quitte immédiatement la pièce.
Judith obtient alors d'un producteur, Jérôme, un financement pour un film documentaire sur Dali. Celui-ci en train de peindre des paysans prenant avec lassitude la pose de façon prolongée. Quand il peut brancher le téléphone dans sa villa espagnole, il veut bien donner une seconde chance à la jeune française.
Dali est invité par son jardinier à dîner chez lui. La bonne, qui a préparé un repas à base de tête de chèvre pourrie avec asticots, souhaiterait être embauchée par Dali et Gala. L'évêque raconte une étrange histoire d’un cow-boy qui l'aurait tué sur son âne. Dali, alors qu'il revient avec Gala, est furieux de ce dîner.
Pour le tournage du film de Judith, Dali s'obstine à conduire sa Rolls-Royce sur la plage et met hors d'usage la caméra avant le début du tournage. Ce n'est que la suite de l'histoire de l'évêque qui se souvient si bien de son histoire qu’il a fait un petit tableau de son aventure. Dali s'en saisit pour signer l'œuvre. Quelque temps plus tard, le petit tableau est acheté par une riche admiratrice.
Judith a relancé son producteur qui lui conseille de tourner avec deux caméras gigantesques, une maquilleuse et de prendre un peu plus soin d'elle, ce à quoi Dali ne manquera pas d'être sensible. Cette fois l'interview se passe bien mais la cliente vient interrompre Dali dans sa séance de tire aux pigeons. Elle se plaint qu'il s'agit d'un faux. Peu importe dit Dali puisque la signature est réelle et, d'un mouvement de colère, il l'abat. L'évêque trouve son rêve bien curieux. Cette fois, Dali dit au revoir.
Le producteur insulte Judith trouvant son film très mauvais : durant l'interview elle s'est filmée et non Dali. Le film est pourtant bien là, Judith acceptant toutes les indications de Dali, répétant à l’infini la scène de fin.
Daaaaaali ! avec six "a" car six comédiens interprètent son personnage "excentrique et concentrique, à la fois anarchiste et monarchiste", bref trop complexe pour un seul homme. Cette performance ne fonctionne pas : Edouard Baer possède seul la folie du personnage alors que Gilles Lellouche et Jonathan Cohen sont trop plats, Pio Marmaï trop absent et Boris Gillot probablement coupé au montage. Seul Didier Flamand en vieillard donne un ton étrange et inquiétant, véritable incarnation des angoisses de Dali.
Il ne s’agit pas pour autant d’un biopic à la gloire de l'artiste ou de ses œuvres. Certes la première séquence reproduit Fontaine nécrophilique coulant d’un piano à queue (1932) mais l'animation de l'eau et le son qui en découle en fait un objet de cinéma. Le film s'inspire ainsi au moins autant du réalisateur Luis Bunuel, compagnon de route de Dali, avec qui il a réalisé Un chien andalou (1929) avant de se brouiller sur L'âge d'or (1930).
Le film reprend ainsi le principe de Cet obscur objet du désir (1977) où le personnage de Conchita est interprété de façon aléatoire par Carole Bouquet et Ángela Molina, mais, ici, en le multipliant par trois. L'influence majeure est toutefois celle du Charme discret de la bourgeoisie (1972) qui est ponctué par plusieurs scènes oniriques qui se révèlent seulement a posteriori comme telles. Ici la trame de la réalisation par Judith d'un film documentaire se mêle au récit par un évêque d'un rêve au cours d'un repas auquel Dali a été invité chez son jardinier. Chez Bunuel l'évêque se voulait jardinier; ici ce sont deux personnes distinctes qui participent au repas. Mais le rêve de l'évêque, qui semble, en apparence, plusieurs fois s'achever, est à chaque fois repris et prolongé. Cette mise en abyme de la trame principale par le rêve est annoncée dès la première scène avec l'arrivée interminable de Dali dans le couloir de l'hôtel. Le montage se charge d'étirer le trajet, le temps que Judith aille aux toilettes, que Lucie apporte de l'eau plate puis de l'eau pétillante. Ce style des poupées russes est aussi repris dans la scène de clôture où Dali souhaite à chaque fois une nouvelle proposition de vêtement ou de mise en scène. Ces demandes sont faites par Dali et Judith qui regardent les anciennes demandes apparaissant à l'écran.
Cet étirement du temps, permis par le cinéma, est un privilège que ne possède pas Dali, hanté par la mort, se voyant flétri dans la peau de Didier Flamand se déplaçant en fauteuil roulant.
Jean-Luc Lacuve, le 13 février 2024