Donovan Donaly se dirige vers dans sa somptueuse villa sur les hauteurs de Los Angeles au volant de sa jaguar rutilante. En arrivant, il a la surprise d'y trouver un van d'entretien de piscine et sa femme, Bonnie, manifestement surprise par son retour inattendu, qui a bien du mal à expliquer la présence du conducteur du van, Ollie Olerud, surgissant gêné dans la chambre au lit défait. Donovan Donaly prend son arme sur sa table de nuit et va tuer Ollie quand Bonnie l'assomme puis lui plante son pointu trophée du meilleur soap télévisé dans les fesses. A peine remis, Donovan tire depuis son balcon sur sa femme qui s'enfuit au volant de sa Jaguar tout en prenant des photos de cette scène d'adultère.
Générique.
Miles Massey, avocat spécialisé dans les divorces, dont la renommée et le somptueux train de vie témoignent de sa remarquable réussite, reçoit Bonnie, désespérée d'obtenir quoi que ce soit du divorce que lui impose Donovan. Miles la rassure ; il plaidera des soupçons infondés ayant pu conduire au meurtre si Bonnie n'était si justement intervenue. Et contre toute attente, il gagne. Alors qu'il semble surtout préoccupé par ses futurs achats dont il discute avec son fidèle assistant, Wrigley, il gagne aussi contre Mrs. Gutman qui accable pourtant son mari de lui avoir servi d'esclave sexuelle.
Rex Rexroth, riche et marié, rentre ivre d'une soirée avec une belle blonde qu'il entraine dans son jeu érotique favori :"le train". Il sont surpris par l'enquêteur privé, Gus Petch, qui filme l'accablante scène d'adultère. Gus présente la vidéo à l'épouse de Rex, Marylin. Il lui affirme qu'elle va pouvoir "niquer son mari" et empocher la moitié de son immense fortune. Ayant tenté vainement de négocier avec Marilyn qui a lâché ses chiens sur lui et ne pouvant se permettre un règlement de divorce, Rex engage Miles pour le représenter. L'amie de Marylin, la multi-divorcée en série Sarah Sorkin, prévient Marilyn que Miles sera un adversaire redoutable.
Marylin et son avocat, Freddy Bender, ne parviennent pas à un accord avec Rex et Miles qui demande un inexplicable délai avant d'amorcer toute procédure. Gus Petch, qui montre les vidéos de ses exploits de flagrants délits à ses potes pendant la mi-temps d'un match de football, est appelé par sa femme pour répondre au coup de fil de Miles au sujet du travail qu'il doit faire ce soir. Ce même soir, Miles invite la fascinante Marylin à dîner, où ils flirtent. Pendant son absence, Petch entre par effraction et copie son carnet d'adresses pour Miles. Celui-ci fait chercher à son assistant le nom de celui qui a pu aider Marylin à accomplir son Everest : son mariage-divorce rémunérateur. Au tribunal, Marylin feint un amour inconditionnel trompé par l'infidélité de Rex mais Miles appelle le "Baron" Krauss von Espy, en fait le concierge d'un hôtel suisse huppé qui témoigne que Marylin lui a demandé de lui trouver une bonne poire facile à berner, très riche, et très stupide de qui elle pourrait facilement divorcer : c'était Rex. Le divorce est prononcé et Marylin n'obtient rien. Le patron fantomatique du cabinet d'avocat, Herb Myerson, félicite Miles.
Marylin veut se venger. Elle trouve Donaly, aujourd'hui sans le sou, vivant dans la rue, tenant toujours sa statuette des Emmy award près de lui. Peu de temps après, Marylin se présente au bureau de Miles avec son nouveau fiancé, le millionnaire pétrolier Howard D. Doyle. Marylin insiste pour un contrat de mariage Massey, qui lui rendra absolument impossible de réclamer de l'argent en cas de divorce, malgré les objections de Howard et Miles. Cependant, Howard le détruit pendant le mariage, comme une démonstration d'amour.
Six mois plus tard, Miles se rend à Las Vegas pour prononcer le discours liminaire lors d'une convention pour les avocats en divorce. Il rencontre Marylin, qui a divorcé de Howard et a manifestement collecté une part importante de la fortune de Doyle Oil. Cependant, elle admet qu'elle est désenchantée par sa vie riche mais solitaire. Miles est ravi et l'épouse sous l'impulsion du moment. Pour prouver qu'il n'a aucun intérêt pour sa fortune, il signe le contrat de mariage Massey, mais elle le déchire. Le lendemain matin, Miles ébouriffé raconte à la convention que l'amour est la chose la plus importante et qu'il renonce à son métier de prédateur pour un travail bénévole.
Peu de temps après, Miles découvre que "Howard D. Doyle" n'était qu'un acteur de l'un des feuilletons de Donaly. Marylin l'a trompé, et maintenant sa richesse considérable est en danger. Le patron de Miles exige que quelque chose soit fait pour sauver la réputation de la firme et suggère le tueur à gages Joe le siffleur. Miles l'engage pour tuer Marylin.
Miles apprend alors que l'ex-mari de Marylin, Rex, est décédé sans changer son testament, lui laissant toute sa fortune. Comme elle est maintenant la plus riche des deux parties, sa fortune non seulement n'est plus en danger mais pourrait s'accroitre. Se repentant Miles se précipite pour sauver Marylin de Joe, mais Marilyn a déjà proposé de lui payer le double pour tuer Miles à la place. Il y a une lutte ; dans la confusion, Joe confond son arme avec son inhalateur pour l'asthme et se tue.
Plus tard, Miles, Marylin et leurs avocats se rencontrent pour négocier un divorce. Miles plaide pour une deuxième chance et signe rétroactivement un contrat de mariage Massey. Réalisant ses propres sentiments pour lui, elle le déchire et ils s'embrassent. Marylin dit ensuite à Miles que pour obtenir l'aide de Donaly pour l'engagement de Doyle, elle lui a proposé une idée d'une émission de télévision à laquelle elle est associée. Miles réplique qu'il est donc lui-même associé à cette émission qui est un gros succès : America's Funniest Divorce Videos, avec Gus Petch comme présentateur et Donovan Donaly à la supervision.
Intolérable cruauté est une comédie sophistiquée réjouissante, l'occasion de mettre en vedette des stars, des dialogues et des décors. Chacun de ses éléments tirant partie des autres pour un vrai feu d'artifice d'intelligence et d'humour. Néanmoins, si l'on veut bien admettre que le but des frères Coen est de revisiter les genres du cinéma hollywoodien pour débusquer les tares de l'Américain way of life alors c'est au côté burlesque et satirique du film auquel on s'attachera.
De la comédie sophistiquée à la comédie burlesque
Clooney rejoue ici la même scène avec Catherine Zeta-Jones qu'avec Julia Roberts dans Ocean's eleven : une séduisante invitation à diner qui masque une machination (là un téléphone dans la poche, ici un éloignement pour cambriolage). Les dialogues brillants qui caractérisent cette scène seront repris dans la scène du tribunal où Catherine Zeta-Jones les détourne à son profit. George Clooney confirme son talent exceptionnel, digne du Cary Grant de la grande époque : aussi à l'aise dans le registre de la classe pure (Ocean's eleven), du drame (Solaris), qu'ici du burlesque.
A mi-chemin entre les registres sophistiqué et burlesque, les répliques entre Miles et Rex :- (Miles interrogatif) Vous proposez malgré votre infidéllité avérée de jeter votre femme à la rue ? - (Rex réjoui) C'est possible ? - (Miles pensif) C'est un défi.
Ou bien encore Claire qui s'étouffe quand sa riche amie prétend que son mari est très prudent, question infidélité. Scène surprenante et hilarante dans le le fast-food où Miles a convié son second, Wrigley, à attendre Gus Petch. Wrigley est en constant décalage avec la serveuse ainsi quand il commande une salade verte, demande-tell ironique sil ya une autre couleur). Sur le registre sophistiqué vient ensuite l'explication du "Tenzing Norgay", sherpa d'Hillary Clinton lorsqu'elle a grimpé l'Everest. Peu de grands exploits s'accomplissent seuls, la plupart ont leur Norgay. Comment le repérer demande alors Wrigley chargé d'examiner le carnet d'adresse volé : " tu commences par les noms bizarres"
Dans Intolérable cruauté, seuls les dialogues et les décors sont sophistiqués mais les personnages sont si simplistes (la croqueuse de maris, l'avocat malin mais au cœur d'artichaut, le fidèle second) que la comédie tourne le plus souvent au burlesque (la découverte de l'amant dans la chambre avec l'apothéose du trophée de soap dans les fesses du mari, les interventions de Gus Patch ou de Joe le siffleur, les lâchages de Rottweilers, le jardinier bodybuildé, la mise en scène érotique du "train", l'attaque de la maison de Massey par le "siffleur").
L'American way of no life
Après s'être attaqué au film noir (de Sang pour sang à Miller's crossing puis avec Fargo et The barber) au film sur les affres de la création (Barton Fink) et au film d'évasion (O Brother), les frères Coen abordent cette fois ci la comédie sophistiquée (variante de la comédie sentimentale, incluant elle-même la comédie du remariage). La comédie sophistiquée est ici bien loin de valoriser le couple comme cellule de base de la société.
Ce sur quoi les frères Coen insistent dans cette comédie c'est le retrait de l'humain. NOMAN (National Organisation of Matrimonial Attorney Nationwide) proclame l'affiche du Congrès d'avocats auquel doit participer Miles Massey à Las Vegas. Mais déjà, dès les premiers épisodes californiens, Miles n'avait plus grand choses d'humain. Il est métonymiquement résumé à une bouche aux dents éclatantes ; celle-ci apparaissant seule alors que le reste de son corps a disparu derrière un masque de protection de dentiste ou le pare-brise de sa voiture. Toutes ses tentatives pour sortir de l'ennui (gag burlesque encore des balles de tennis renvoyées mécaniquement) seront vaines et la fin est loin d'être un happy end.
La cupidité éloigne du bonheur, telle pourrait être la morale simpliste mais probablement juste que les Coen comme Miles dénonce ici. Mais, il importe peu de le savoir (gag toujours du congrès d'avocats se mettant à applaudir niaisement un Miles défait) encore faut-il l'éprouver. Or la compromission finale du couple dans le soap, mis en scène par le premier Donovan du film et animé par Gus Petch au mot d'ordre vorace "Nail your ass", ne laisse pas augurer d'un changement de comportement. Miles abandonne seulement le barreau pour le secteur, plus lucratif encore, de la télévision.
Il file ainsi tout droit vers le terrible destin de l'associé principal qui pourtant le terrifiait. Celui-ci bardé de tuyaux qui sortent de lui comme des vers déjà à l'uvre sur un cadavre est remarquablement effrayant. Difficile de savoir si les trois séquences où il intervient sont toutes fantasmées. La première prend place entre deux séquences où Miles est dans son bureau et pourrait être un cauchemar éveillé. Miles se retrouve dans une sinistre salle d'attente où il découvre sous une pile de livres (l'intolérable cruauté de la vérité sous l'apparence ?) une brochure indiquant "comment vivre sans intestin". Après un gros plan sur lui interloqué, on le voit descendre sous la terre pour être félicité. La seconde séquence, reprise excessive de la première, est un cauchemar et la troisième est une scène de remontrance qui le conduit à commanditer le meurtre de sa femme. Toutes ses séquences sont introduites par le requiem de Mozart (déjà utilisé au début de The Big Lebowiski). La rupture qu'il introduit avec la musique légère des années 60 privilégie la piste de scènes fantasmées.
La cupidité sur terre, la mort sous la terre, seul le ciel offre encore un espace où la révélation est possible. Ainsi en est-il de la double séquence de Miles puis de Marylin dans l'avion qui le conduit puis la ramène de Las Végas. L'hôtesse off, (la voix de la raison ?) fait remarquer à Miles qu'il va sans doute risquer la chance à Las Vegas, celui-ci lui répond qu'il va pour affaire et qu'il est sûr de gagner : il s'y fera pourtant berner. La même voix off indique ensuite à Marylin qu'elle a perdu, ce qu'elle reconnaît alors qu'elle vient pourtant d'empocher la fortune de son mari. Mais ni l'un ni l'autre, même s'ils entendent cette voix, ne changeront probablement. Intolérable cruauté porte bien son titre.
Jean-Luc Lacuve, le 9 avril 2020.